Le jour où j’ai rencontré Randa Maroufi

Il est bientôt 21h.  L’hiver, la nuit, la luminescence du boulevard Saint-Germain et les feuilles mortes rappelant que c’est encore l’automne.

J’ai donné rendez-vous à Randa Maroufi, jeune artiste marocaine, au café de Flore. J’ai tout de suite su que c’était elle : fluette, les cheveux ondulés, et cet air éternellement jeune des passionnés de la vie.

On est allées à l’intérieur parce que les banquettes rouges c’est beau et parce que Randa Maroufi ne fume pas.

La découverte de Randa Maroufi

Ce n’est pas dans cet automne qui ressemble à l’hiver, ce n’est pas au Flore, ce n’est pas à Paris que j’ai rencontré pour la première fois cette jeune artiste au pull d’un vert franc où dépasse délicatement une chemise à fleurs liberty. C’était en plein hiver, c’était à Bamako.

J’avais été invitée en février dernier à La rentrée Littéraire du Mali où j’ai passé de longs moments au centre culturel de La Medina dirigé par mon ami Igo Diarra.

J’attendais qu’il finisse l’organisation d’un vernissage et je feuilletais les livres des différentes expositions. Un livre mauve Rencontre de Bamako, Biennale africaine de la photographie, 10 ème édition a attiré mon attention.

J’ai tout de suite été interpellée par la beauté éthérée des photos de Randa Maroufi.  La Grande Safae (2014) était probablement le nom de la série photographique. J’ai appris plus tard qu’il s’agissait d’images extraites d’un court-métrage.

En bas de la page, de rares informations sur l’artiste : Née en 1987 à Casablanca. Vit entre Tanger et Paris.

Le coup de cœur artistique

Arrivée à Paris, je me suis mise à faire des recherches sur son travail. Je l’ai contactée et elle m’a envoyé un lien pour visionner La Grande Safae. L’histoire, centrée sur un unique personnage, transsexuel, dont le parcours nous est conté par les voix d’un groupe de femmes de la famille qui l’emploie, repose sur la poésie et l’esthétisme des images.

Rencontre au Flore

Elle s’est assise en face de moi. Je lui ai demandé son âge même si je le connaissais : il y avait un tel contraste entre sa fraîcheur et la maturité de son travail.

Randa, d’où venez-vous, d’où vient La Grande Safae?

– J’ai grandi à Marrakech. J’ai été à l’école marocaine. Quand j’avais 12 ans je mettais des talons hauts, du rouge à lèvres, je me glissais dans le monde de la nuit et j’observais clandestinement pendant des heures un univers qui m’était interdit. J’étais fascinée. Oui je sais on ne peut pas le deviner maintenant, continue cette jeune femme-enfant à l’éclat naturel.

 – Safae, je ne l’ai pas connue physiquement. Elle travaillait pour ma famille, c’était la bonne et comme vous le savez au Maroc les employés font partie de la maison. Elle était très maquillée et refusait d’aller au hammam avec les femmes. Très vite son secret a été deviné mais par respect de Safae au vrai prénom de Mustapha, on feignait de ne pas savoir.

Ce qui est étrange c’est qu’après le tournage ma tante est venue avec une photographie d’époque de Safae. J’avais entendu tellement parler d’elle qu’elle m’était familière mais je ne l’avais jamais vue physiquement. J’ai été frappée par la ressemblance entre mon personnage fictif et la réalité.

Pour La Grande Safae vous vous êtes inspirée d’une histoire familiale réelle pour créer une fiction, pouvez-vous nous parler plus généralement de votre travail ?

– Je ne viens pas d’un milieu artistique. J’ai commencé des études qui ne m’ont pas plu puis je me suis orientée dans le graphisme. Lors de mes études aux Beaux-Arts d’Angers, il y avait un concours organisé par Ouest-France. Je l’ai remporté sans m’y attendre.

Je me base sur la réalité et je travaille dessus comme on travaillerait sur un matériau. Je travaille l’image, je la détourne jusqu’à lui faire raconter une histoire.

En ce moment je travaille sur les échanges dits pauvres. Entre Ceuta et Castillejo, on ne paye pas de douane si l’on passe à pieds. Aussi les femmes ficelles des paquets autour d’elles pour transporter de la marchandise. J’ai demandé à des passeuses de venir dans un studio et j’ai reconstitué leurs gestes de travail quotidien à la lumière du mythe de Sisyphe.

Votre dernier court-métrage Le Park a été sélectionnés à de nombreux festivals, pouvez-vous nous dire plus?

– Je l’ai tourné à Casablanca. A la manière de différents tableaux.

Elle me tend une carte avec le lien et un code pour le voir.

Il faut le voir sur grand écran. Il sera projeté demain soir aux Voûtes dans le cadre du Festival des cinémas différents et expérimentaux de Paris.

Je vous ai connue à Bamako. Je vous rencontre au Flore.  Que faisiez-vous à Bamako?

J’ai été invitée pour présenter mon travail lors de La Biennale de la photographie. Il a été projeté dans la salle du Musée.

Des artistes de tous pays étaient présents mais je ne suis pas trop restée avec eux. J’ai beaucoup travaillé pour que la projection soit réussie et mon temps libre je l’ai passé avec un ami malien à Angers, aux Beaux-Arts.

Question risquée ! Que pensez-vous de Much Love ? de Divines ?

Je pense que le film de Nabil Ayouch aurait pu se limiter à l’histoire de ces femmes qui sont des personnages par elles-mêmes très riches sans s’embarrasser de certains clichés qui parasitent le film. J’ai l’impression qu’il n’a pas réellement fréquenté ces lieux (rires).

Divines, je ne l’ai pas vu !

Nous parlons encore de choses et d’autres. Il est tard.  En partant, je remarque que le roman de Camus Le mythe de Sisyphe dépasse de son sac en cuir marron. Je souris.

En rentrant, j’allume le vidéoprojecteur et je regarde Le Park : une incroyable série de tableaux. Une des séquences ressemble, non sans innocence, au célèbre tableau Le Tricheur à l’As de Carreau de Georges Dumesnil de La Tour, scène se figeant dans l’action mais, comme pour les autres images, quelque chose vient rappeler que l’immobilité n’est qu’illusoire.

Le court-métrage touche à sa fin. Décidément Randa Maroufi fait partie de ces jeunes artistes qui font croire au cinéma marocain de demain!

Maï-Do Hamisultane-Lahlou

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