« L’UM6P est un exemple à suivre »

Entretien avec Charlette N’Guessan, consultante experte en IA

DNES à Benguerir, Karim Ben Amar

Dotée d’une expertise en intelligence artificielle (IA) et en ingénierie des produits de données, Charlette N’Guessan plaide pour une IA responsable en Afrique. Elle occupe actuellement le poste de responsable des solutions de données et de l’écosystème chez AMINI, une startup de deep-tech qui utilise la technologie spatiale et l’IA pour pallier la rareté des données environnementales en Afrique et dans les pays du Sud. Avant cela, elle a cofondé et dirigé le développement de Bace API, un système de vérification d’identité sécurisé basé sur la reconnaissance faciale alimentée par l’IA. Cette solution vise à lutter contre la fraude d’identité en ligne et à atténuer les biais de reconnaissance faciale dans le contexte africain. En tant que consultante experte en IA auprès de l’APET, le Groupe de haut niveau de l’Union africaine sur les technologies émergentes, Charlette joue un rôle crucial dans l’élaboration du paysage de la gouvernance de l’IA en Afrique. Elle contribue activement à la stratégie continentale UA-IA intitulée « Exploiter l’intelligence artificielle pour l’Afrique : Développement socio-économique ». En marge de la Deep Tech Summit qui s’est tenue dans le campus de l’UM6P de Benguerir du 9 au 10 mai, l’équipe d’Al Bayane s’est entretenue avec l’experte.

Al Bayane : Un mot sur l’événement Deep Tech Summit et du cadre dans lequel il se tient ?

Charlette N’Guessan : C’est un super événement. Aujourd’hui, nous avons un endroit où on se retrouve en tant que Deep Tech entrepreneur, développeur. Ce sommet est un cadre où on peut voir ce qui est en train de se faire dans d’autres marchés. Le Maroc invite des innovateurs de différents pays pour voir ce qui est en train de se faire ailleurs et puis on voit aussi des collaborations intéressantes. À mon avis, cet événement doit se tenir chaque année parce que ça contribue à l’innovation et puis ça encourage aussi les jeunes à voir ce qui est en train de se faire et se dire qu’il y a une possibilité. Pour ma part, j’ai passé un super bon moment et j’ai été émerveillée par l’UM6P. Le cadre a été vraiment développé pour encourager l’innovation. J’ai vu autant de jeunes femmes que de jeunes hommes dans l’université et puis j’ai vu aussi une diversité. Il y a des étudiants qui viennent de toute l’Afrique, ce qui est super intéressant. Ce qu’on relève, c’est que dans nos universités traditionnelles, il y a un challenge en termes de ressources. C’est donc compliqué d’innover dans ces universités-là. Aujourd’hui, l’UM6P est un exemple à suivre, un modèle en terme d’innovation, de formation pour les jeunes qui veulent vraiment innover. De plus, l’événement est vraiment réussi, il y a des personnes intéressantes à rencontrer, des solutions innovantes et puis on voit surtout le potentiel de l’Afrique, on voit les opportunités, on voit le cap dans les challenges et comment les résoudre ensemble.

Pouvez-vous nous parler du modèle marocain en terme de Deep Tech ?

Le modèle marocain est super intéressant. Nous allons voir le volet formation à savoir la formation qui s’oriente en terme d’entrepreneuriat. Cela consiste à pousser les étudiants à ne pas penser directement à aller chercher du travail, mais à voir comment ils peuvent être des créateurs d’innovation pour résoudre des problématiques au sein de leur pays, au sein de la communauté, c’est très stimulant et prometteur pour l’avenir. Personnellement, je suis adepte de ce modèle-là, de plus, les ressources sont disponibles. j’espère que ce modèle sera déployé dans tout le Maroc.

Quid de la Deep Tech en Afrique ?

La Deep Tech en Afrique est un secteur nouveau. Tout au long de ce sommet, on a vu beaucoup de jeunes entrepreneurs, des startupers qui sont en train de passer à l’innovation, qui pensent solution. On a aussi des applications, des outils qui ont été développés avec la Deep Tech, et qui sont utilisés par certaines entreprises locales également. Cela montre qu’il y a quand même une certaine compréhension, et donc une opportunité de marcher au niveau de la Deep Tech. Maintenant, il y a un besoin de réglementation, et c’est un sujet très important. Quel cadre éthique faut-il déployer en Afrique pour voir de belles solutions ? Cela n’est pas encore vraiment défini, mais on y pense. On travaille avec des politiques nationales et continentales qui existent déjà. En termes d’application, on espère que cette politique-là mettra en place des lois parce qu’il faut un cadre réglementaire pour promouvoir la Deep Tech. En plus de cela, on a déjà des réglementations autour des lois portant sur la protection de données à caractère personnel et aussi la sécurité de nos systèmes. Où doit-on s’arrêter ? Où doit-on mettre des limitations ? L’humain est curieux et donc innovateur, l’objectif n’est pas de limiter le domaine de l’innovation, mais plutôt de s’assurer qu’il n’y a pas de mauvaises intentions qu’on développe. On développe des solutions qui vont répondre à un besoin et qui vont être utilisées et être accessibles. Mais en même temps, l’intérêt n’est pas de créer des instruments qui vont avoir des impacts négatifs. Il faut vraiment réfléchir au volet impact court terme, mais aussi long terme.

Pouvez-vous nous parler de l’avenir et des obstacles à lever pour l’émancipation de la Deep Tech ?

Nous devons penser aux opportunités et problématiques liées à la Deep Tech. On ne peut pas prendre le risque de ne pas encourager l’innovation. Nous devons aussi faciliter la collaboration entre les parties prenantes. Je parle du gouvernement qui doit travailler avec les développeurs de la solution et puis ceux qui l’utilisent. Une certaine collaboration doit impérativement naître. Il y a aussi le besoin de stimuler le développement des infrastructures parce qu’on a besoin d’un cadre favorable au déploiement de solutions qu’on développe. Il y a aussi le besoin d’encourager la consommation locale, donc d’aider les entreprises. Il y a des solutions qui sont développées par des jeunes entrepreneurs, jeunes innovateurs qui sont précises, qui ont des modèles très intéressants. Mais ce qui est impératif, c’est de penser à une collaboration entre les pays africains. Nous devons avancer ensemble. Il y a des marchés africains qui sont plus développés en termes d’infrastructures, en termes de Deep Tech. Si on voit l’UM6P répliquer un modèle comme ça dans un pays comme le Niger, par exemple, ce serait super intéressant. Il y aura des échanges au niveau des étudiants, il y a cette possibilité-là. Aujourd’hui, dans le domaine environnemental, par exemple, là où je travaille, on utilise les données satellitaires et également les données directement collectées à partir des « Devices » comme IoT. On les calibre et on génère des insights qui sont utilisés par des planteurs pour améliorer leur productivité. Il y a d’autres acteurs clés aussi, comme les entreprises comme les banques, les assurances, qui peuvent aussi maintenant être capables de développer des solutions, des produits pour ce qu’on appelle les credit scoring, ce genre de produits qui permettent les prêts aux planteurs. Aujourd’hui, avec les données de la terre, on peut comprendre si cette terre-là est riche et fertile, et en deux ou trois mois, quelle sera la productivité. On peut faire des prédictions. Il y a des opportunités. On a des jeunes talentueux, on a des jeunes qui ont besoin de cartes, d’opportunités pour pouvoir faire avancer les choses, il faut les accompagner.

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