Entretien avec Louise Ottilie Fresco, ingénieure agronome, experte en matière d’alimentation
Propos recueillis par NES à Benguerir, Karim Ben Amar
Ancienne directrice du département Agriculture au sein de la FAO, et ancienne directrice de l’université de Wageningue, aux Pays-Bas, Louise O. Fresco est spécialisée dans les sciences de la vie et les ressources naturelles. Dans le cadre de la 4ème édition de la « Science Week », l’équipe d’al Bayane s’est entretenue avec l’experte en matière d’alimentation internationalement reconnue. Entre transitions des sols et la préservation de qualité des sols au Maroc, l’ingénieure agronome nous dit tout.
Al Bayane : Pouvez-vous apporter plus d’éclaircissements sur le panel « prendre soin du sol » auquel vous avez participé ?
Louise Ottilie Fresco : Nous sommes ici dans le cadre de la 4ème édition de la « Semaine de la Science » organisée par l’UM6P. Lors de cet évènement, il y a de nombreux experts internationaux qui se réunissent au sein du campus de Benguerir autour de la thématique choisie. Cette année il s’agit donc des « Transitions ». Ce thème est très judicieux car il y a de nombreuses transitions qui s’opèrent dans notre monde, que ce soit technologique, politique, culturelle. Tout cela doit-être vu d’une façon globale.
Et qu’on est-il de la transition des sols ?
Dans le panel auquel je viens de participer, il y a eu une discussion sur les sols qui sont, il faut bien le dire, la clef de voute de toute notre vie. Il se trouve que les gens ne se rendent pas compte puisqu’ils ne regardent pas ce qu’il y a en-dessous de leurs pieds, ils ont plus tendance à regarder droit devant. Et pourtant, sans sol il n’y a pas de nourriture, pas d’eau, pas de séquestration de carbone qui va aider au changement climatique. Et tout cela est la base de notre vie dans un sens. La majorité des gens et notamment des consommateurs n’ont pas une idée de l’utilité des sols et de leurs transitions. Donc dans ce sens-là, il est très important d’en parler.
En tant qu’experte et ingénieure agronome, quels conseils préconisez-vous pour préserver la qualité des sols au Maroc, d’autant plus, qu’il s’agit d’un pays agricole ?
Il est très important de constater que la Maroc a besoin de ses sols. Ses sous-sols pour les richesses minières mais aussi les sols que nous connaissons, que nous voyons qui est la base de l’agriculture et la base aussi de la rétention de l’eau. Les raisons pour lesquelles à certains endroits, les sols sont de mauvaises qualités sont doubles. D’une part, il y a le problème de la surexploitation qui a fait perdre la matière organique de sols et sont donc devenus pauvres et également pauvres en rétention de l’eau. On ne peut donc plus les utiliser de façon facile, et il faudra un travail de réhabilitation qui va prendre des années.
D’autre part, il y a des sols qui sont pollués et qu’il faille nettoyer. Mais il y a aussi des sols qui sont sous-utilisés, et où, on pourrait faire mieux. Et je crois que ce qui est très important pour le Maroc, c’est d’avoir un plan intégré au niveau national. Que fait-on et où et comment, et quelles sont les mesures à prendre ? Pour cela, il faut des investissements du secteur public mais aussi du secteur privé. On se dit que le sol est là, il suffit d’y planter des graines et ça va marcher, cela ne se passe pas comme cela. Il faut par exemple penser à augmenter les taux de matières organiques et cela se fait sur plusieurs années et non pas d’ici demain. Par ailleurs, ce qu’il faut aussi, c’est des jeunes, aussitôt des producteurs que des scientifiques et des préconiseurs de vulgarisation qui s’occupent des sols. En général les gens sont spécialisés soit en engrais, soit en pathologie etc.
Mais ils n’ont pas une vue d’ensemble, alors que pour le producteur, il est souvent difficile de juger son propre sol. Il a plutôt tendance à se dire, ce terrain-là ne donne pas assez, c’est peut-être à cause de la sècheresse ou la qualité du sol ou encore la plante qui est malade. Il faut donc impérativement mettre en place des systèmes de soutien et d’appuis, voire même d’intelligence artificielle qui vont aider considérablement. Mais il faut bien le dire, tout cela demande une politique nationale afin de mettre ainsi l’agriculture au centre du développement de ce beau Royaume.