L’amazighité n’est pas un fonds de commerce!

«C’est petit à petit que le chameau entre dans la marmite»

(Proverbe amazigh)

L’adoption du texte de mise en application de l’officialisation de la langue amazighe a donné lieu à une véritable campagne de désinformation. Une campagne nourrie par les appétits électoralistes des uns et les calculs politiciens des autres.

Jamais l’amazighité n’a eu autant de défenseurs acharnés, sa cause défendue par une telle ferveur militante inédite. On pourrait même,  face à cette ardeur retrouvée, procéder à  un raisonnement par l’absurde et remercier Benkirane pour avoir suscité un tel engouement et pour avoir réveiller les consciences amazighophiles jusqu’ici ignorée chez de nombreux acteurs politiques.

Sauf que les choses sont autrement plus sérieuses et méritent un autre traitement.  Le sujet mérite en effet plus de sérénité dans l’appréciation des acquis, plus de lucidité dans la formulation des attentes. L’amazighité dans ce sens ne part pas complètement dénudée, orpheline d’histoire et de bagage culturel ; elle bénéficie au contraire d’un immense capital symbolique né d’un héritage séculaire forgé dans l’endurance, la résistance et dans une pratique d’altérité empreinte d’hospitalité et d’ouverture. N’oublions pas, à l’heure de grandes inflations électoralistes, de surenchères politiciennes, que l’amazighité a pu  traverser les temps, en assumant une rude compétition linguistique, souvent dans des conditions d’iniquité et d’hégémonie étrangère, grâce à ses seules qualités intrinsèques, grâce à l’abnégation de nos mères et grands-mères qui on su distiller   dans les interstices de la mémoire collective  les signes indélébiles de l’appartenance à tamazgha. Nul besoin, plus de trente siècles durant, de lois organiques ou de textes juridiques pour perpétuer une langue et une culture qui a trouvé son premier bouclier dans le lait maternel qui continue à irriguer les expressions multiples d’une appartenance riche et variée. C’est pour dire que les textes seuls, aussi pertinents soient-ils  ne peuvent sauvegarder une culture ou faire perpétuer  une langue. Ils sont tout au plus des adjuvants qui viennent renforcer et appuyer des tendances et des pratiques forgées par le commerce social.

Certes, la reconnaissance de l’amazighité comme langue officielle par la constitution de 2011 est venue aider à corriger une injustice institutionnelle historique, à établir une congruence entre la réalité socioculturelle du pays et son expression juridique.

Pendant longtemps un hiatus monstrueux caractérisait le marché linguistique du pays ; une déchirure entre le parler des gens et les langues dominantes agissant comme un prolongement de la domination socio-économique et régionale qui coupait le pays en dominés et en dominants. Aujourd’hui, des prémisses promettent de faire sauter ce verrou et libérer enfin la parole populaire dans sa diversité linguistique.  Pour ce faire, il me semble que la balle est davantage du côté des premiers concernés eux-mêmes. En l’occurrence le mouvement culturel amazigh.  Les textes ne sont que le reflet d’un rapport de forces donné, à une époque donnée. Ils naissent et meurent en fonction de l’engagement et de la clairvoyance des uns et des autres. Et aujourd’hui face à la nécessité de donner un contenu avancé au texte réglementaire, il y a l’urgence d’éviter à la langue amazighe de devenir un fonds de commerce que l’on cède au plus offrant, c’est-à-dire au plus démagogique. La première garantie de réussite des revendications amazighes et de leur assurer un environnement autonome. Dans ce sens il me semble que les figures emblématiques de la culture amazighe (chanteurs, intellectuels, chercheurs et militants…) ayant émergé par la qualité de leur action et la sympathie qu’elles suscitent doivent rester en dehors de la compétition partisane. L’amazighité ne devrait pas être  l’apanage d’un seul parti politique. Ses  symboles artistiques et intellectuelles doivent rester au-dessus de la mêlée politicienne ; quant aux amazighs dans leur ensemble, ils doivent investir le champ politique en intégrant les partis qui répondent à leur conviction tout en faisant du lobbying transversal au bénéfice de la cause commune. La véritable loi organique est l’engagement de chaque amazigh dans le quotidien, en parlant la langue avec ses enfants, en militant dans son environnement pour l’entrée en vigueur de tifinagh dans les documents officiels.

Aujourd’hui la nouvelle autoroute reliant El Jadida à Safi comme hier celle de Berrechid-Beni-Mellal a  des panneaux de signalisation en tifinagh…comme quoi la réalité du terrain peut devancer son expression juridique et administrative.

Mohammed Bakrim

Top