Par Abdelatif Laamrani*
Depuis l’apparition du coronavirus dans la ville chinoise de Wuhan en décembre 2019, sa propagation mondiale fulgurante et sa qualification par l’OMS (Organisation Mondiale de la Santé) le 11 mars 2020 de pandémie, c’est-à-dire d’épidémie transfrontalière touchant réellement ou potentiellement tout le globe. Ce virus a infecté à travers le monde pas moins de 2 500 000 personnes et a causé plus de 175 000 décès à aujourd’hui.
Cette situation de désolation mondiale a engendré l’arrêt progressif ou par effet domino de toutes les économies mondiales, le crash de tous les marchés boursiers et la chute de toutes les économies des pays industrialisés précipitées depuis dans une récession sans précédent. Il s’en est suivie une paralysie des chaînes de production, un confinement obligatoire des populations, des fermetures forcées des lieux recevant du public non indispensables à la vie quotidienne, et les conséquences économiques du nouveau coronavirus sont loin d’être anodines.
Les Etats les plus riches ont commencé par subventionner leurs économies à coups de plusieurs milliers de milliards d’euros à travers des aides financières sans contrepartie. Au Maroc un fonds de soutien Covid-19 a été mis en place et a pu recueillir quelques 35 milliards de DH à côté duquel le pays a mobilisé auprès du FMI 3 milliards de $.
Et si les gouvernements annoncent des aides aux entreprises afin de leur permettre de financer le chômage partiel des salariés, les charges sociales ou les prêts bancaires des entreprises, les professionnels du commerce demandent également aux compagnies d’assurance de participer à l’effort national pour compenser leurs pertes d’exploitation. A travers le monde, les entreprises sollicitent leurs assureurs pour obtenir une indemnisation, mais le risque d’épidémie est souvent exclu dans la quasi-totalité des contrats couvrant les entreprises.
Mais la question qui reste posée avec acuité au Maroc, concerne la prise en charge des assureurs des conséquences catastrophiques de la pandémie. Car si l’année dernière un régime de couverture spécifique a été mis en place pour couvrir les catastrophes naturelles (loi n° 110-14), les catastrophes sanitaires, ne sont couvertes par aucun régime spécifique d’assurance.
Dans le cadre limité de cet article nous allons répondre aux questions suivantes : est-ce que le risque pandémique remplit les conditions usuelles d’assurabilité ? Existe-il aujourd’hui un mécanisme de couverture du risque pandémique du Covid-19 ? y-a-t-il des montages juridico-financiers et assurantiels permettant de résorber les conséquences sanitaires et économiques de cette pandémie ? Quid du rôle des réassureurs ? peuvent-ils intégrer les réparations des conséquences sanitaires et financières dévastatrices de cette pandémie dans leurs engagements (traités) classiques ou bien doivent-ils concevoir d’autres solutions financières à même de les mutualiser?
I- Les couvertures existantes
Dans le contexte sanitaire critique actuel, de nombreuses entreprises sont confrontées à l’effondrement de leur chiffre d’affaires, lié aux restrictions imposées par les pouvoirs publics. Il est alors vital pour le dirigeant d’entreprise, d’étudier toutes les options de réparation financière à sa disposition, y compris le recours aux garanties de ses polices d’assurance.
Mais le risque pandémique du Covid-19 est-il couvert et l’assureur doit-il l’assumer?
En effet, il n’existe pas de réponse uniforme et absolue à ce questionnement, car cela dépendra, du cas par cas, des garanties spécifiques souscrites par l’entreprise et en vigueur à la date de survenance du sinistre dû à la pandémie, mais surtout de leurs conditions de mise en jeu et de l’existence d’exclusions éventuelles.
Cependant, un rappel de quelques principes de base est utile.
