Le récit national 1-3
Le cul-de-sac de la démocratie
Par Sami Zine
Le récit national, narration qui célèbre la grandeur de la nation, les symboles et les hommes qui l’incarnent, les lieux et les événements qui donnent un sens à son passé et à son présent, relève assurément du temps long, et participe à structurer notre personnalité et à nourrir les ferments du vivre ensemble et à nous positionner dans le reste du monde.
La reconnaissance de cette sédimentation de l’identité marocaine dans le préambule de la constitution est une inflexion formidable du texte fondamental qui définit notre espace vectoriel commun.Dans cet espace, le vecteur de la démocratie libérale montre l’orientation du champ politique et sa finitude. Les premières bases de ce vecteur furent introduites par la constitution de 1962, un siècle plus tard que la Tunisie, faut-il le rappeler, et des années lumières après l’adoption de la « Magna Carta » en Angleterre.
Dans ce contexte, les scandales des ministres de ce gouvernement, censés avoir une moralité exemplaire, un comportement irréprochable, les Ramid, Benabdelkader et Amekraz, et peut-être demain Akhannouch, si sa société est condamnée par l’autorité de la concurrence pour une pratique anticoncurrentielle dans le secteur des hydrocarbures, relèvent de l’événementiel.
L’opprobre du public, demeuré inaudible, s’explique par le fait que nous nous trouvons dans un espace démocratique seulement vectoriel et non réel, que la littérature politique désigne par «processus démocratique». Car la démocratie est le fait de démocrates. Et nous ne sommes pas, dans notre majorité, des démocrates, ni par notre éducation, ni dans nos actes quotidiens, ni par nos déploiements politiques.
Nous sommes dans une transition qui perdure, parce que le niveau d’analphabétisme est élevé, parce que la pauvreté impose l’urgence de satisfaire d’abord les besoins de base aux plus démunis, mais surtout parce que notre anthropologie est commandée encore par la verticalité tutélaire : dieu, roi, zaïm, caid, père, que notre système économique est affaibli par la rente organisée dans la continuité de l’ancien monde féodal, que la culture juridique est faible parce que trop récente, etc. Les notions de majorité et de minorité, de négociations, de sanction politique et de liberté ne peuvent encore s’installer solidement et durablement parce qu’elles sont encore moins valorisées que les valeurs traditionnelles séculaires.
Dans ce contexte, les membres du PJD considèrent que la valeur de la référence religieuse de «faire le bien» de monsieur Ramid est supérieure à l’obligation qui lui est faite de respecter la loi en tant que ministre. La direction de l’USFP absout son ministre de la justice du contenu gravissime pour la liberté d’expression d’un projet de loi dont il est l’initiateur au nom de la responsabilité chimérique du gouvernement. Le monde bigarré de facebook, porte-voix d’une multitude qui ne vote pas, fortement impressionné par la série danoise «Borgen» se donne bonne conscience en partageant sa désapprobation.
Notre «démocratie» est dans l’impasse et notre système avance et recule parce que nous sommes assis entre deux chaises et que nous avons choisi de travailler à recoudre l’entre-deux qui sépare des valeurs différentes et des temps différents.