«Le droit de suite est devenu fondamental pour les artistes plasticiens»

Mohamed Mansouri Idrissi, Président du SMAPP

Réalisé par Mohamed Nait Youssef

Mohamed Mansouri Idrissi, Président du Syndicat Marocain des Artistes Plasticiens Professionnels (SMAPP)  met la lumière dans cet entretien sur «Le droit de suite», une  notion qui est  devenue selon lui fondamentale pour les artistes plasticiens. «Il n’est plus acceptable que  des œuvres de plasticiens marocains  soient revendus à des prix très élevés au pays ou à l’étranger sans que les auteurs ou ayants droits  bénéficient du droit de suite.», a-t-il affirmé.  Les détails.

Al Bayane: Le SMAPP et l’Association marocaine des arts plastiques ont organisé, dernièrement, avec le soutien du ministère de la Culture et de la communication le premier Colloque national sous l’intitulé «La situation des arts plastiques au Maroc». Parmi les sujets qui ont été à l’ordre du jour figurent la restructuration du secteur notamment en ce qui  concerne les droits d’auteur et les droits de suite.  Quelles sont vos recommandations dans ce cadre?

Mohamed Mansouri Idrissi: Effectivement le Syndicat Marocain des Artistes Plasticiens Professionnels et l’Association Marocaine des Arts Plastiques ont organisé le 20 décembre 2018, en partenariat avec le Ministère de la Culture et de la Communication, le 1er colloque national sur l’Art : «La situation des arts plastiques au Maroc». Ce fut là un moment important qui nous a permis  d’aborder la problématique spécifique à notre secteur.

C’est aussi l’occasion de remercier le Ministre de la Culture et de la Communication et son administration pour leur appui dans l’organisation de ce colloque et surtout leur ferme engament d’en faire l’évaluation  des recommandations lors du 2ème colloque qui aura lieu à la fin de l’année 2019.

Trois ateliers ont abordé les questions relatives à trois domaines : 1- les droits de l’artiste. 2-l’expertise et la commercialisation dans le domaine de l’art. 3- Pédagogie de l’enseignement artistique. Le premier atelier s’est penché sur les droits fondamentaux de l’artiste et sur les droits voisins dont les droits d’auteur. Il est regrettable de noter que le Bureau des droits d’auteur au Maroc semble ignorer le domaine des arts plastiques. Une invitation officielle avait été adressée au Directeur ; il n’a pas daigné assister à ce colloque, ni se faire représenter.

Les droits d’auteur ont bien été débattus. A noter que des textes anciens avaient réglementé ces droits y compris le droit de suite. A préciser que ces textes se conformaient au droit international. Toutefois, ils furent amendés, en passant sous silence le paragraphe du « droit de suite », sans l’abroger expressément par un texte spécifique. Nous comptons  faire valoir ce droit légal non aboli.  Les commissions sont en train de travailler pour réunir toutes les recommandations dans un document qui sera remis, incessamment aux autorités.

Au sujet du droit de suite qui est devenu d’une  grande  actualité  je tiens à apporter les précisions suivantes. Le «droit de suite» est devenu une notion fondamentale pour les artistes plasticiens. Si les «droits d’auteur»  sont assez clairs comme notion,…le «droit de suite», par contre, doit encore faire l’objet d’explication pour qu’il soit pleinement  intégré dans la réflexion globale sur les  arts plastiques. C’est un droit important pour les artistes plasticiens car il fonde et protège  la rémunération dont doivent bénéficier les auteurs d’œuvres d’art lors des «REVENTES» de leurs œuvres par  un professionnel du marché de l’art. Si un artiste émergent ou en  début de carrière vend une œuvre à un prix défini, il est légitime qu’il puisse participer à la plus value et au «succès commercial» de son œuvre, lui ou ses ayants droits,  en cas de reventes. Le droit de suite  existe depuis 1920 en France, il est intégré dans la loi sur la propriété intellectuelle.  Le droit de suite est géré par la Société des auteurs dans les arts graphiques et plastiques (ADAGP) qui est  connectée en ligne  avec les galeries, les marchands d’arts, disposant ainsi de toutes les informations nécessaire. Elle collecte les fonds et répartit les droits, selon un pourcentage,  aux auteurs et ayant droits. Elle représente aujourd’hui 170 000 auteurs.