Deux grandes catégories d’assurances coexistent : les assurances de personnes couvrant la vie/décès et la santé des assurés dite assurance Prévoyance- Santé- ou DIM Groupe (Décès, invalidité Maladie) d’une part, et celles couvrant des dommages spécifiques que subissent l’entreprise d’autre part, sous forme de contrats «multirisques».
1- Les assurances Santé complémentaire et Décès toutes causes
En effet, les contrats d’assurance complémentaire Santé et les contrats de Groupe Décès, peuvent intervenir pour indemniser les assurés en cas d’épidémie comme le coronavirus COVID-19. De même l’annulation de voyage ou le rapatriement sanitaire peuvent être couverts selon les contrats souscrits. Il faudrait ainsi pour un chef d’entreprise étudier son contrat d’assurance et identifier, si l’évènement considéré est couvert ou non.
En principe, les polices d’assurance Maladie complémentaire au Maroc devraient prendre en charge les dépenses de santé engagées par les assurés infectés par le COVID-19, à hauteur des garanties souscrites, dans les mêmes conditions que la grippe saisonnière. Il s’agit principalement des dépenses en lien avec : la consultation de médecins ; les frais liés à une hospitalisation ; les dépenses de médicaments et les frais liés aux analyses. Et sauf garantie particulière du contrat, les dépenses non remboursées par l’assurance maladie obligatoire (comme les masques et les gels hydroalcooliques par exemple) ne sont pas couvertes par les complémentaires santés.
Les polices groupe qui comprennent une assurance Décès couvriraient, quant à elles, les décès des assurés atteints du virus Covid-19, car c’est une garantie Décès toutes causes, qui n’est assortie d’aucune exclusion du risque pandémique. Seules les exclusions traditionnelles de suicide et de faute de la victime sont prévues. Certains assureurs, en revanche, sont eux-mêmes assurés contre ce risque, via des traités de réassurance couvrant la pandémie ou plus largement le risque de « surmortalité ». Donc, les réassureurs doivent s’attendre à une flambée des déclarations de leurs cédantes au titre de traités couvrant le risque de mortalité excessif où les « slips » de réassurance n’avaient pas prévu d’exclusion du risque pandémique.
2- Les assurances de dommages aux entreprises
Une entreprise active dans l’industrie, dans la restauration, l’hôtellerie, dans le divertissement ou dans la distribution qui se voit obligée de fermer ses portes sur injonction des autorités, peut–elle faire appel aux garanties de ses polices d’assurance pour réparer ses pertes financières dues à l’arrêt d’activité?
Toute la question serait alors d’identifier, dans un contrat donné, si l’évènement considéré est couvert ou non. En l’occurrence et concrètement, la première étape pour le chef d’entreprise lésé devra consister à identifier, dans son contrat multirisque professionnel, l’existence éventuelle d’une garantie du risque de fermeture de son établissement (ou de restriction de son usage) à raison d’une crise sanitaire ou d’un évènement assimilé.
Du côté des assureurs, en revanche, la quasi-totalité des contrats couvrant les entreprises (pertes d’exploitation, rupture de la chaîne d’approvisionnement, annulation d’événements, défaut de livraison, etc.) exclut l’événement d’épidémie. En effet, en fonction de sa durée et de son ampleur, une épidémie peut affecter tous les secteurs et avoir un impact sur l’activité économique globale, rendant ainsi ses conséquences économiques inassurables.
Au niveau des assurances de dommages aux entreprises, il faut préciser qu’il existe une police d’assurance qui est souvent souscrite par les entreprises appelée «Perte d’exploitation» (PE), qui couvre l’interruption d’activité «Business Interruption», elle est adossée à une police de base qui couvre habituellement des dommages pouvant affecterl’activité ou le patrimoine de l’entreprise, notamment l’incendie ou explosion, le bris de glaces, bris de machines, vol, dégâts des eaux, etc.
C’est dans les conditions générales du contrat qu’il conviendra de rechercher une clause de ce type et dans les conditions particulières (ou spéciales) de ce même contrat qu’il sera précisé si la garantie a été souscrite ou non.
