«Le Maroc accuse un énorme retard en matière de greffe d’organes»

Pr Amal Bourquia, néphrologue et Présidente de l’association REINS

Propos recueillis par Ouardirhi Abdelaziz

Al Bayane: Que représente pour vous la Journée mondiale du don d’organes?

Amal Bourquia: La célébration de la journée mondiale du don d’organes est pour l’association REINS une opportunité de tenter d’attirer encore plus l’attention sur la situation désastreuse du don et de la greffe d’organes au Maroc.

La célébration de cette journée mondiale permettra de sensibiliser davantage sur cet acte de générosité et de solidarité qui sauve des vies, ainsi que sur l’importance de la prévention qui permettra de réduire le nombre de malades qui nécessiteront la greffe.

Le don d’organes peine à trouver sa juste place au Maroc. Comment expliquez-vous cette situation?

De nombreux problèmes limitent l’accès à la greffe dont l’ignorance du sujet. Les résultats des études menées par REINS montrent l’absence d’information sur la greffe et le don d’organes, l’ignorance de la législation marocaine et les positions religieuses vis à vis du don. Il y a aussi la perception du prélèvement et l’état du corps après qui suscitent chez le citoyen de nombreuses questions. La majorité de la population interrogée souhaiterait approfondir leur connaissance sur le sujet.

Les médias sont les principaux supports auxquels se sont adressés les professionnels pour avoir des informations. Par ailleurs, le peu d’implication de l’Etat et l’insuffisance de fonds alloués n’aident pas à l’essor du don d’organes.

Une réflexion nationale, avec l’implication de tous les acteurs, s’avère nécessaire pour optimiser les dépenses et tracer une stratégie pour le futur où l’on verrait la greffe rénale comme une alternative indispensable.

L’Association Reins, dont vous êtes présidente fondatrice, place le combat contre les maladies rénales au centre de ses actions, mais aussi le don et la greffe d’organes. Qu’en est – il de la greffe rénale au Maroc?

Notre pays accuse un retard énorme en matière de greffe d’organes en général et rénale, en particulier. Chaque jour, des hommes, des femmes et des enfants meurent parce qu’ils n’ont pas pu être transplantés au moment opportun… Ils quittent ce bas monde alors que la médecine aurait été en mesure de les sauver.

Faut-il rappeler qu’au Maroc plus de 24 000 patients sont sous dialyse, un chiffre qui augmente sans cesse, alors que le nombre de greffes ne dépasse guère les 500 interventions. Ce chiffre est approximatif, car il n’y a pas de registre et de statistiques précises ou réelles qui sont publiées.

La majorité de ces patients espèrent un jour se faire greffer un rein pour soulager leur souffrance et améliorer leur qualité de leur vie.

Forte de son expérience et de ses actions inlassables tendant à promouvoir le don d’organes dans notre pays, l’Association REINS plaide à cette occasion pour le développement de la greffe, car nous sommes tous concernés. Personne n’est à l’abri!

Qu’en est-il du registre du don et de la greffe d’organes?

La signature collective du registre du don et de la greffe d’organes est une initiative qui s’inscrit dans la continuité de la campagne nationale de sensibilisation au don et à la greffe d’organes et vient en célébration de la journée mondiale du don d’organes. Le premier événement de cette année a eu lieu le vendredi 11 octobre 2019 au Tribunal civil de première instance en présence du vice-président chargé des dons d’organes et du responsable du registre du don. Les déplacements en groupe encouragent les citoyens à aller au tribunal pour signer le registre et tenter de sauver des vies après notre mort. De même, la présence des médias est de nature à sensibiliser l’opinion publique et médiatiser cet acte de générosité.

En ce qui concerne le nombre de citoyens qui sont inscrits sur le registre du don d’organes, il y a près de 1.100 inscrits. A Casablanca, nous avons fermé le premier registre, et l’association REINS a beaucoup travaillé là dessus.

Le premier registre d’inscriptions comporte 496 signatures qui comptent 500.

Le deuxième registre est à sa moitié. Il doit être à 200 signatures. Nous sommes donc à près de 700 signatures, ce qui représente la grande partie à Casablanca.

Par contre, au niveau des autres villes du Maroc, il y a très peu de personnes qui ont signés le registre. Au total, on doit avoir à peu près 1.200 signatures pour plus de 36 millions de Marocains.

Comment s’inscrire sur le registre des dons d’organes?

Se présenter au tribunal de 1ere instance de votre ville, muni de la carte d’identité et s’adresser au responsable du registre du don, puis remplir le formulaire et signer le registre qui sera par la suite validé par le juge en charge de ces dossiers.

Je tiens à préciser qu’il existe deux types de fiches qui concernent le don après la mort, une première destinée au don dans un but thérapeutique et une deuxième dans un but thérapeutique et scientifique.

Qu’en est-il de la religion et du don d’organes?

L’Islam est  favorable au don d’organes. Il dit que «Quiconque sauve une vie a sauvé toute l’humanité» (Coran 5/32). Le prélèvement d’organes, qui a pour finalité de sauver ou d’améliorer la qualité de vie, ne rencontre pas d’objection de principe dès lors qu’il s’agit de sauver une vie en péril.

Les «fatwas» religieuses, dans leur ensemble, sont aujourd’hui unanimes pour permettre le don et le prélèvement d’organes. Notre religion ne s’oppose guère au don d’organes. En effet, prélever un organe d’une personne morte pour sauver la vie d’une personne vivante est un acte permis par l’Islam. Néanmoins, il existe certaines conditions qu’il faut respecter. Faire don d’un organe doit absolument être un acte volontaire et non obligatoire et cet organe ne doit en aucun cas faire l’objet de vente. Pour lutter contre toutes formes de dérives, nous avons au Maroc des textes de loi clairs et précis concernant le don et le prélèvement d’organes.

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