L’URSS s’est effondrée, mais l’idéal de la Révolution est toujours présent

Centenaire de la Révolution d’octobre :l’anniversaire revisité à l’initiative de la Fondation ALI YATA

A l’occasion du centenaire de la Révolution d’Octobre, évènement d’importance planétaire qui avait permis aux bolcheviks, emmenés par Vladimir Illitch Oulianov Lénine de s’emparer du pouvoir en Russie, la Fondation Ali Yata a organisé, samedi au siège national du Parti du progrès et du socialisme à Rabat, une conférence-débat avec la participation des Professeurs Ismail Alaoui, président du Conseil de la présidence du PPS et de la fondation, Khalid Naciri, membre du BP du PPS, Ahmed Herzenni et Abdellah Saâf, qui ont procédé au décryptage, chacun de son point de vue, de l’anniversaire, loin de toute nostalgie.

Pour l’histoire, il faut rappeler que le 25 octobre 1917, les bolcheviks avaient pris le pouvoir dans la capitale russe Petrograd (Saint-Pétersbourg). C’est l’acte de naissance du premier Etat communiste de l’histoire, qui a régné sur la Russie, les pays baltes et l’Asie centrale pendant 70 ans. L’événement a aussi influencé tous les mouvements révolutionnaires et les gouvernements marxistes du XXe siècle et continue de nourrir les espoirs de nombreuses forces politiques et sociales.

En 1917, l’empire russe, qui s’étend de l’est de l’Europe à l’Asie, participait aux côtés des Alliés à la Première guerre mondiale qui ne lui réussit pas. Il a connu cette année deux révolutions. En février, les habitants de Petrograd, ont mis bas le tsarisme, puis en octobre, les bolcheviks, emmenés par Lénine, s’emparent du pouvoir, fondant quelques années plus tard l’Union des républiques socialistes soviétiques (URSS), qui présidera pendant soixante-dix ans aux destinées de cette partie du monde.

Khalid Naciri : l’idéal de la Révolution d’octobre toujours vivace

En dépit de l’effondrement en 1990 de l’URSS, l’idéal et les rêves de la Révolution d’octobre sont toujours vivaces, a souligné d’entrée de jeu le modérateur de la rencontre, Pr Khalid Naciri. Il a déclaré que cette conférence est organisée à l’initiative de la Fondation Ali Yata en commémoration du centenaire de la Révolution d’Octobre, un événement planétaire qui a marqué un tournant dans l’histoire de l’humanité et dont il faut tirer les enseignements nécessaires.

Selon lui, il est nécessaire de revenir en détail sur cette Révolution, en dépit de l’effondrement en 1990 de l’URSS, dans le but d’identifier les points forts et faibles de ce mouvement.

L’effritement de l’URSS et des démocraties populaires en Europe de l’Est ne signifie en aucun cas la fin de l’histoire de l’humanité, comme l’avançait Francis Fukuyama, après la chute du mur de Berlin, a-t-il dit. Cette évolution est plutôt le résultat de la lutte sans merci qui a opposé de tout temps capitalistes et socialistes, a-t-il estimé.

Telle que développée par Karl Marx et Lénine, la pensée communiste est loin d’être du prêt à porter. C’est une invitation à la réflexion, dont la justesse doit être jugée par rapport à la réalité, a-t-il dit.

Au-delà des nouveaux concepts développés par les théoriciens marxistes, comme la dictature du prolétariat, il est nécessaire d’approfondir aujourd’hui la réflexion sur les pistes possibles de construction de l’idéal socialiste, car il n’y a pas de modèle accompli applicable à toutes les situations.

Pour sa part, le PPS, toujours fidèle à son référentiel socialiste, tient dès le départ à adapter sa pensée à la réalité dans laquelle il opère, a-t-il rappelé, estimant qu’il est erroné aussi de vouloir réduire le marxisme à un simple économisme.

