Colombie
C’est un vote historique: l’opposant Gustavo Petro est devenu dimanche le premier président de gauche de l’histoire de la Colombie, avec l’ambition de « changer » un pays en crise et qui n’a jamais connu une telle alternance.
« Nous nous engageons à un changement véritable, un changement réel », a lancé le sénateur de 62 ans au soir de sa victoire, sur la scène d’une grande salle de spectacle de Bogota, devant des centaines de ses partisans en liesse.
« Le gouvernement qui entrera en fonction le 7 août sera celui de la vie, de la paix, la justice sociale et la justice environnementale », a dit Gustavo Petro, au côté de sa famille, de ses proches et de sa colistière, l’afrodescendante Francia Marquez.
Depuis Madrid, le gouvernement de gauche espagnol a félicité l’ex-guerillero pour sa victoire « historique » pour la gauche colombienne.
Nous espérons « travailler en étroite collaboration avec le nouveau gouvernement colombien dans la construction de politiques sociales, équitables et durables », ainsi que « du respect et de la protection de l’environnement », a ajouté le gouvernement espagnol.
Ancien membre d’une guérilla d’extrême gauche converti à la social-démocratie, ex-maire de Bogota, M. Petro a recueilli 50,44% des voix, contre 47,31% à son concurrent l’homme d’affaires Rodolfo Hernandez, selon les résultats provisoires du second tour de la présidentielle dimanche – le solde représentant les bulletins blancs, comptabilisés en Colombie dans les suffrages exprimés.
Avec 11,2 millions de voix en sa faveur, le sénateur a devancé de près de 700.000 voix son adversaire (10,5 millions), qualifié surprise du premier tour le 29 mai dernier qui avait supplanté le candidat de droite. La participation s’élève à 58%.
M. Hernandez a immédiatement concédé sa défaite, souhaitant que son adversaire « sache comment diriger le pays et qu’il soit fidèle à son discours contre la corruption ».
« Les partisans de Rodolfo Hernandez pourront venir dialoguer avec nous quand ils veulent (…). L’opposition, quelle qu’elle soit, sera toujours la bienvenue pour dialoguer », a promis le futur chef de l’Etat.
« Il n’y aura que le respect et le dialogue, c’est ainsi que nous pourrons construire le grand accord national et la paix intégrale », a-t-il ajouté, s’engageant par ailleurs à ce que la Colombie soit « à la tête de la lutte contre le changement climatique » dans le monde.
« Je suis la première femme afrodescendante vice-présidente de Colombie », a proclamé fièrement Mme Marquez, modeste villageoise devenue activiste écologiste, et qui a joué un grand rôle dans la campagne comme colistière du candidat.
« Nous avons franchi un pas important. Nous avons un gouvernement du peuple, un gouvernement des gens qui vont à pied, un gouvernement pour ceux qui ne sont rien (…).
Ensemble, nous allons réconcilier cette nation, dans la joie et la paix », a-t-elle lancé, vêtue de ses habituelles tenues aux motifs africains.
Cette élection présidentielle marque la déroute des élites conservatrices et libérales au pouvoir depuis deux siècles dans la quatrième puissance économique d’Amérique latine.
Les deux qualifiés du premier tour étaient arrivés en tête avec un discours de rupture et « anti-establishment », M. Petro (40%) portant en étendard la défense de « la vie », tandis que M. Hernandez (28%) promettait d’en finir avec la corruption, un mal endémique du pays.
La lutte a été particulièrement âpre entre les deux hommes, avec une campagne finale faite d’accusations en tous genres, de désinformation et innombrables coups bas. Les derniers sondages publiés il y a une semaine donnaient les deux hommes à quasi-égalité.
Comme lors du premier tour, aucun incident majeur n’est venu perturber le vote.
Cette élection se déroulait dans un contexte de crise profonde dans le pays, après la pandémie, une sévère récession, des manifestations antigouvernementales durement réprimées et une aggravation de la violence des groupes armés dans les campagnes.
C’est la troisième fois que M. Petro se présentait à une présidentielle.
Après avoir écumé le pays avec une centaine de meetings avant le premier tour, il a tenté ces trois dernières semaines de se montrer plus proche des Colombiens ordinaires, soucieux de corriger son image d’homme de trop de discours, trop autoritaire ou aux tendances messianiques selon ses adversaires.
Il s’est engagé à renforcer l’Etat, à réformer le système des retraites et l’impôt pour faire payer les plus riches. Sa première mesure sera de suspendre l’exploration pétrolière et d’entamer au plus vite la transition énergétique.
« Une partie significative du pays », effrayée notamment par son passé d’extrême gauche, « ne voulait pas de Petro comme président », souligne cependant Sergio Guzman, consultant à Colombia Risk Analysis.
Il aura également fort à faire pour gouverner avec un Parlement divisé, où sa coalition du Pacte historique est certes la première force mais qui reste une place forte des conservateurs et des libéraux.
Il devra aussi surmonter les réticences au sein de l’armée, dont il devient le chef suprême, faire face à la pression inflationniste et à des institutions faibles et politisées, selon ce même analyste.