Fatima Lemrini El Ouahabi et Mohamed Hamadi Bekouchi
M’barek Tafsi
Handicap : Oui il faut avoir suffisamment de courage pour en parler dans une société comme la nôtre sans en avoir honte, gêne, peur ou un quelconque sentiment de culpabilité.
Voici le témoignage de Hafid, 58 ans, qui vit avec des séquelles de poliomyélite : «Ma mère, qu’elle repose en paix, avait honte de moi ! Au-delà de son amour pour nous tous et de tout ce qu’elle a fait pour nous éduquer comme il se devait, elle ne pouvait humainement pas accepter mon aspect de jeune handicapé. Inconsciemment, elle m’a fait endurer l’exclusion et la marginalisation tout en me rappelant mon handicap à chaque fois que l’occasion se présentait. J’ai le sentiment qu’elle a toujours cherché à m’éloigner du regard des autres afin de ne pas culpabiliser d’avoir mis au monde un enfant handicapé. Elle m’enfermait à double tour à chaque fois qu’elle recevait du monde, par exemple».
Mais ce qui est encore douloureux c’est que sa propre fille comme sa mère n’admet pas son handicap. «J’ai une voiture adaptée que je conduis moi-même et parfois, j’aime aller la chercher après ses cours. Elle refuse farouchement tellement elle a honte que ses amis ne me voient !».
Présentant mercredi soir cet ouvrage en présence de ses auteurs à l’Institut Royal de la Culture Amazighe (IRCAM) où il est chercheur en sociologie, Mohamed Oubenal a indiqué qu’il s’agit d’un ouvrage dans lequel sont présentés les témoignages d’un ensemble de personnes handicapées ou de leurs parents interviewés. Quelque 25 témoignages y figurent.
Selon lui, c’est un ouvrage captivant. Il n’est ni alourdi par un langage académique parfois ennuyeux, ni encombré par les chiffres dont on ne voit pas toujours l’utilité. C’est le fruit d’un travail de collaboration qui a déjà donné lieu à un précédent ouvrage sur la situation du handicap au Maroc.
Selon les auteurs, le but de cette étude-témoignages est de sensibiliser les pouvoirs publics et la société civile aux spécificités des personnes handicapées, de faire connaitre leurs droits et d’amener les décideurs à revoir leurs stratégies politiques et socio-économiques pour leur garantir une même, pleine et entière citoyenneté que les autres.
Un débat passionnant a sanctionné cette rencontre, au terme de laquelle un cri de cœur a été lancé en direction des décideurs pour tenir compte de la situation spécifique des personnes handicapées et de leurs familles, qui en subissent souvent toutes seules les conséquences.
En attendant, la minorité des personnes handicapées n’ont pas d’autre choix que de rêver de jours meilleurs, sachant que les secteurs de la famille, de la solidarité, de la santé et de l’enseignement où elles peuvent être prises en charge sont malades et qu’ailleurs la situation n’est guère meilleure. Pas d’accessibilités, pas de terrains de jeu et de loisirs adaptés, pas de respect des engagements pris par les décideurs de les employer. Et la liste est très longue.
Dans tous les cas, ce travail remarquable de donner la parole à ceux qui subissent de plein fouet à toutes les secondes les affres de leur handicap, a été hautement apprécié par une assistance avisée, qui a rendu hommage aux coauteurs.
Dr Fatima Lemrini El Ouahabi est médecin ophtalmologiste, membre fondateur de l’Organisation marocaine des Droits de l’Homme (OMDH), membre fondateur et présidente de l’Association marocaine des déficients moteurs (AMDM) qui gère le Centre d’infirmité motrice cérébrale (CIMC) de Rabat. Elle-même présente une déficience motrice à la suite de la poliomyélite depuis l’âge de 8 mois.
Pr Mohamed Hamadi Bekouchi est sociologue et auteur de plusieurs ouvrages ayant résidé durant une quarantaine d’années au Canda, en Suède, au Brésil, en Belgique et en France.