Le cinéma numérique ambulant (CNA)

Les rares salles de cinéma présentes au Togo n’ont jamais existé que dans quelques grandes villes et les dernières ont toutes fermé en 2009. Depuis les origines, la forme ambulante a constitué le moyen privilégié de diffuser le cinéma au cœur de ce pays, encore aujourd’hui essentiellement rural. A la suite du Cinéma itinérant du Togo (2002-2011), le Cinéma numérique ambulant, association internationale fondée dix ans plus tôt à partir du Bénin puis du Mali et Burkina Faso, a repris depuis fin 2011 l’organisation de tournées à travers toutes les régions du pays, permettant d’atteindre l’ensemble des populations, notamment les plus défavorisées et les plus éloignées du développement économique et culturel.

Association à but non lucratif fondée en 2011 à Lomé, le succès de l’activité non-marchande du CNA repose sur quelques principes simples et une forte implication humaine de l’équipe. Techniquement,  l’unité mobile est équipée d’un véhicule adapté aux conditions du terrain (4X4), d’un vidéoprojecteur (3 000 lumens), d’un disque dur multimédia et d’un lecteur DVD,  d’une sonorisation stéréo (2 X 300 Watts), d’un micro, le tout alimenté par un groupe électrogène silencieux, d’un écran de 4 X 3 mètres sur un cadre démontable, l’association disposant d’un fonds de films à diffuser (cf. infra).

Comme dans tous les CNA, une fois constituée l’équipe de base comprend invariablement trois personnes : un technicien qui assure la projection et l’entretien du matériel, un chauffeur-assistant, et une animatrice, notamment chargée de présenter les films et d’animer les débats avec le public, et qui prend souvent la responsabilité de l’association. En effet, l’un des choix forts des CNA est de valoriser le rôle et la place des femmes, et depuis l’origine, elles ont été privilégiées pour diriger les associations (toutes montées et enregistrées selon les règles du droit local) : en 2015, huit des neuf CNA sont présidés par une femme.

La vie du CNA s’organise autour de deux grands axes : la recherche des financements et des lieux de projection d’une part, les projections elles-mêmes de l’autre.

Le travail administratif de recherche de financement est mené par la directrice, s’avérant vital puisqu’un principe fondateur intangible réside en la gratuité des projections, et donc en l’absence de recette guichet, moyen principal d’existence de toutes les salles de cinéma commerciales dans le monde. Les CNA refusent par ailleurs de diffuser de la publicité comme de vendre d’autres prestations, et donc l’unique ressource disponible réside en leur aptitude à former des partenariats locaux avec des ONG, fondations, entreprises dans le cadre de leur responsabilité sociale, ou administrations publiques.

La grande mobilité et connaissance du terrain, l’outil même (la diffusion d’images animées), leurs compétences techniques de grande qualité avec du matériel régulièrement entretenu, les savoir-faire des animatrices chargées de mener les débats, peuvent en faire des partenaires appropriés pour de nombreux organismes souhaitant sensibiliser les populations rurales.

Les thématiques ont pu être civiques (campagne pour la lutte contre la discrimination de la jeune fille ou la femme, sur la citoyenneté, etc.), de santé (contre le paludisme (malaria), le sida, etc.), de développement (lutte contre le harcèlement sexuel en milieu scolaire, lutte contre les grossesses précoces, pour la protection de l’enfance, etc.) ou culturelles (la découverte des traditions des peuples, etc.) et peuvent impliquer la participation d’une équipe CNA à des festivals locaux. De grandes ONG ou organismes se montrent souvent intéressés, auxquels s’ajoutent les Services culturels des ambassades, notamment de France qui donnent souvent un « coup de pouce » décisif, notamment dans les premiers temps de mise en route des actions. Mais de fait, les situations varient fortement d’une période à l’autre, en fonction des demandes de ces partenaires institutionnels…

La vocation fondatrice et principale du CNA demeure la diffusion de films africains dans les villages reculés, ou en faveur de publics empêchés, et ils ne situent ainsi jamais leurs actions dans des zones abritant une présence commerciale privée. Au Togo comme dans la quasi-totalité des pays concernés, il n’existe plus de salles de cinéma, et le problème de la concurrence ne se pose donc pas, ou plus. Par ailleurs, ne diffusant pas de films en lien avec l’actualité du marché cinématographique national ou mondial, la question d’une activité antagoniste avec les salles de cinéma ne se pose pas.

Les soirées se déroulent ensuite selon le même ordre : une diffusion musicale, souvent avec des clips, permet de signifier l’arrivée du CNA, entrecoupée de l’intervention de l’animatrice qui incite la population à se rendre sur place. La nuit étant tombée, les travaux des adultes dans les champs s’achèvent obligatoirement, et les enfants déjà présents chantent et dansent avant de s’étendre sur des nattes posées au sol par l’équipe entre le projecteur et l’écran, les adultes restant la plupart du temps debout en cercles concentriques autour de l’écran sur plusieurs dizaines voire centaines de mètres. En de nombreux villages, l’absence d’électricité signifie l’absence de distractions nocturnes, de loisirs comme souvent de télévision, mais également celle de pollution lumineuse, hors les phares de quelques motos ou véhicules de transit selon les espaces.

Environ une demi-heure plus tard, à l’heure annoncée, la projection elle-même débute et se déroule invariablement en trois parties :

  • La troisième et dernière partie est constituée du long-métrage de fiction, obligatoirement un film africain dont les droits ont été acquis ou mis gracieusement à la disposition des CNA.
  • Mais la séance commence par la diffusion d’un ou deux court-métrages comiques des débuts du cinéma, souvent muet (Laurel et Hardy, Buster Keaton, Charlie Chaplin…). Leur succès est constant, ces formes narratives du début du cinéma retrouvant l’efficacité de leurs ressorts un siècle plus tard auprès de populations ayant encore peu, ou pas, accès aux images animées ;
  • Ils se voient immédiatement suivis d’un court métrage ou d’un documentaire de « sensibilisation », fourni par, ou traitant une thématique proche de l’organisme qui a financé la soirée, le plus souvent dialogué en français.

Langue officielle en ces pays, le français demeure la langue administrative et la plus répandue, une partie rurale dominante n’y ayant toutefois pas accès. La cohabitation de plusieurs langues au sein du Togo demeure une réalité contemporaine méconnue. Elle conduit alors parfois le CNA à recruter une animatrice locale (ou une traductrice) si la titulaire ne la maîtrise pas (comme au Nord du Togo), ce qui favorise, en sus des contraintes de distances, la création de plusieurs équipes, ainsi «régionalisées» au plus près des populations. Elle se charge de traduire ou de résumer les films durant les projections.

A l’achèvement de cette projection, elle lance le débat avec l’assemblée, systématiquement en langue locale. Le but est de vérifier que la thématique a bien été comprise, mais également de faire participer le public, toute personne étant incitée et pouvant librement s’exprimer au micro HF, puis de recueillir les témoignages. Ces moments d’échange sont particulièrement chaleureux et conviviaux, l’animatrice suscitant et canalisant les paroles spontanées et vivantes de toute personne souhaitant exprimer son ressenti. Outre le plaisir du moment dans l’échange et le partage, permettre à tous sans exclusive d’accéder au cinéma, donner une base de connaissance de leur propre cinématographie et former les futures générations de spectateurs, tant au goût du cinéma que préparer leur retour dans les salles sont posés comme objectifs prioritaires.

Extrait d’une étude réalisée

par Juliette Akouvi Founou

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