Le parcours de deux journaux sur le chemin de la connaissance et de la lutte
Al Bayane, une imprimerie en rotation tous les jours veillant sur les changements qui se produisent autour d’elle. Elle se renouvelle à chaque fois qu’elle a besoin d’un nouveau souffle dans ses artères afin de rester au courant des temps et de donner de son mieux pour livrer ses deux journaux.Cette merveilleuse machine se veut une histoire dérivée de la crucifixion de la réalité d’une génération d’écrivains et de journalistes avec lesquels elle a interagi et qu’elle a influencé.
Nous parlons ici des journalistes des années 1960 et 1970. A cette époque, le marché de l’édition, de l’imprimerie, de la lecture et du livre était très actif, et la majorité des jeunes Marocains ne se disputaient que sur les sujets des revues et magazines culturels et des livres et suivaient leurs publications tous les jours.En fait, les deux journaux, qui portent le nom du Parti communiste marocain, étaient remplis d’intellectuels de gauche et engagés dans des luttes idéologiques sur deux fronts. Un front pour sensibiliser les citoyens à leurs droits et devoirs, et un autre tout aussi important, pour défendre la dignité humaine et la justice sociale dans une société encore plongée dans des contradictions idéologiques.Sur la base de cette sensibilisation lumineuse, Al Bayane, dans ses deux éditions arabe et française, suscitait un grand engouement de la part des lecteurs, notamment les étudiants qui fréquentaient l’imprimerie afin d’acquérir les journaux par peur d’une pénurie sur le marché, surtout dans les années 1970, où les deux éditions étaient publiées sous le contrôle de l’Etat.
Ce dernier n’autorisait aucune publication sauf dans des conditions strictes. Et parce qu’Al Bayane répondait aux besoins de la société en matière de connaissance, surtout dans les champs politiques et religieux et faisait face au harcèlement par les ennemis du changement et de la réforme, il a été même interdit de publication à ce moment-là.En effet, cette imprimerie qui tient debout aujourd’hui après plus de 40 ans se dote d’un charme particulier qui ne se reflète pas seulement dans son rôle central de l’impression d’un journal qui contribuait de manière significative à la promotion culturelle et la sensibilisation sur les idées intellectuelles.
Mais aussi, dans la puissance et la capacité de cette merveilleuse machine à poursuivre le processus de construction d’une génération consciente des mêmes principes et de l’éthique de son prédécesseur en parfaite harmonie avec la diffusion du savoir et de la culture. D’ailleurs, un grand nombre de collaborateurs, ouvriers et journalistes, racontent leur expérience professionnelle dans le fonctionnement de cette machine, qui tourne autour de la protection de la société contre la distorsion intellectuelle destructrice et les comportements déviants et suspects. Noureddine Saadaoui, l’un des travailleurs au sein de l’imprimerie depuis 38 ans, déclare : «L’imprimerie de l’époque n’était pas seulement un espace pour imprimer les deux versions d’Al Bayane, mais c’était une école historique qui permettait aux employés d’apprendre beaucoup de choses dans leur vie sociale, des choses qu’ils n’auraient pas connues s’ils n’avaient pas travaillé avec le regretté Ali Yata.
Cette figure extraordinaire et prestigieuse était un exemple du respect du soi et des autres et de toutes les catégories sociales. Et d’ajouter : « Les travailleurs au sein de l’imprimerie avaient la chance de lire des articles rédigés à la main par des penseurs chevronnés comme Ali Yata, d’Aziz Bilal, d’Ismaïl Alaoui, Abdel Salam Bourquia, Khalid Naciri, Fahd Yata et Nadir Yata».
Dans le même sillage, Rahal Mohamed, opérateur de saisie sur la linotype, raconte : «Cette machine était spécialisée pour lier les lettres dactylographiées et écrire entre elles des phrases et des mots cohérents, expliquant qu’il tintait des articles obtenus de la rédaction, cliquait sur le clavier de cette machine pour que les lettres en cuivre descendent sur une plateforme pour compléter la ligne.