Il n’est plus acceptable que  des œuvres de plasticiens marocains  soient revendus à des prix très élevés au pays ou à l’étranger sans que les auteurs ou ayants droits  bénéficient du droit de suite.  Il faut créer le plus rapidement possible  un cadre juridique. C’est une question d’éthique et de justice.   Les artistes ont le  droit de percevoir une juste rémunération de leur travail et talent.

Le sujet  est important car le 28 avril 2017 s’est tenue à Genève La Conférence internationale sur le droit de suite des artistes et notre pays doit s’inscrire dans cette dynamique internationale en faveur du droit de suite.

Le secteur des arts et de la création fait face aux  phénomènes  du   piratage et de la contrefaçon. Qu’en est-il de la lutte contre le faux et la protection de la propriété littéraire et artistique dans l’espace numérique?

Le phénomène de piratage et de la contrefaçon n’est ni nouveau ni propre au Maroc. Cela a toujours existé et continue à se pratiquer dans le monde, et l’espace numérique facilite et aggrave cette pratique, à cause du gain facile.

Nous continuons à dénoncer les auteurs et à les confondre chaque fois que nous avons connaissance de la présentation de faux au public. Nous avions même réussi à faire retirer certaines œuvres de ventes aux enchères il y a 4 ou 5 ans. Cette situation commence à causer du tort à la peinture marocaine, même à l’étranger.

A ce sujet, il faut que le législateur marocain établisse un cadre juridique clair et ferme et spécial contre le fléau du faux dans le domaine de l’art.  Il faut une loi  dédiée «spécialement» au «faux en art» et aux infractions portant atteintes à la propriété intellectuelle aux droits  d’auteurs  et droits voisins.  Car on a rarement recours au dispositif juridique actuel et du code pénal sur le «faux et usage de faux» qui reste trop général.

Des juges spécialises  « en faux et usage du faux en art »  doivent être formés. Cela appelle à une étroite coordination entre  le Ministère de la Justice et le Ministère de la Culture.  Une police de l’art doit aussi être mise sur place.

Par ailleurs, il n’y a pas aujourd’hui de formation dédiée à l’expertise en art  au Maroc et  le ministère de la Culture  pourrait entamer une réflexion à ce sujet. En  attendant il  faut dégager un consensus sur des experts crédibles, respectables  et reconnus par tous en matière d’art pour la délivrance de certificat d’authenticité indiscutables au niveau national et international.

Est-il temps de renforcer l’arsenal juridique concernant la régulation des ventes et du «marché de l’art»?

Une réglementation du marché est bien nécessaire. Elle permet de défendre les intérêts des artistes face aux marchands de l’art. Des contrats types doivent être normalisés précisant les conditions des expositions et les relations entre les deux parties. C’est le domaine qui a été étudié par le 2ème atelier.

Quelles sont vos propositions pour améliorer les droits d’auteur, les droits voisins et les droits de suite, les droits moreaux  au Maroc?

Les recommandations du colloque sont en cours d’harmonisation et de regroupement dans un document qui va être présenté aux autorités très prochainement. Nous ne manquerons pas de vous en parler après.

En conclusion,  je souhaite  souligner  que l’artiste  plasticien joue un rôle important dans la vie et l’évolution de la société et qu’il doit bénéficier des meilleures conditions  pour contribuer à cette évolution.   Il doit exercer, au même titre que tous les autres citoyens, ses responsabilités, tout en préservant son inspiration créatrice et sa liberté d’expression.

Il doit  bénéficier  des sécurités et assurances sociales  prévues par les textes fondamentaux nationaux  et des  recommandations internationales notamment celles de l’Unesco  sur les droits d’auteur, les droits voisins, les droits de suite, les droits moraux.

Il faudrait pourquoi pas assurer aux artistes plasticiens un «statut particulier», organisant leurs domaines d’activités et protégeant leurs situations matérielle, sociale et professionnelle qui est très différente des autres métiers de  l’art comme le cinéma, le théâtre, la musique,  le chant, la chorégraphie, la scénographie,  les arts audiovisuels,…

En fin je voudrai terminer avec un sujet qui me tient à cœur. C’est la présence de l’art dans les espaces publics. La culture et les arts se manifestent dans les espaces publics. Ils façonnent le gout du public pour l’art.  Les espaces publics  doivent  être aménagés en tenant compte de l’avis des artistes concernés.  Il faut encourager une collaboration entre les architectes,  urbanistes et  artistes afin de dégager  une  «esthétique  de l’espace public»  (rues, boulevard, façades, places, gares, aéroports,…) afin apporter une plus value gratifiante au cadre de vie des populations.

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