Robert Chastel plaide le patrimoine de Bouregreg

Très passionné par l’histoire de l’Oued Bouregreg, qui a été sans contexte à l’origine de la naissance des deux jumelles «ennemies» Salé et Rabat, Robert Chastel a fait de sa conférence, donnée mercredi soir à Salé, une plaidoirie poignante pour sauvegarder ce qui qui reste du patrimoine exceptionnel de Bouregreg.

Le Bouregreg a été victime de la pollution d’une urbanisation rampante et de la création du barrage « Sidi Mohamed Ben Abdellah », inauguré en 1974, non loin de Rabat, qui a stoppé l’ardeur de ses eaux, a-t-il rappelé.

«Au moment où je vous présente ces photos pour vous faire découvrir l’histoire passionnante de ce fleuve, ce dernier n’existe malheureusement plus», a-t-il dit avec regret. Et pourtant c’est à ce fleuve que Rabat et Salé doivent leur naissance, il y a plus de vingt siècles.

Il est vrai que des efforts colossaux sont actuellement déployés pour le réaménagement de sa vallée, mais il est vrai aussi, a-t-il dit, qu’il est nécessaire d’œuvrer pour sauvegarder ce qui reste de tout le patrimoine civilisationnel de ce fleuve, long de 240 kilomètres, puisqu’il prend naissance dans le massif du Moyen Atlas au niveau de la province de Khémisset.

Présentant une série de documents et photographies à l’appui, le conférencier a rappelé que l’existence humaine sur la vallée du fleuve remonte à plusieurs siècles avant Jésus Christ avec l’édification de Chellah par les phéniciens de Carthage avant l’arrivée des romains.

Ces sont les phéniciens de Carthage qui apportèrent avec eux en l’an 800 av.J.C la vigne, l’olivier, les pêcheries, a-t-il estimé, ajoutant que ce sont eux qui avaient fondé le premier port sur l’estuaire du fleuve, lequel avait été repris dans un premier temps par les Romains et plus tard par les Salétins.

Il s’est arrêté longuement sur l’histoire de la région et du rôle des différentes dynasties (Almoravides, Almohades, Alaouites) qui s’y sont succédé depuis l’arrivée de Moussa Ibn Nossair et l’avènement de l’Islam, en passant par la prise du pouvoir par Yacoub El Mansour Dahbi, qui fonda BabLemrissa. Il s’est également étalé sur nombre de constructions et de remparts (BorjDoumouê) avant d’arriver à l’époque des corsaires du Bouregreg (1609-1910), qui renforcèrent leurs moyens et bateaux après le retour des Morisques expulsés d’Espagne par le roi Philipe III. Depuis leur arrivée, de nombreux Morisques ont rejoint les rangs des corsaires qui s’adonnèrent à des actions de piraterie pour venger leur expulsion d’Espagne, a-t-il dit, précisant que depuis cette époque un fort sentiment d’animosité marquait les relations entre Rbatis et Slaouis.

Les pirates du Bouregreg pillaient tous les navires de commerce qui naviguaient non seulement dans l’Océan atlantique, mais également en Méditerranée occidentale, a-t-il ajouté, rappelant que ce banditisme a permis à de nombreuses familles d’amasser des fortunes à travers le commerce des marchandises et des esclaves de couleur blanche qu’ils récupéraient.

En 10 ans, les corsaires avaient capturé quelque 1000 marins et des marchandises de grande valeur, a-t-il dit, ajoutant que les corsaires jouaient aussi un rôle important dans la lutte contre la marine britannique et portugaise qui tentaient d’occuper le port.

Actuellement, la vallée du Bouregreg fait l’objet de travaux d’aménagement, lancés en 2006. Ils portent sur une superficie globale de 6 000 ha allant de l’estuaire du fleuve au pied de la Kasbah des Ouadaias, sur une longueur de 17 km allant jusqu’au barrage « Sidi Mohammed Ben Abdellah » en amont. L’ensemble de la mission est confié à l’Agence Bouregreg. Elle est chargée de l’aménagement de la vallée dans sa globalité (urbanisme, environnement, social et patrimoine) et pourvue de pouvoirs exorbitants de la puissance publique. Parmi ses objectifs, la dépollution de la vallée et l’aménagement du territoire en vue d’en faire un espace de prestige et de cohésion sociale, susceptible de créer des richesses et initier une politique de développement durable.

Trois projets-phares ont été lancés successivement en vue de faciliter les échanges entre les deux villes jumelles de Rabat et de Salé, deux lignes de tramway sur une longueur de 20 km, un nouveau pont de 14 m de hauteur et de 46 m de largeur (2 × 3 voies, une voie de tramway et deux voies pour cyclistes et piétons), et un tunnel de 1,5 km sous les murailles séculaires des Oudais.

Présentant le conférencier au début de cette manifestation, organisée au siège de la fondation Fquih Titouani à Bettana (Salé), Mme Majdouline Alami, conseillère communale (PPS), qui s’active pour contribuer à l’animation culturelle, artistique et sociale de sa commune (Bettana), a d’emblée rendu hommage à Robert Chastel pour l’intérêt grandissant qu’il porte au Bouregreg et à Salé en particulier et au Maroc en général.

Médecin de formation, Chastel était venu en 1964 au Maroc dans le cadre de la coopération militaire avant de s’installer à partir de 1966 à Rabat.

Evoquant son histoire avec le Bouregreg, elle a rappelé que c’est un de ses patients qui lui avait apporté en 1980 un lot de 30 photos exceptionnelles prises lors de l’édification du port de Bouregreg en 1913, qui l’avait amené à faire des recherches pour retrouver l’histoire du port de Bouregreg.

C’est ainsi qu’il avait pris sur lui d’écrire sur l’histoire des lieux à partir de centaines de photographies et de cartes postales.

A présent, il a à son actif une série d’ouvrages dont «Rabat-Salé, 20 siècles de l’Oued Bouregreg», publié en 1993, «l’histoire de Casablanca, des origines à 1952», paru en 2006», et «histoire d’eau : Rabat-Salé et l’Oued Bouregreg», publié en 2009. En 2014, il est décoré du Wissam alaouite.

M’Barek Tafsi

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