Entretien exclusif avec Michel Onfray
Propos recueillis par Mohamed Nait Youssef
Une crise inédite. Le Coronavirus sème actuellement la mort dans les quatre coins du continent. Un fléau plus dévastateur, plus ravageur que la guerre dont l’ennemi est bel et bien invisible. Ipso facto, l’humanité vient de vivre un nouvel épisode crucial de son Histoire contemporaine. On compte les morts, les cas testés positifs, et même ceux qui ont pu s’en sortir…heureusement. En effet, la vigilance, l’entraide et l’attente sont les maîtres mots de la situation! Dans cet entretien exclusif, Michel Onfray nous parle de son confinement, de la crise sanitaire mondiale, de l’absence de solidarité et d’entraide au sein de la communauté mondiale et bien d’autres questions d’actualité. «La mondialisation fait le jeu des fortunes planétaires, elle rend plus riche les riches (et de plus en plus riches…) et plus pauvres les pauvres (et de plus en plus pauvres…)», explique le philosophe français. Et d’ajouter : «Le capitalisme n’a pas voulu l’épidémie, mais il la gère avec son logiciel : le confinement pèse aux pauvres, aux modestes, aux gens de peu, à ceux qui vivent dans quelques mètres carrés. Elle ne pénalise pas les puissants qui, au contraire, trouvent ici l’occasion de faire une pause dans leurs propriétés déjà confinées, protégées des pauvres». Les propos.
Al Bayane: De prime abord, Comment vivez-vous ce confinement?
Michel Onfray : Je ne vais pas me plaindre personnellement. Je suis de ceux qui peuvent choisir leur lieu de confinement…Je devais passer le mois de décembre en Martinique comme chaque année depuis un AVC qui, sinon, se paie chez moi de migraines quotidiennes avec le froid de l’hiver normand. J’habite en effet en Normandie. Mais je me suis cassé le péroné la veille du départ. J’ai donc à cette époque, déplacé mon séjour en… mars ! C’est là-bas que le confinement m’a cueilli ! Mais je suis rentré en métropole le mardi 24 mars, afin de partager la vie commune des français de métropole. Je suis habituellement sédentaire : la solitude, le calme, le silence, l’isolement ne me pèsent pas. Je continue à travailler au même rythme…
Le confinement est-il un moyen pour renouer le lien avec soi-même, avec le monde et le Cosmos?
Pour ceux qui l’auraient oublié, oui. Mais, moi qui suis fils d’ouvrier agricole et qui ait vécu mon enfance et ma jeunesse dans la campagne normande, je ne l’ai pas oublié… En revanche, tous ceux qui, modestes, vivent dans des cages à lapins des villes et des cités n’auront hélas pas le loisir de se poser ces questions existentielles… Ce confinement sera pour eux, l’expérience de la vie en cage des animaux dans les zoos (…).
Avec cette crise sanitaire mondiale, pensez-vous que le monde vient de vivre une espèce de «décadence», notamment avec la fermeture des peuples et des nations?
Notre monde vient de vivre la révélation que nous vivons dans une fin de civilisation. Cette Europe présentée par ses thuriféraires comme un monstre politique luttant à égalité avec les grandes puissances planétaires, s’avère en fait, un tigre en papier pas même capable de produire des masques en papier en quantité pour protéger le personnel soignant qui est au contact des malades, des mourants et de la mort.
Comment expliquez-vous cette absence de solidarité et d’entraide au sein de la communauté mondiale? La mondialisation et la globalisation y sont pour quelque chose?
Il n’y a pas de communauté européenne. Cette fiction cachait la seule fraternité des puissants qui, eux, sont réfugiés dans leurs forteresses où ils vivent une parenthèse dorée avec domesticité, loisir et gastronomie. Pensez-vous que les patrons du GAFA soient exposés ? Je ne le crois pas… La mondialisation fait le jeu des fortunes planétaires. Elle rend plus riche les riches (et de plus en plus riches…) et plus pauvres les pauvres (et de plus en plus pauvres…). Je vous parie que la mortalité des patrons des GAFA sera nulle ou épsilones que. On comptabilisera ensuite, hélas, le chiffre des morts du continent africain.
Dans votre approche de philosophe, vous faites un travail de généalogiste. Pensez-vous que ce nouvel épisode crucial de l’histoire de l’humanité est dû à «une dictature du capitalisme», pour reprendre vos termes?
Le capitalisme n’a pas voulu l’épidémie, mais il la gère avec son logiciel : le confinement pèse aux pauvres, aux modestes, aux gens de peu, à ceux qui vivent dans quelques mètres carrés, elle ne pénalise pas les puissants qui, au contraire, trouvent ici l’occasion de faire une pause dans leurs propriétés déjà confinées, protégées des pauvres. De là, ils continuent à piloter le monde : c’est leur fameux télétravail…
L’occident est un peu à genoux. Pensez-vous que cette guerre dont l’ennemi est indivisible pourrait le mettre par terre?
Les catégories d’Occident et d’Orient sont ignorées par le capitalisme qui ne connait qu’un grand marché planétaire. Mais l’Occident va en effet payer sa part. Et ce seront les plus pauvres qui paieront la facture la plus élevée : les artisans, les commerçants, les hôteliers, les restaurateurs, les ouvriers, les employés. Je vois mal comment les banquiers, les assureurs, les agents immobiliers, les comptables, les fiscalistes, mais aussi les journalistes, les politiciens, leurs amis, pourraient payer leur partie. Sauf à ce que les premiers l’exigent. Ce qui n’est pas exclu le jour venu de la fin de cette peste…
A votre avis, quelles leçons en tirer de cette aventure collective, dangereuse et surtout inconnue?
L’après épidémie ne pourra pas être une simple partie de plaisir… Trop de choses auront été vues et comprises par le peuple pendant ce confinement. Trop de jeux politiciens auront été démasqués. Trop de faux-semblants auront été découverts. Trop de menteurs auront été confondus. La cruauté de la lutte des classes s’y trouve révélée comme jamais. On n’humilie jamais impunément qui que ce soit.
Comment voyez-vous l’avenir du monde après le Coronavirus?
Il chutait avant, il chutera pendant, il aura chuté plus encore après…