Ahmed Herzenni : l’avant-gardisme est le virus qui a rongé de l’intérieur cette Révolution

Après avoir mis en relief les points forts de la Révolution d’octobre qui a permis aux peuples russe et des autres pays de l’ex URSS de s’affranchir et de les doter d’un Etat fort ayant contribué de manière décisive à la défaite du nazisme, Pr Herzenni a indiqué que la victoire des bolcheviks a suscité les espoirs de tous les peuples opprimés partout dans le monde.

Elle a aidé les pays asiatiques, africains et latino-américains et les salariés surtout en Europe occidentale, aux Etats-Unis et ailleurs à arracher des acquis importants dans le cadre de leur lutte syndicale.

Cette Révolution d’octobre a malheureusement donné lieu à des excès et nombreux sont les révolutionnaires, sensés bénéficier des fruits de leurs sacrifices, qui ont été massacrés au nom de la révolution.  Des paysans, des ouvriers, des intellectuels de tous bords, des artistes ont été la cible de purges menées au nom de la révolution, dont l’évolution s’est traduite par une militarisation excessive et des interventions militaires dans d’autres pays comme en Afghanistan.

C’est pourquoi, l’URSS s’est effondrée en 1990, a-t-il dit, soulignant que l’avant-gardisme est le virus qui a rongé de l’intérieur cette révolution. Pour Marx, c’est le prolétariat qui doit être l’avant-garde de la Révolution, lequel prolétariat ne peut accéder à la prise de conscience qu’à travers la lutte syndicale laissant ainsi à l’élite intellectuelle le soin de prendre le poste d’avant-garde.

Pour y arriver, on a du recourir à la force pour aboutir en fin de compte à une avant-garde individuelle et non pas collective.

Et c’est en s’appuyant sur une telle réflexion, que Joseph Staline a établi un pouvoir personnel qu’il a exercé sans partage jusqu’à sa fin, a-t-il dit, estimant que le projet initial comporte en lui les ingrédients d’un système libérateur qui s’appuie sur la participation des masses populaires, sans quoi il ne peut pas durer à l’image du pouvoir soviétique.

Il a également émis un certain nombre de critiques de la théorie marxiste au sujet de la nature progressiste de l’industrie pour la maitrise de la nature et d’un certain nombre de modes de production, appelant à une relecture des données pour se réconcilier avec la biodiversité.

Selon lui, il n’y a point de classe détentrice de vérité, mais des groupes et des classes exploités qu’il faut encadrer et aider pour s’affranchir de leur situation.

La Révolution d’octobre a suscité beaucoup d’espoirs qui n’ont pas pris fin avec la disparition de l’URSS, a-t-il dit.

Abdellah Saaf : la Révolution d’octobre, fruit de toute une évolution

La Révolution d’octobre, sans laquelle rien ne pouvait être fait en particulier dans les pays colonisés, est l’aboutissement d’une situation qui n’a cessé de mûrir depuis le début du siècle dernier en Russie (1905, 1906, 1913), selon Saaf. Depuis lors, plusieurs événements survenus ont contribué à la fin du régime des tzars qui régnaient en dictateurs sur la Russie.

Après la victoire de la Révolution en 1917, l’URSS qui en est issue, n’a résisté que pendant 70 ans, pour de nombreuses raisons liées pour certains à la brutalité des Bolchéviks qui ont disséminé les autres et en particulier, les Mencheviks. Pour ce faire, ils avaient mis sur pied la Tchéka, la police politique créée en décembre 1917 pour combattre les ennemis du nouveau régime bolchevik. Son organisation était décentralisée et devait seconder les soviets locaux.

Immédiatement après sa victoire, le nouveau régime bolchevik, avait adopté aussi sous l’impulsion de Lénine, une série de lois visant l’égalité Homme-femme, le mariage civil, la fin des privilèges et distinctions, l’assurance-maladie, le contrôle ouvrier des usines et autres.

Après sa mort en 1924, Lénine aurait laissé un testament, des écrits qui expriment son avis sur le comportement et le caractère de plusieurs dirigeants et qui attirent notamment l’attention sur le caractère violent et brutal de Staline.

Selon Saaf, Lénine est totalement différent de Staline comme l’a montré plus tard son comportement avec Trotski, assassiné dans un pays étranger.

