Les confessions de Faouzi Lakjaa

Dans cet entretien-bilan, il revient sur l’affaire Hakim Ziyech, sa candidature au comité de la CAF et ses relations avec les clubs. Dans cette interview accordée conjointement à Al Bayane et Bayane Al Yaoum, Faouzi Lakjaa déballe et défend, chiffres et projets à l’appui, son bilan et les réalisations du bureau fédéral deux années après son élection.

Al Bayane : Deux années se sont écoulées depuis votre élection à la tête de la FRMF. Pouvez- vous nous  parler de votre bilan à la lumière de votre programme initial et de vos promesses électorales?

Faouzi Lakjaa : Avant de me présenter à la présidence de la FRMF, j’ai pris contact avec tous les responsables du football national et je leur ai fait part de ma vision, de mon programme et de ma stratégie pour développer le football marocain. Bien entendu, j’ai commencé par dresser des priorités que j’avais résumées en trois parties. L’infrastructure qui englobe les stades mais aussi les structures de formation. Si on est tous d’accord aujourd’hui sur l’importance de ces infrastructures et sur les insuffisances et carences enregistrées à ce niveau, nous devons savoir que des clubs, dont certains évoluent au niveau de l’élite, ne disposent que du stade principal pour jouer les matchs officiels. Il fallait donc s’attaquer d’abord à ce problème au niveau des clubs, des centres régionaux de formation qui relèvent de la direction technique nationale et enfin, du centre national de Maamoura. En toute objectivité et loin de toute surenchère, ce qui a été réalisé à ce niveau est honorable et respectable mais à condition de poursuivre notre travail au cours des années à venir et même au delà de l’actuel mandat.

La deuxième priorité a trait à la formation. Je suis convaincu que le joueur marocain passe par un certain vide entre l’âge de 10 ans, c’est dire au moment de la découverte de son talent et des prémices de son potentiel, et l’âge de 20 ans, c’est à dire au moment de son arrivée en équipe première. Parfois, ce vide a un impact négatif sur ses potentialités brutes initiales. Cette insuffisance est due essentiellement à l’absence d’une formation conforme et scientifique. Pour faire face à ce problème, on a procédé à la restructuration de la direction technique nationale de manière à ce qu’elle puisse entamer son travail sur la base d’un programme préétabli et unifié axé sur la formation des catégories des jeunes, des minimes à l’équipe espoir, au sein de 16 clubs nationaux. Ce programme a été lancé à partir de cette année. Nous avons également distribué, depuis un mois et demi, le matériel nécessaire à ces clubs.

Nous avons constaté également que le joueur marocain de l’équipe première ne peut jouer réellement, ce qu’on appelle le volume du jeu, que 40 à 50 minutes, par match, alors que dans les championnats européens, les joueurs peuvent jouer 80 à 85 minutes de jeu voire 90 mn en Angleterre. Pour pallier cette carence, nous avons ramené des formateurs techniques pour les jeunes de moins de 16 ans et des formateurs physiques qui travaillent selon des normes scientifiques. Nous avons fait en sorte que les programmes bénéficient à toutes les catégories de manière complémentaire.

Pour résumer, nous avons préparé l’infrastructure nécessaire avant de lancer la mise en œuvre des programmes de formation.

A ce titre, permettez-moi de rappeler que nous avons accordé une attention particulière au centre national de Maamoura. Ce monument, qui est l’une des fiertés du football national, méritait cet intérêt particulier. Les travaux de restructuration et de modernisation sont en cours et dans dix mois, ce centre pourra rivaliser avec les plus grands centres de formation du monde comme celui de Clairefontaine en France. Maamoura sera fin prêt pour accueillir toutes les équipes nationales ainsi que la direction technique et le staff médical.

Le troisième volet de notre intervention a porté sur l’institutionnel et la bonne gouvernance. Il faut reconnaître que le travail à ce niveau a commencé depuis longtemps. Des audits financiers ont été réalisés, des commissaires aux comptes dépêchés auprès des clubs ainsi que d’autres actions de ce genre. Mais il fallait faire secouer un peu les clubs de l’intérieur. On avait le choix entre deux procédés : imposer un changement radical et pousser les clubs à sortir de l’ancien système et adopter un nouveau mode de management dans ce qu’on peut appeler le changement dans la rupture.  Ce procédé aurait pu nous conduire à une confrontation frontale avec les responsables du football national. On n’a pas opté pour cette démarche, surtout après l’expérience des cahiers de charges et la première esquisse du professionnalisme qui étaient parfaites en théorie, mais qui se sont heurtées aux dures réalités du terrain.

Nous avons privilégié alors la démarche de l’accompagnement des clubs tout en procédant à des études et des enquêtes, menées par des bureaux d’études spécialisés et sur la base de leurs résultats. Nous avons pu identifier les points forts et les points faibles et mis en place un plan comptable pour le football national, qui sera la deuxième discipline sportive après le golf à se doter d’un plan comptable. Nous allons préparer, à la lumière de tout cela un modèle de gestion qui sera généralisé à l’ensemble des clubs nationaux. Si un club ou deux ou trois ou six le font, il sera alors possible de le généraliser à l’ensemble des 16 clubs de l’élite. Les transferts bancaires, les appels d’offres, le respect des procédures comptables et tous les procédés nécessaires à une gestion transparente doivent être unifiés et par la suite, on passera à la transformation des clubs en sociétés commerciales, tout en gardant leurs identités et leurs âmes. Et pour éviter toute équivoque et toute ambigüité autour de cette démarche, je tiens à dire que le football national va vers une gestion transparente et maîtrisée. Certes, ces mutations vont barrer la route à certains cercles qui gravitent autour des clubs et qui se nourrissent des ambiguïtés de la situation actuelle. A ceux-là, je dis clairement que les temps ont changé.