D’après notre expérience dans les polices d’assurance marocaines, il est rare de rencontrer une couverture de la perte d’exploitation pour fermeture due à une contamination ou injonction des pouvoirs publics. En France cette clause peut être rédigée à titre d’exemple de la façon suivante :
«Sont garanties les pertes d’exploitation résultant d’une impossibilité d’accès à votre établissement à raison d’une décision des pouvoirs publics et consécutives à une maladie contagieuse, une épidémie, un trouble à la sécurité des personnes, un homicide ou suicide commis dans l’enceinte de l’établissement…».
Au Maroc, les assureurs lient la garantie de la perte d’exploitation à son lien direct avec un dommage principal couvert dans la police de base, par exemple due à l’incendie, au bris de machines, etc.
En tout état de cause, si une telle garantie est prévue, alors il convient d’approfondir l’analyse du contrat pour vérifier la réunion de ses conditions de mise en jeu et l’inexistence d’exclusions qui doivent, le cas échéant, être limitées et non vidant la garantie de toute substance ( jurisprudence de la Cour de Cassation Française : Cass. 3ème civ. 14/12/2017 n° 16-18188) et être mentionnées en caractère très apparent, sous peine d’annulabilité.
Le chef d’entreprise qui conclut à l’existence de cette garantie doit procéder à une déclaration de sinistre auprès de sa compagnie d’assurance, et joindre tous justificatifs démontrant les pertes subies suite à la survenance du risque garanti. S’ensuit un examen de la part de l’assureur des pièces fournies, qui peut demander des pièces complémentaires et même commettre un expert ou enquêteur en vue de contrôler les déclarations de son assuré, pour les dossiers les plus délicats ou à enjeu financier important. Or, si l’assureur s’abstient de répondre ou dénie sa garantie sans motifs légitimes ou propose une indemnité non conforme aux prévisions de la police d’assurance, l’assuré peut contester sa décision en justice. Lors de ce contentieux souvent technique, le chef d’entreprise gagnerait àse faire assister par un avocat spécialisé en droit des assurances afin de défendre au mieux ses intérêts.
II- Solutions exceptionnelles
A situation exceptionnelle mesures exceptionnelles, les assureurs doivent participer à l’effort collectif de soutien de l’économie nationale lors de cette crise sanitaire sans précédent que connait le pays, au même titre que le secteur bancaire ou les autres acteurs des services financiers, en vertu de l’article 39 de la constitution mais aussi en conformité avec l’un des fondements mêmes de l’assurance : le principe de secours mutuel . Mais il ne faut pas oublier que l’activité d’assurance est fondée sur des obligations de réserves et des marges de solvabilité strictes et que des indemnisations de risques non calculés initialement par les assureurs risqueraient de mettre en danger même l’existence de cette activité. Ces mesures pourraient prendre la forme tout d’abord : d’une étude prospective concrète afin de proposer un régime d’assurance contre les risques sanitaires majeurs de type Covid-19 qui permettra une meilleure protection en cas de nouvelle catastrophe sanitaire.
les assureurs devraient contribuer sur leurs fonds propres au Fonds de solidarité mis en place par les pouvoirs publics en faveur des TPE et des indépendants, et des secteurs particulièrement touchés par les conséquences économiques, financières et sociales du virus Covid-19.
En matière de Santé et de Prévoyance
Par solidarité avec les personnes fragiles (c’est-à-dire les personnes en affection de longue durée et les femmes enceintes), placées en arrêt de travail selon la procédure dérogatoire prévue aujourd’hui par la CNSS, les assureurs privés pourraient prendre en charge, au titre des contrats, les indemnités journalières. Cette mesure, qui représentera une charge exceptionnelle pour le secteur, pourrait s’appliquer rétroactivement à partir du 1er mars 2020, dans les mêmes conditions qu’un arrêt de travail pour maladie prescrit par un médecin.
