Le rôle crucial des magistrats dans la fabrication des politiques pénales

«Il est temps pour que les magistrats du royaume de se mettre au diapason des contextes régional et international et adhérer pleinement au débat sociétal», ont appelé les intervenants lors de la table-ronde, organisée vendredi 21 juillet à Casablanca.

Organisée par l’Observatoire Marocain des Prisons (OMP) et la Coalition marocaine contre la peine de mort (CMPCPM), cette rencontre, placée sous le thème : «Action continue pour un Maroc sans peine de mort», fut une occasion pour les participants pour faire un diagnostic et dresser la liste des contraintes qui entravent l’évolution du système pénal du royaume.

Il faut dire que l’évolution de la justice pénale au Maroc demeure tributaire du rôle que devrait remplir les magistrats dans l’espace public, a insisté Abderrahim El Jamai, président de l’OMP. Cela signifie que le juge ne doit pas s’enfermer dans sa tour d’ivoire, loin s’en faut. Autrement dit, le corps des magistrats doit se positionner en tant qu’acteur dans le champ judiciaire et contribuer par ses idées, ses convictions et ses jurisprudences à enrichir le débat public et non pas se contenter du rôle du spectateur, a-t-il laissé entendre. Cela requiert d’abord que le juge soit «maître de sa décision et de son destin», a-t-il affirmé, tout en évoquant le cas de l’Hexagone où les magistrats sont des acteurs incontournables dans la fabrication des politiques sociales. Pour ce faire, il faut faire preuve d’audace et interagir avec l’environnement culturel, économique et social.

Cela étant, «l’autonomie du magistrat ne fait que renforcer la pratique démocratique», a-t-il souligné.

Abondant dans le même ordre d’idées, l’avocat et le militant des droits de l’Homme s’est attelé dans son intervention sur le cas d’un juge qui a motivé son verdict de peine de mort en se référant à la «Chariaa», alors que cette dernière n’a jamais été considérée par le législateur en tant que source de loi, surtout  lorsqu’il il s’agit du Code pénal, a-t-il expliqué.

D’ailleurs, « la relativité de la vérité judiciaire devrait être considérée comme la seule référence pour les magistrats et demeure une variable sine qua non de l’évolution de la justice criminelle au Maroc », a-t-il affirmé.

Une vision largement partagée par Abdellah Mesdad, secrétaire général de l’OMP qui, pour sa part, a déclaré qu’on vit actuellement une régression en dépit des efforts du mouvement des droits de l’Homme. Pis encore, Mesdad a fait savoir que plusieurs études ont confirmé que la plupart des condamnés à mort souffrent de troubles psychologiques et mentaux, d’où la nécessité d’instaurer une nouvelle vision du droit et de sa finalité, celle de «la réhabilitation et l’intégration sociale».

Mettre un terme à la schizophrénie

De son côté, Salah Abdellaoui, Directeur exécutif d’Amnesty International Maroc, a indiqué que le Maroc dispose d’atouts importants pour aller de l’avant et se conformer aux conventions et législations internationales. Il y a d’abord les conclusions du Colloque de la politique pénale, organisé par le ministère de la Justice en 2004 à Meknès. À cela s’ajoute également l’Instance Equité-Réconciliation (IER) qui a invité les responsables marocains, dans son rapport final, à ratifier «le Deuxième protocole facultatif aux droits civils et politiques», sans omettre aussi, l’appel du Président du Conseil National des Droits de l’Homme (CNDH), qui a exhorté le gouvernement de Benkirane à abolir la peine de mort.  L’appel à l’abolition de la peine de mort trouve, en outre, sa raison d’être, dans la Constitution 2011 qui dispose dans son article 20 que «le droit à la vie est le droit premier de tout être humain. La loi protège ce droit».

Par ailleurs, le représentant d’Amnesty international a fait, de surcroit, allusion au message royal adressé au Forum mondial des droits de l’Homme qui s’est déroulé à Marrakech en 2014 et dont le Souverain s’est félicité du « débat autour de la peine de mort, mené à l’initiative de la société civile et de nombreux parlementaires et juristes. «Il permettra la maturation et l’approfondissement de cette problématique», lit-on en substance dans la lettre royale.

Et au final, la constitution d’un réseau parlementaire contre la peine de mort, a donné une nouvelle dynamique aux multiples appels à l’abolition de la peine capitale, a déclaré le conférencier. Toutefois, «il demeure incompréhensible que le Maroc n’ait procédé à aucune exécution depuis 1993 alors qu’il s’est abstenu de voter la résolution de l’Assemblée générale des Nations-unis demandant un moratoire sur les exécutions en vue de l’abolition de la peine capitale», a-t-il noté.  Qui plus est, le représentant d’Amnesty international a appelé le gouvernement d’El Othmani d’approuver le Traité de Rome et de mettre un terme à ce qu’il a qualifié de «schizophrénie politique» et ce, en supprimant tous les articles qui consacrent la peine capitale dans le projet du Code pénal qui n’a pas encore vu le jour.

L’intervenant s’est également interrogé sur la position du Maroc après son retour à l’Union Africaine (UA) et la manière avec laquelle il va se comporter à l’égard des résolutions adoptées par la Commission Africaine des Droits de l’Homme et des Peuples, surtout lorsqu’on sait que 38 Etats africains ont déjà procédé à l’abolition de la peine de mort en droit et en pratique.

Khalid Darfaf

Related posts

Top