Mémoire cinéphile : Hassan Skalli, Tayeb Seddihi…

Le Forum Culture et cinéma, une association cinéphile casablancaise, présente ce vendredi une séance de courts métrages marocains des années 1950. Il s’agit de Notre amie l’école, un film de 1956 du cinéaste feu Larbi Benchekroun; Brahim de Jean Fléchet (1957) et Pour une bouchée de pain de Larbi Bennani, un film de 1959. L’objectif et la finalité de cette initiative cinéphile et citoyenne s’inscrivent dans un vaste projet.

Le premier objectif étant de nature pédagogique ; le rôle d’un ciné-club est de transmettre un patrimoine cinématographique. La transmission étant fondatrice de la cinéphilie. Une manière de dire aux nouvelles générations que le cinéma c’est aussi un héritage culturel à acquérir.

Ce moment de mémoire et d’histoire, c’est aussi l’occasion de rendre hommage aux pionniers du cinéma marocains et à deux figures que nous retrouvons dans ce cinéma des « premiers temps », Hassan Skalli et Tayeb Seddiki. Tayeb Seddiki qui a commencé à jouer dans des films dès le début des années 50.

En présentant deux films marocains de 1956 et 1957, le FCC vise à montrer que le débat sur le premier film marocain n’est pas clos avec la célébration en 2008 de l’anniversaire du Fils maudit de Mohamed Ousfour. Il y a encore matière à réflexion. Un chantier ouvert à la recherche historique. Dans ce cadre, je plaide en faveur de la réhabilitation de tout le cinéma qui a précédé la date officielle de démarrage du cinéma marocain. Si les officiels s’accordent autour de l’année 1958, quid des films produits entre 1956 et 1958 ? Et ils sont en partie produits par le CCM ? tout un cinéma que je qualifie de post-colonial.

J’entends par cinéma «post-colonial» tous les films réalisés par des cinéastes français qui ont continué à exercer et à travailler au Maroc, plusieurs années après l’indépendance. Ce cinéma aussi à ses titres majeurs et ses cinéastes emblématiques. Il s’agit par exemple de Henri Jacques, Michel Clarence, Serge Debecque, Richard Chenay et principalement de Jean Fléchet.

Lauréat de l’IDHEC en 1952, Jean Fléchet arrive au Maroc où il travaille dans des productions diversifiées jusqu’au début des années 60 quand il rentre en France, pour finalement « se spécialiser » dans les cinémas des régions et des hameaux. Sa filmographie marocaine se distingue fondamentalement de l’esthétique du film colonial ; Jean Fléchet, dans ses fictions notamment, adopte une approche foncièrement culturaliste, adaptant des récits et des sketches autochtones, dirigeant pour les mettre en images, des comédiens marocains. Parmi ses productions qui ont rencontré un grand succès populaire, grâce notamment aux services de la caravane cinématographique, je cite Le poulet (1954) avec Bachir Laalej, Salim Berrada, Tayeb Seddiki…Pauvre Assou (1954), Le trésor caché (1954)…un travail qu’il prolonge y compris après la fin officielle du protectorat. Il signe ainsi un des films majeurs de cette période, Brahim ou le collier de beignets (1957)….où nous retrouvons les ingrédients qui ont marqué ses précédentes fictions, en se basant sur le travail au niveau du scénario et des dialogues sur l’apport d’auteurs marocains mais aussi en l’inscrivant dans l’idéologie de l’époque, celle d’une nation qui aspire à reconstituer son identité et à chercher son décollage.

Brahim ou le collier de beignets de Jean Fléchet est une production du CCM de 1957, d’une durée de 45 minutes. Il a eu un destin exceptionnel puisqu’il fut le premier film à représenter le Maroc dans une manifestation cinématographique internationale d’envergure. Le hasard y est pour beaucoup, le ministère de l’information ayant reçu du Festival de Berlin une invitation à la participation du Royaume au prestigieux festival. Il se trouve alors que Fléchet était non seulement disponible mais avait un scénario prêt ; il l’adapta aux nouvelles circonstances, car il fallait faire vite. Le film fut alors réalisé et a eu une participation plus qu’honorable à Berlin…Avec un bon accueil public et critique…sauf une réaction mitigée de la part de l’ambassadeur de France qui a boycotté la réception officielle qui a fait suite à la projection du film…une manière de signifier qu’il n’appréciait pas le fait que le film ne parle nulle part de « la mission civilisatrice » de la France au Maroc. Un argument supplémentaire qui plaide en faveur de la réhabilitation de ce beau film et à l’intégrer à la filmographie marocaine, à l’instar de tout un patrimoine cinématographique de cette époque.

Mohammed Bakrim

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