Il est vrai que Staline a dû faire face à une guerre sans répit menée contre lui de toutes parts sur les plans interne et externe, mais il est vrai aussi que la Révolution a eu lieu peut être dans un pays comme la Russie où les conditions objectives et l’existence d’un prolétariat fort faisaient encore défaut, a-t-il estimé.

Ce qui n’empêche en rien de nourrir toujours l’espoir et le rêve de dégager du patrimoine de la Révolution d’octobre le meilleur moyen de parvenir à la réalisation d’une société de dignité pour tous, a-t-il expliqué.

Moulay Ismail : c’est l’URSS qui a signé la défaite du nazisme

C’est l’URSS qui a signé la défaite des forces nazis et non pas les Américains, comme on l’avance ailleurs, a fait savoir pour sa part, Moulay Ismail, pour qui l’avènement de l’URSS a également permis aux mouvements de libération nationale de mettre fin aux empires coloniaux partout dans le monde. C’est à Stalingrad que les armées hitlériennes avaient subi en février 1943 leur première défaite, qui sera suivie par toutes les autres, avant l’assaut final de l’armée rouge contre Hitler retranché dans son bunker à Berlin.

C’est également en février 1943 que le parti communiste marocain a vu le jour, un mois seulement avant la signature du Manifeste de l’Indépendance (11 Nov 1944), a-t-il rappelé.

Après l’effondrement de l’URSS, il est donc totalement erroné de prétendre que la pensée socialiste a pour autant disparu à jamais, a-t-il souligné, rappelant que la pensée marxiste a le mérité d’avoir libéré les esprits en les invitant à procéder à une analyse objective de la situation et des rapports de forces.

Revenant à la Révolution d’octobre, il a estimé qu’elle avait donné lieu à un coup d’Etat pour la prise du pouvoir, estimant que le timing a été choisi de manière précise par Lénine et les Mencheviks, car la Russie s’était enlisée aux cotés des alliés dans une première guerre destructrice et le rapport des forces était favorable aux révolutionnaires.

Ce qui ne peut pas être appliqué ailleurs, comme l’avait bien expliqué Antonio Gramsci, fondateur du PCI, et initiateur du compromis historique, a-t-il dit, estimant que l’échec subi est dû au fait que la Révolution n’est pas restée fidèle aux principes sur lesquels elle s’est fondée à son départ, dont le respect de la dignité humaine et des valeurs démocratiques, telles qu’elles avaient été jetées dès 1905 à travers la création des Soviets (assemblées chargées de la gestion collective et participative des affaires locales). Cette orientation a été ensuite reniée du temps de Staline et des autres qui lui ont succédé, et par ceux qui profitaient de la situation pour jouer le rôle d’avant-garde du peuple, a-t-il dit.

C’est donc à travers la démocratie représentative et participative qu’il importe de gouverner de manière collective les affaires publiques et non pas de manière individuelle par les avant-gardistes, a-t-il expliqué, estimant que la Révolution d’octobre a ouvert de nombreuses possibilités qui n’ont pas encore été explorées.

Selon Moulay Ismail, Marx a eu le mérite d’avoir développé les concepts opérationnels pour procéder à l’examen de toutes les situations, car selon Marx, personne ne détient la vérité absolue. Et personne ne doit prétendre la détenir toute seule et essayer de l’imposer aux autres. La vérité ne peut être que partielle et partagée, a-t-il estimé.

Il a également fait savoir que les progrès réalisés n’ont pas abouti à l’autodestruction annoncée du capitalisme, qui a donné lieu à la naissance d’une nouvelle classe comparable au prolétariat, appelée cognitariat capable de jouer un rôle similaire que le prolétariat.

Ces exposés ont suscité un riche débat sur l’aspect violent des révolutions, le rôle de la science dans la préservation de l’environnement, mais également sur la pertinence du Compromis historique de Gramsci et son application dans des pays comme le Maroc, le rôle des forces impérialistes dans l’échec des révolutions (Chili et ailleurs) et l’échec des tentatives d’exportation des révolutions (Nacer, Kadhafi).

M’Barek Tafsi

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