Le dispositif était versé à partir d’un creuset sur le plomb dissous à une ligne de plomb et ainsi de suite jusqu’à ce que l’article soit terminé». Et de préciser : «Dans le cas d’une erreur dans une lettre, il était forcé de retaper toute la ligne». «Le travail dans l’imprimerie à cette époque était effectué sous le regard des espions du pouvoir, afin de restreindre et d’entraver la mission objective du journal», a-t-il ajouté.Son collègue Abdelkrim Barchi qui a passé 41 ans au sein de l’imprimerie souligne que : «Je plaçais l’encre sur une feuille d’aluminium, puis une feuille de papier sur la mesure d’une page mouillée avec de l’eau.
Puis, je cliquais avec un pinceau personnalisé pour imprimer les lettres ci-dessus. La page était ensuite remise au journaliste concerné pour les corrections nécessaires. Après l’insertion des corrections, un moule en aluminium d’un poids lourd était transporté et placé à l’intérieur d’une presse à pression pour imprimer la page sur le papier « flanc »humide résistant à la chaleur ». Et de poursuivre : «Le papier était ensuite séché et placé dans une machine appelée « fondeuse », le plomb soluble était versé pour extraire des pages semi-circulaires, qui sont des plaques de métal pesant jusqu’à 25 kg».
«Avant de placer ces pages de plomb dans la machine « Roto » pour l’impression finale du journal, les moules étaient purifiés de la saleté et des impuretés par la machine Fraisage», précise-t-il.La difficulté du travail à cette époque n’a pas empêché les monteurs de bénéficier de cette expérience très riche grâce au haut niveau de journalistes écrivant dans la version arabe et française comme feu Hamid Ramz, feu Omar Mohieddine, Mohamed El Henawi, Mohamed Bennis, El Tafsi Mohamed et d’autres.Al Bayane n’a jamais baissé les bras face aux défis en constante évolution du monde de l’imprimerie. Après avoir dépassé les phases du «Plomb fondu», du «Bromure» et de la «photocomposition», l’imprimerie connaît, aujourd’hui, un saut qualitatif dans la modernisation de son siège et de ses organes. Mohamed Bouraoui, directeur financier et administratif d’Al Bayane, avance : «Depuis que nous avons pris en charge la gestion de cette institution, nous avons fixé à nos yeux un ensemble d’objectifs essentiels pour l’avancement du journal et l’amélioration des conditions du travail». Et d’ajouter : «Nous avons créé une cabine à l’intérieur de l’imprimerie qui comprend deux salles pour les rédactions arabe et française et d’autres salles consacrées au montage du journal et au service technique.
Nous avons également meublé les bureaux administratifs pour améliorer les conditions de travail de l’ensemble des services, notamment administratif, comptable et commercial». «C’est sans oublier la restauration, la réparation et l’aménagement des infrastructures et certaines installations, ce qui a donné un nouveau look à l’imprimerie», souligne-t-il.
Ce n’est pas tout ! Le directeur financier et membre du directoire précise que : «La société Al Bayane a également acquis une machine de dernière génération (CTP) d’un montant de 100 millions de centimes afin d’accélérer l’impression des deux journaux et d’améliorer leur qualité pour une meilleure compétitivité». Pour sa part, Hassan Ammerti, responsable du service informatique déclare : «Nous avons opté pour des techniques très avancées permettant aux journalistes d’écrire des articles sur leurs ordinateurs et de les envoyer au département du montage où les infographistes conçoivent les pages à l’aide d’ordinateurs électroniques sophistiqués.Ces appareils disposent d’un serveur qui coordonne entre l’ensemble des services et possède une technologie avancée dans le domaine de l’Active Directory, qui permet le contrôle des ordinateurs dans des systèmes déterminés selon les spécialisations».
Said Ait Omzid