Il ne faut pas oublier par ailleurs que nos clubs gèrent des budgets qui avoisinent ceux des PME et il est par conséquent opportun d’aller vers un modèle de gestion transparente et saine. Nous sommes prêts à assister les clubs qui vont faire preuve de bonne foi dans ce sens et nous allons faire en sorte de garantir aux associations 30% du capital et ouvrir le reste aux investisseurs, aux annonceurs et aux autres partenaires. L’essentiel, pour nous, serait d’instaurer un modèle de gestion transparent et efficace pour garantir un développement durable de notre football.

Nous avons déjà lancé un séminaire de formation administrative et financière au profit d’un groupe de 60 cadres à Limoges en France. Les clubs sont appelés à nous faire parvenir la liste des cadres qui souhaitent bénéficier de cette formation. Une fois formés, ces cadres seront d’un grand apport aux dirigeants et comités des clubs.

Toutes ces actions et démarches ainsi que d’autres sont nécessaires pour développer le football national. Nos efforts de modernisation des équipements des clubs, des arbitres, les formations, les procédures unifiées et autres nous ont valu les félicitations du président de la FIFA, Gianni Infantino, qui m’a invité à Paris, pour présenter notre modèle et notre projet ainsi les actions entreprises devant les responsables fédéraux du football mondial.

Quid des échecs ?

On ne peut pas nier que le football national, à l’instar de toutes les disciplines sportives est d’abord et avant tout jugé et évalué sur la base des résultats. Hélas, le public n’est pas informé sur l’importance des défis et des problèmes. Si les attentes sont énormes, nous devons savoir que les problèmes le sont aussi.

Deuxièmement et par rapport au chantier institutionnel et la bonne gouvernance, nos actions nécessitent un énorme effort d’accompagnement pour introduire une nouvelle culture de management. A ce niveau, la question est plutôt culturelle et fait face à un cumul de plusieurs années.

Pourtant, des nations africaines ont réussi avec peu de moyens?

Comme je l’ai expliqué précédemment, la préparation des joueurs est un travail de longue haleine. Les moins de 17 ans doivent être préparés 7 années à l’avance. C’est à l’âge de dix ans que les champions doivent être pris en charge. Une bonne préparation d’un jeune lui permet de développer sa capacité d’adaptation et le prépare à intégrer le haut niveau, à l’âge de 20 ans.

Des pays comme le Mali, la Côte d’Ivoire ou le Ghana ont eu le réflexe d’investir dans la formation et ont scellé des partenariats avec les grands clubs. Aujourd’hui, ils ont de grandes équipes et ils alimentent les plus grands clubs internationaux.

Contrairement à ce que l’on pense, ces pays sont en avance et leur niveau dépasse le nôtre de loin.  Car il ne faut pas oublier qu’avant la création de la direction technique nationale, le football national n’était doté d’aucune structure de formation des jeunes et le budget alloué à la formation était nul. La formation des jeunes talents est un travail continu et permanent avec des effectifs, des salaires et des équipements dont le coût est très important. Avant, la direction technique assurée par Jean-Pierre Morlans était chargée uniquement de la formation des entraîneurs uniquement.

Quel sera le sort des clubs qui refuseront de s’adapter à cette stratégie?

Les équipes qui vont refuser de s’adapter vont être en dehors de la dynamique de travail. Nous allons prendre tout le temps nécessaire pour accompagner les clubs, mais une fois le train en marche, il n’y aura pas d’exceptions. Le meilleur moyen pour affaiblir et rendre caduque une loi ce sont les exceptions.

Le sport est aujourd’hui un secteur économique à part entière. Il fait partie de ce que l’on appelle l’industrie du spectacle. Sommes-nous dans cette logique au Maroc?

Théoriquement, je suis tout à fait d’accord. Le sport est un business qui génère de la valeur dans tous les aspects. Evidemment, au Maroc le football et le sport génèrent de la valeur. On n’a jamais fait l’exercice d’évaluer cette valeur. Les nuitées des 32 clubs, les déplacements des supporters, les petits commerces qui gravitent autour, toutes ces activités génèrent de la valeur. Mais nous n’avons là que les prémices d’un secteur économique et le potentiel est énorme et non exploité. Les perspectives de développement sont également énormes, mais comment faire pour les mettre à profit ? Le développement de ce secteur ne peut pas être dissocié de l’ambiance globale du développement du pays. Le football a profité du développement des infrastructures dans le pays. Je ne parle pas ici seulement des stades et infrastructures dédiées au football, mais de toute l’infrastructure du pays : routes, autoroutes, aéroports, voies ferrées, infrastructures hôtelières…

Mais il y a aussi des handicaps liés au niveau social des supporters et du pouvoir d’achat qui freinent l’exploitation de ce potentiel. Certes, on ne doit pas rester otages de ces conditions sociales. Il faudrait trouver les formules nécessaires afin d’accélérer l’éclosion d’un secteur économique attractif et rentable. Nous sommes déjà parvenus à créer certaines conditions de réussite au niveau de l’image de marque, de la publicité, des droits de télévision, là on est à des niveaux corrects. Mais il y a encore du travail à faire pour créer les conditions idoines à la naissance d’un secteur économique rentable et pérenne. Parmi ces conditions, et qui sont à même d’attirer les investisseurs, figurent la transparence et la bonne gouvernance qui sont au cœur de notre action.

Propos recueillis par Najib Amrani

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