En matière d’Interruption d’activité, il serrait conseillé d’inclure le risque de catastrophe sanitaire de contamination comme un risque assuré dans toutes les polices couvrant la Perte d’Exploitation sans dommage direct. Tout en aménageant des couvertures appropriées en réassurance et subventions étatiques.
Les réassureurs considèrent les pandémies comme des risques émergents car ils ne disposent pas d’antécédents leur permettant de construire leurs modèles pour quantifier leurs engagements de souscription.
La solution pour ce genre de risques serait de le couvrir via la réassurance étatique ou par le truchement de bonds financiers ou encore par l’action de Pools de réassureurs mondiaux à même de mutualiser les conséquences d’une telle catastrophe sanitaire et permettrait la couverture des effets sanitaires et financiers en cas de survenance d’une catastrophe sanitaire à l’instar des catastrophes naturelles. A ce niveau nous remarquons que la notion d’assurabilité a varié dans le temps grâce à divers facteurs que sont l’acquisition de données sur les risques couplés au développement de nouvelles méthodes statistiques mais également à l’accroissement des capacités financières mise en place par le secteur des assurances et de la réassurance.
- Pour faire l’historique de ce virus, il faudrait tout d’abord mentionner qu’il fait partie d’une famille de pathogènes découverte depuis les années 1960, mais le coronavirus ou le Novel coronavirus est le nom provisoire découvert en septembre 2012 chez un homme originaire du Qatar qui avait voyagé en Arabie Saoudite. Le premier cas connu était un saoudien décédée au début de 2012. De septembre 2012 au 15 mai 2013, 40 cas étaient notifiés à l’OMS (Organisation Mondiale de la Santé) dont 20 décès, ce virus a été détecté en Arabie Saoudite, au Qatar, en Jordanie au Royaume-Uni, en Allemagne en Tunisie et en France. L’OMS ne disposait pas alors d’assez d’informations pour parvenir à des Conclusions sur le mode et la source de transmission du coronavirus, mais estimait d’après la liste des cas d’Arabie Saoudite que la transmission nécessitait un contact proche et prolongé avec une personne déjà malade. Or, aujourdhui l’origine du Covid-19, lui-même reste un mystère, plusieurs hypothèses sont avancées dont : la transmission par un animal, la fuite accidentelle d’un laboratoire, la création par l’homme en manipulant le virus du VIH, etc.
- Une pandémie est une épidémie présente sur une Large Zone géographique et qui touche une part particulièrement importante de la population à titre d’exemple la peste noire ou peste bubonique a fait entre 1346 et 1350 environ 25 Millions de morts en Europe et probablement autant en Asie, à notre époque le risque a toujours existé du fait de l’émergence de nouveaux agents pathogènes due essentiellement à la manipulation humaines dans le cadre d’essais biotechnologiques.
- La Banque de France a estimé que la France dont le PIB a plongé à 6% le 6 avril 2020 est entrée officiellement en récession.
- A titre d’exemple l’Allemagne a mobilisé un plan global de 1.100 milliards d’euros.
- L’article 39 de la constitution dispose que : « Tous supportent solidairement et proportionnellement à leurs moyens les charges que requièrent le développement du pays, et celles résultant des calamités et des catastrophes naturelles ».
- Historiquement parlant, il convient de distinguer deux fondements à l’assurance, le premier s’appuie sur l’idée de secours mutuel (les sociétés de secours mutuel sont des organisations qui pratiquent l’entraide entre les adhérents pour réduire l’impact de problèmes comme la maladie, l’infirmité, les accidents, le chômage, le décès, etc.) et le du principe de mutualisation des risques et la loi des grands nombres, à savoir un transfert redistributif de risques au sein d’une communauté bien définie. La devise des Lloyd’s « The contribution of the many to the misfortune of the few » paraît appropriée à ce niveau.