Abdelmajid Baroudi
Arracher le lecteur à l’indifférence par le biais de l’écriture, signifie que l’engagement au sens citoyen et esthétique stimule le souci de responsabilité que le texte impose. C’est à mon avis l’un des enseignements que l’on peut tirer de Triste jeunesse qui ne cesse ,tout au long des 235 pages, de taquiner notre passivité et accuser notre carence de manque de problématisation sous prétexte qu’on est condamné à vivre ainsi . Du coup, il est inutile de se poser les vraies questions puisque tout est écrit d’avance. Après tout, à quoi sert l’écriture s’il n’harcèle pas notre conscience ?
Triste jeunesse me met dans une situation embarrassante par rapport au choix de positionnement vis à vis des personnages qui représentent cette tristesse. Faut –il se ranger du côté du malheur ou de l’espoir ? Autrement dit, fallait-il s’identifier à Saïd ou à Houda ? Au demeurant, s’identifier à l’un ou à l’autre reste un positionnement passionnel, démuni d’une objectivité selon laquelle tous les personnages du roman sont l’émanation d’un même vécu plein d’anomalies, lequel vécu doit faire l’objet d’une déconstruction.
J’aurais bien aimé que la symphonie de ce récit éternise en moi la transcendance en me laissant emporter une fois pour toute dans l’oubli de l’immanence. Hélas, le sort des personnages gâche toute errance et m’oblige à m’incliner devant l’entêtement de la réalité. Entre la transcendance s’élevant au sommet de la transe et l’immanence au sein de laquelle je me retrouve confronté à l’amertume du vécu, un récit se trame à l’aide d’un style dont la fiction enjolive le non-dit sans me laisser envahir par les détails car le diable réside dans le commencement de la fin. Au final, seul le texte console ma conscience misérable comme si il me disait : Dès que tu auras fini de me lire, n’oublie pas de transgresser la logique du conte.
Pourquoi donc ces prénoms puisqu’ils vivent la même misère ? Pire, Saïd porte son prénom sans le vivre. Il est le contraire de ce qu’il est. A bas la notion Aristotélicienne de l’identité, sa mêmeté et sa portée tautologique. On a appris une blague qu’on a prise au sérieux, laquelle blague consiste à dire que les noms sont compatibles à la nature. II s’est avéré que les personnages de Triste jeunesse, tout comme moi, portent des prénoms contraires à leur réalité, à ce qu’ils sont.
Saïd signifie en arabe Heureux. Mais en réalité Saïd, est-il heureux ? Son parcours dans Triste jeunesse nous dit le contraire car son projet est justement de sortir du malheur enquête d’un bonheur que Saïd n’en connaîtra que le mot. Saïd est en effet synonyme de déception affective et existentielle. Il voulait bannir l’idée formelle de l’identité pour donner sens à sa vie, lui assigner une connotation existentielle et devenir ce qu’il veut, contrairement à ce qu’il est, c’est-à-dire Saïd le malheureux. Mais à qui tu racontes ta misère Saïd ?
La tristesse s’amplifie dès que l’amour côtoie la misère. Houda avait raison de dénoncer cette complicité qui n’engendre que la déception. Suffit-il d’aimer pour être (saïd), heureux ? Dans un pays où la frustration est de mise, Saïd, Houda et Younes ne posent qu’une seule question : Comment fuir cette réalité ?
Mohamed Nedali, de par la finesse de son récit a réussi à décortiquer la complexité d’une société dont l’imprévisible dérange l’analyse .Toutefois, le concept devient oxymore tandis que la théorie n’obéit point au discursif. Il faut donc tout remettre à plat comme disent les journalistes que l’on invite sur les plateaux de France télévisions.
Aimer, c’est fantasmer sur le bonheur. Saïd et Houda sont le produit d’un système qui ne fertilise que les rêveries. Les deux amoureux ont beau compter, au final, le résultat est multiplié par zéro, pour reprendre le jargon de la plèbe. Au pays des contrastes l’amour avoisine la tragédie. Et puis, la légitimité de se projeter dans l’avenir s’effondre devant une réalité dont le clientélisme prime au détriment du Droit et de la méritocratie. Le rêve d’être utile à la société s’effrite et cède la place au désespoir qui à son tour dégrade le sentiment d’aimer et chasse l’idée du bonheur qui n’est utile que pour la philosophie. C’est aussi de ce bonheur que servent les vendeurs de billets pour «le paradis». L’amour c’est vivre dans la dignité et le respect du droit et du devoir. C’est ce que malheureusement Houda et Saïd n’ont pas goûté. Quelle tristesse!
Je suis au Toquet de la place Saint –Fargeau. Je prends mon café et en profite pour achever la lecture de Triste jeunesse. Ce serait de l’égoïsme de ne pas partager le plaisir du texte avec mon voisin. Je brise le silence et lui demande :
– Auriez-vous la gentillesse de lire cet extrait ?
+Avec plaisir
Je lui tends le roman en lui montrant le bout du texte à lire :
«Au bout d’une demi-heure de marche, nous quittâmes la piste, enjambâmes un ruisseau et nous nous retrouvâmes ainsi à l’orée d’une pinède dense, calme, belle, d’une beauté originelle : on eût dit le monde d’avant l’avènement de l’homme» (2).
+ On dirait du Baudelaire.
-Non, c’est du Nedali.
+ C’est qui Nedali ?
-C’est un écrivain Marocain.
+ C’est beau cet endroit, c’est où ?
– Dans les régions de Marrakech.
+Marrakech !
Je reprends mon livre, j’achève Triste jeunesse et je m’en vais.
-Au revoir.
+Au revoir.
Force est de constater que ce roman a pour objectif, à mes yeux, de montrer le revers de la carte postale. Il se trouve que la beauté originelle cache les cicatrices d’une jeunesse rongée par le désespoir.
Triste jeunesse est toujours d’actualité. Le contraste du prénom Saïd, conjugué au malheur me renvoie au sort de Hayat. Cette fille, tout comme d’autres, voulait vivre, mais on l’a tuée. Pauvre Maroc.
Une dernière remarque : Je peux affirmer, après avoir consulté plusieurs écrits de romancierEs MarocainEs, que le roman Marocain, d’expression Française se porte bien.