«L’ISADAC doit ouvrir des pistes et faciliter l’insertion professionnelle de ses lauréats»

Rachid Mountasar a été nommé récemment au poste de directeur de l’Institut supérieur d’art dramatique et d’animation culturelle (ISADAC). Le niveau directeur désormais en charge de la principale école de formation des spécialistes des arts du spectacle du Royaume, mise sur la formation, une formation bien évidemment de qualité et qui tient compte de la spécificité culturelle du Maroc, pour redorer le blason de l’établissement. Rachid Mountasar aborde également le défis de l’Institut, entre autres assurer l’insertion professionnelle de ses lauréats et les problèmes d’infrastructures de l’Institut. Pour lui, l’insertion professionnelle des lauréats de l’Institut réside dans les mains de l’Institution qui doit en faire son cheval de bataille.

Al Bayane : Vous venez d’être nommé au poste de directeur de l’Institut Supérieur d’Art Dramatique et d’Animation Culturelle (ISADAC). Quelle est votre vision et votre stratégie pour une mise à niveau de cet établissement?

Rachid Mountasar : Avant de parler de vision, je pense qu’il faudrait revenir sur l’historique de l’ISADAC. Les fondateurs de cet institut ont été à mon avis les précurseurs de ce qu’on appelle aujourd’hui la réforme universitaire, dans le sens où ils avaient déjà pensé, à  l’époque, en termes de formation modulaire. Cette approche tient compte de la double vocation de l’établissement, celle d’être un institut de formation artistique professionnelle et plus concrètement, de l’art dramatique et en même temps, un espace académique censé produire des chercheurs dans différents domaines: dramaturgie, mise en scène, scénographie, animation culturelle… et ayant un caractère pratique et professionnel. Je pense que telle est la spécificité de cet institut. L’ISADAC ne se limite pas uniquement à former en matière de savoir, mais plutôt de savoir-faire avec bien évidemment une conscience aiguë des différentes demandes du secteur, que ce soit la télévision ou le théâtre. Ma vision personnelle, et je le dis en toute modestie, s’inscrit dans la continuité de celle des fondateurs. J’aurai peut-être un apport personnel au niveau de la pédagogie globale, notamment pour s’adapter aux nouvelles évolutions et attentes de la société. Aujourd’hui, il faut dire que de nouveaux domaines émergent. Je pense dans ce cadre au théâtre trois dimensions (le théâtre virtuel en l’occurrence). L’ISADAC est-il obligé de suivre cette évolution ? C’est un débat qui doit être abordé dans les départements.

Je pense que la formation théâtrale au Maroc doit tenir compte de la spécificité culturelle de notre pays, et c’est là où réside le grand défi, notamment quand il s’agit de pédagogie. Il existe différentes pratiques de spectacle. Si on rentre dans une étude comparative : en Espagne par exemple, toutes les écoles d’arts dramatiques enseignent le flamenco, sauf qu’elles ne l’enseignent pas parce qu’elles veulent former des danseuses ou des chanteurs de flamenco. Elles le font pour permettre aux étudiants de connaitre les techniques vocales et les techniques du  corps propres à leur culture, la culture andalouse. Transposons cela à l’enseignement de l’art du spectacle au Maroc, je pense qu’une formation de ce genre doit tenir compte des techniques du corps (les techniques du corps des gnaouas, les techniques vocales des différentes formes du chant amazigh). Pour ce faire, il faut trouver les personnes aptes à enseigner cela… ce qui n’est pas du tout facile.

Quelle sera votre démarche pour améliorer la qualité de l’offre de la formation professionnelle?

Il n’y a rien à inventer. Le grand défi c’est d’appliquer ce qui est exigé et demandé. Autrement dit, le fondement de base c’est former un acteur. Ce qui signifie le former au niveau des techniques vocales, lui permettre une certaine conscience du corps, le doter de compétences en matière d’imaginaire, stimuler son imaginaire, stimuler la créativité à travers des cours sur la dramaturgie, l’importance de l’écriture. Il y a un cursus de formation déjà établi. Tout le travail consiste d’abord à appliquer ce qui est requis pour la formation de l’acteur, tout en ayant une certaine exigence et rigueur dans la formation des étudiants. Il s’agit de former des acteurs, des scénographes, des animateurs culturels avec des formations fondamentales qui tiennent compte également des défis et besoins du «marché».

Un bon nombre de lauréats de l’institut sont souvent en proie au chômage. Pensez-vous que cela est dû principalement à la formation ou à l’absence d’un véritable « marché » du travail dans les métiers artistiques ?

