L’entente tacite entre Moscou et Ankara

Conflit du Haut Karabakh

S’il est vrai que le conflit qui perdure entre l’Azerbaïdjan et l’Arménie au sujet de l’enclave séparatiste du Haut-Karabakh, ce territoire  azéri majoritairement peuplé d’arméniens qui s’était autoproclamé indépendant après le démantèlement de l’ex-URSS, était bénéfique au Kremlin et ce double-titre qu’il bénéficiait au complexe militaro-industriel russe en lui permettant de vendre des armes aux deux anciennes républiques soviétiques mais, également, à la diplomatie de Moscou en lui permettant de se positionner en tant qu’arbitre et de maintenir un équilibre des forces dans la région, force est de reconnaître que la donne est bien différente, aujourd’hui, avec l’entrée «officielle» de la Turquie aux côtés de l’Azerbaïdjan.

En effet, après avoir, pendant longtemps, multiplié les déclarations en soutien à Bakou contre ses ennemis-jurés arméniens, Ankara est fortement soupçonnée, aujourd’hui, de l’aider concrètement, sur le plan militaire, en envoyant les miliciens syriens supplétifs de son armée assister les forces azerbaïdjanaises. En outre, la guerre de tranchées à laquelle se livraient les deux pays a, également, changé de nature avec l’entrée, dans le conflit, de ces drones kamikazes TB2, de fabrication turque, qui ont conféré une indéniable supériorité aérienne aux forces de Bakou.

Aussi, cette situation risquerait-elle, à terme, de contraindre Moscou à intervenir militairement alors que Poutine avait toujours répugné à le faire ; d’abord, pour ne pas perdre du terrain en Azerbaïdjan en se rangeant du côté de l’Arménie avec laquelle il est lié par un accord de défense – même si celui-ci ne concerne pas l’enclave séparatiste du Haut-Karabakh – puis pour ne point conforter l’influence turque dans son arrière-cour politique du moment que tout silence, de la part de Moscou, pourrait être interprété, par Ankara, comme étant un aveu de faiblesse.

D’ailleurs, après six journées d’intenses combats pour le contrôle du Haut-Karabakh, Stepanakert, la principale ville de cette enclave montagneuse séparatiste revendiquée par l’Azerbaïdjan mais majoritairement peuplée d’arméniens a été la cible de bombardements par les forces de Bakou qui, selon le ministère arménien de la Défense,  auraient fait « de nombreux blessés parmi la population civile » ainsi que d’importants dégâts matériels.

Aussi, après la réponse favorable de l’Arménie à l’appel à un cessez-le-feu immédiat lancé par le Groupe de Minsk comprenant la France, la Russie et les Etats-Unis et son entière acceptation de toute médiation initiée par ce groupe, l’Azerbaïdjan a indiqué, par la voix de Hikmet Hajiyev, le conseiller de la présidence, que la fin de cette escalade reste, néanmoins, subordonnée à la fin de « l’occupation » du Haut-Karabakh par l’Arménie.

Mais si tout ceci est l’apparent et que l’apparent est inessentiel quand l’essentiel nous est caché, une autre lecture des évènements peut nous laisser entrevoir le fait que même si Poutine pourrait, d’un simple coup de fil, arrêter les combats des deux côtés, il n’en fera rien ; d’abord, pour ne pas voler au secours du Premier ministre arménien Nikol Pachinian, ce héros de la «révolution de velours» arménienne qui, après avoir essayé d’ouvrir son pays à l’Occident pour « diversifier ses sources d’importation et d’influence » est devenu, aux yeux de Moscou, celui qui, par soif de «vengeance personnelle  [aura]  sacrifié, à ses ambitions, le rêve d’une Arménie démocratique» – cette Arménie qui, quoiqu’il lui en coûte, devra rester dans la sphère russe – puis pour régler, définitivement, le problème du Haut-Karabakh en le laissant se dépouiller de sa population arménienne.

La position de Moscou convient aisément au président turc Recep Tayyip Erdogan qui en mettant en avant l’incapacité de la communauté internationale à trouver une solution à ce conflit qui dure depuis trois décennies, a rejeté, ce jeudi, les appels à un cessez-le feu lancés par le Groupe de Minsk en rappelant que «les occupants [arméniens] doivent partir de ces terres pour qu’il y ait une solution».

Pourrait-on supposer, enfin, que la tournure prise par le conflit du Haut-Karabakh résulterait d’une entente tacite entre Poutine et Erdogan dont paiera le prix le peuple arménien ? Rien ne l’interdit, pour l’heure, mais attendons pour voir…

Nabil El Bousaadi

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