La question salariale

La série d’accidents survenus récemment dans le transport des travailleurs  et travailleuses agricoles, ayant causé des pertes humaines et plusieurs blessés, n’est pas un simple incident  de parcours ou un simple accident de circulation qui viendrait alourdir le nombre des accidents enregistrés chaque année. Il s’agit d’une question gravissime qui relève des conditions de travail dans un secteur qui tourne le dos à la législation de travail et ignore les dispositions minimales des conventions relatives à la santé et à la sécurité des travailleurs et notamment de la femme salariée dont l’essentiel est inscrit noir sur blanc dans notre code de travail.

En la matière, s’il est difficile de faire un distinguo entre ce qui relève d’un accident de circulation ou d’un accident de travail, force est de constater que les employeurs, les exploitants agricoles, prennent trop les choses à la légère et n’accordent que peu d’intérêt à la gestion de la force de travail, tant ils sont obnubilés par leurs bilans de fin d’année et les «résultats d’exploitation» attendus !  Les progrès certains réalisés dans le secteur agricole tant au niveau de la mécanisation, de l’intensification et de la modernisation ne se répercutent que timidement sur les conditions de travail et l’amélioration du niveau de vie de ceux et celles qui sont à la base de ce progrès. C’est une dynamique à sens unique.  Les données suivantes, bien que non exhaustives, l’attestent.

Ainsi, le nombre de salariés déclarés à la CNSS, est ridiculement bas. Il dépasse à peine 250000 sur un total que l’on pourrait estimer à plus de 1 million de travailleurs, pour la plupart des saisonniers et de sexe féminin.  Une caractéristique de taille du salariat agricole : 60% sont des femmes !! Et ce sont elles qui pâtissent le plus des mauvaises conditions de travail et qui font l’objet d’une exploitation sans vergogne. Mais là où le bât blesse, c’est le niveau du salaire minimum légal. Fixé à la journée, 70 DH,  le SMAG est rarement respecté par les employeurs. Des  témoignages divers et des enquêtes multiples réalisées sur le terrain par des ONG et des  chercheurs dont on ne peut guère douter de leur crédibilité, montrent que ces rémunérations ne dépassent pas 40 à 50 DH par jour dans la cueillette de la fraise à titre d’exemple.  Une telle situation est fortement préjudiciable non seulement aux travailleurs et à leur famille, mais aussi aux intérêts du pays.  Le respect de la clause sociale  est une condition qui est prise  en compte dans le commerce international. Elle le sera davantage à l’avenir.

Il est grand temps, par conséquent, de procéder à une réelle mise à niveau  sociale de notre agriculture, en commençant notamment par l’agriculture capitaliste et les grandes exploitations qui disposent d’une assise financière confortable. En commençant par le commencement : le respect strict de la législation de travail. Ce qui relève de la responsabilité  des pouvoirs publics et de l’autorité de l’Etat. A cet effet, le corps des inspecteurs de travail, tout comme celui de la sécurité sociale,  doit être étoffé pour pouvoir couvrir l’ensemble des exploitations. L’inspecteur du travail et l’inspecteur de la sécurité sociale doivent travailler la main dans la main pour réaliser plus de complémentarité et de synergie.

Pour ce qui est du SMAG, le moment est aussi venu de mettre fin aux tergiversations  pour passer à l’application immédiate d’une mesure inscrite dans les accords d’avril 2011 consistant à aligner le SMAG sur le SMIG d’une façon progressive dans un délai de 3 ans. Huit ans après, pour des raisons inadmissibles et des motifs inconséquents,  on n’a pas bougé d’un iota. Cette question ne doit pas faire l’objet normalement d’une nouvelle négociation. Le relèvement du SMAG au niveau du SMIG, contrairement aux allégations de ses détracteurs, ne saurait nullement  pénaliser la  compétitivité de nos exportations ou réduire la rentabilité de la grande exploitation.  Lier le salaire à la compétitivité est une vision bornée et dépassée.

En tout état de cause, le salaire demeure un élément parmi d’autres de la  reproduction de la force de travail. S’y ajoutent les conditions de travail, le respect de la liberté syndicale, la santé et sécurité au travail, le respect des droits de la femme salariée. Un intérêt particulier doit être accordé à l’amélioration des conditions de transport des travailleurs  qui parcourent chaque jour parfois des dizaines de kilomètres dans des conditions de promiscuité et de gravité indescriptibles. A ces camionnettes à plateau découvert (pick-up) destinées normalement au transport des marchandises,  il faut substituer des minibus comme c’est le cas dans le transport du personnel en zone urbaine.  Si ce mode de «transport» était valable à une certaine époque, il n’est plus acceptable de nos jours.

Le progrès est un tout. Il est d’abord  et avant tout humain….

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