C’est très difficile de généraliser puisque nous ne disposons pas de données et nous n’avons pas encore réalisé d’étude concrète. Je pense que le potentiel du corps professoral au sein de cette institution n’est pas encore exploité. Je pense qu’un acteur a beaucoup de choses à vendre aux entreprises. Un acteur a l’art de séduire les grandes entreprises. Je ne m’inscris pas dans cette logique, mais il faut avouer qu’il y a un marché. Je pense que l’ISADAC, en tant qu’institution, doit ouvrir des pistes et faciliter l’insertion professionnelle de ses lauréats. Nous ne sommes pas là pour former des chômeurs. C’est vrai, parfois, la réalité nous dépasse, mais il y a quand même un travail à faire. Celui-ci consiste entre autres à susciter l’intérêt chez les entreprises publiques ou privées, tisser des partenariats avec eux pour créer des espaces d’insertion professionnelle des artistes.

Selon vous, le Maroc a-t-il  une politique théâtrale, voire culturelle?

Il y a des tentatives individuelles de la part de chaque gouvernement, de chaque parti politique par rapport à ses convictions, des positionnements à l’intérieur. Il faut même dire que certaines forces n’ont même rien à voir avec la chose culturelle. Mais dire qu’il y a véritablement une politique culturelle, je ne le crois pas. La preuve, c’est qu’il me parait anormal qu’un institut comme l’ISADAC souffre du manque d’infrastructures. Ce n’est pas normal, depuis 30 ans, l’institut a fait ses preuves en formant de grands artistes, de grands acteurs de cinéma, de théâtre, de metteurs en scène, des écrivains… mais il n’y a pas de retour par rapport à la gestion politique de la chose publique. De mon point de vue, il y a beaucoup d’efforts à faire à ce niveau-là.

Envisagez-vous développer des masters classes, des laboratoires de recherche pour améliorer la formation des étudiants?

Ce qui m’intéresse d’abord et avant tout, c’est la formation. Concernant les masters classes, je pense que vous vous référez à des stages avec des intervenants étrangers…  oui il y a un travail qui se fait actuellement à ce niveau, mais il va se faire davantage dans le cadre de la coopération internationale. Nous avons un projet de signature de convention avec l’Ecole royale de l’art dramatique de Madrid. Le 16 mars, nous avons un rendez-vous avec son directeur et son directeur d’études. Nous avons des contacts avec l’Ecole de Berlin. Il y a une collaboration à venir avec la Fédération européenne des écoles d’art dramatique… Ce type de coopérations internationales permettra de compléter la formation par des spécialités.

Le Maroc a connu dernièrement une évolution au niveau des infrastructures culturelles, notamment avec les grands théâtres de Rabat, de Casablanca, d’Oujda, de Tanger, ainsi que d’autres établissements et centres culturels régionaux. L’ISADAC doit-il accompagner cette évolution afin de contribuer à assurer des ressources humaines compétentes pour gérer et animer ces espaces et institutions?

Je pense que c’est l’une des responsabilités et engagements de l’institut. Il est de notre devoir de favoriser l’insertion professionnelle de nos lauréats en tenant compte de ce développement d’infrastructures. Nous assisterons dans deux ou trois mois, à l’ouverture du grand théâtre de Tanger. L’institut travaillera dans ce sens, notamment en faveur des étudiants de l’animation culturelle, pour voir les différents types de partenariats que nous pouvons tisser dans cette optique. Et là, les choses sont beaucoup plus faciles puisqu’il s’agit d’un projet mené par le Ministère de la Culture. Il me semble qu’à ce niveau-là, les lauréats de l’animation culturelle n’auront pas de problèmes pour leur insertion professionnelle.

Le théâtre marocain a connu dernièrement un véritable essor avec l’émergence de nouvelles «jeunes» sensibilités. Des jeunes qui n’ont pas uniquement raflé des prix lors des festivals nationaux et internationaux, mais qui ont versé un sang nouveau dans les veines du théâtre marocain. Quel regard portez-vous sur cette nouvelle «vague» de jeunes artistes et metteurs en scène dont la plupart sont des lauréats de l’institut?

Je pense qu’il y a de quoi se réjouir. C’est très simple : dans le domaine de la création de manière générale, il n’y a pas de hasard, parce qu’on forme des personnes avec des outils et des techniques précises et efficaces. La formation produit toujours des fruits à court, moyen et long termes. C’est une raison de plus pour insister davantage sur la nécessité de l’éducation artistique dans notre pays. Il y a une véritable dynamique avec un développement des festivals, des rencontres, mais sur le plan de la pédagogie et de la formation, des efforts considérables restent à faire.

Peut-on espérer un jour avoir une véritable «industrie» théâtrale?

Ce que j’aime dans la question ce n’est ni le mot «industrie», ni le mot «théâtrale», mais plutôt «espérer». Quand on espère, on marche… et plus on marche, plus l’espoir  s’éloigne… Donc, on est obligé de marcher, de continuer la marche. Bien évidemment, l’espoir ne suffit pas parce qu’il faut avoir une vraie politique culturelle et un engagement de la part des hommes politiques. Il faut que ce soit une conviction, loin de tout calcul politique. La culture aujourd’hui n’est pas un luxe, c’est une nécessité!

Propos recueillis par Mohamed Nait Youssef

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