Réplique : Crise de citoyenneté ou expression démocratique…

L’abstention n’est pas une fatalité

Un spectre hante l’horizon électoral, ici comme ailleurs, il s’agit de l’abstention. C’est un phénomène global qui touche la plupart des systèmes politiques fondés sur le principe de la démocratie représentative.

Le soir de la proclamation des résultats, une seule question revient comme un leitmotiv dans les interventions des différents acteurs politiques, elle concerne le taux de participation. Question cruciale si l’on est car elle est non seulement un indicateur sur l‘état de l’opinion mais elle est à la base même de la légitimité de l’ensemble du processus…un taux très élevé d’abstentionnistes risque de jeter un discrédit sur le résultat du scrutin et de le vider de son sens.

Or ce que l’on constate ces dernières années, c’est justement l’augmentation continue du chiffre des abstentionnistes. L’abstentionnisme est ainsi devenue une tendance structurelle de l’ensemble des élections aussi bien nationales, régionales ou locales ; professionnelles ou politiques. Une tendance qui interpelle désormais au-delà du cercle des politiciens les spécialistes des sciences sociales. L’abstentionnisme a en quelque sorte accédé au statut académique devenant une problématique théorique. Car les choses ne sont ni simples, ni évidentes.

Si l’abstentionnisme comme constatation objective est facilement observable car chiffrable et mesurable dans le temps et dans l’espace, il est loin d’être un phénomène homogène exprimant partout et toujours les mêmes conclusions. D’un scrutin à un autre, d’un pays à un autre, d’un moment à un autre…les chiffres de l’abstention peuvent se répéter et se ressembler sans pour autant porter la même signification ni avoir la même dimension politique. Si seul un Américain sur deux a voté lors de l’élection de B. Obama en 2008, cela n’a rien à voir avec les taux exprimés lors des élections égyptiennes du temps Moubarak. Par exemple.

On pourrait ajouter à cela que les formules techniques adoptées pour calculer les différents chiffres d’un scrutin diffèrent d’un système politique à un autre. Il suffit de dire par exemple que le taux de participation est souvent calculé par rapport au nombre d’inscrits sur les listes électorales et non par rapport à la population en âge de voter. C’est dire que tout cela est politique et que dans une démarche d’interprétation du phénomène, il faut se garder d’émettre des jugements hâtifs ou tirer des conclusions politiques qui risquent de fausser une juste appréciation des enjeux.

Au Maroc et aussi paradoxal que cela puisse paraître l’évolution du taux de participation et donc du nombre des abstentionnistes a fonctionné comme un indicateur positif de la libéralisation de notre régime politique, de l’ouverture du système  et sa normalisation. Pendant longtemps en effet, les chiffres des différentes élections frisaient l’absurde ; le bourrage des urnes par différentes méthodes de contournement faussait le jeu démocratique. La première brèche ouverte dans cette approche a été la proclamation du taux réel d’abstention s’approchant de plus en plus de la norme dominante dans la plupart des pays démocratiques. Sauf encore une fois qu’il faut éviter les explications simples voire simplistes et la recherche de causalités univoques. Les abstentionnistes ne forment pas un groupe homogène et sont loin de former le «plus grand parti politique du Maroc» !

Il s’agit alors et rapidement de distinguer l’abstention du boycott ; celui-ci est un geste politique cohérent, répondant à une analyse politique et exprimant un point de vue légitime dans l’espace public mais c’est un appel qui n’épouse pas l’ensemble des électeurs qui n’ont pas voté.

A côté du boycott, en effet, il y a une multitude de cas qui renvoient à une infinité de situations où des citoyens  n’ont pas accompli le déplacement vers le bureau de vote. J’aimerai signaler pare exemple ce que j’appelle «l’abstention aristocratique»; celle de citoyens blasés qui croient au système, au jeu politique mais considèrent qu’ils n’ont pas à s’exprimer pour les uns ou pour les autres n’ayant pas d’a priori dans ce sens.

Il y a l’abstention technique liée aux modalités d’organisation imposées par l’administration de tutelle : cela va du jour du scrutin (un jour ouvrable) aux conditions du vote lui-même. Il faudra dans cette perspective réfléchir à développer le vote par procuration et en faciliter les modalités. Comme il faudra lancer un vaste chantier de réflexion sur l’introduction du vote électronique en mobilisant les acquis positifs du numérique.

Les partis politiques soucieux d’une vaste participation citoyenne sont également invités à faire preuve de plus d’imagination dans la forme et le contenu de leur discours pour capter sinon séduire, les citoyens, tous les citoyens y compris les plus réticents.

Mohammed Bakrim

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