Saad Ben Cheffaj, un regard à part

Said Karmass, (critique d’art)

Saad Ben Cheffaj est l’un des premiers artistes Marocains qui ont choisi d’emprunter la voie de l’Art et ses mystères.

Né en 1939 à Tétouan, il suit des études d’art, dans l’institution fondée par l’artiste espagnole, Mariano Bertochi: l’Ecole des Beaux Arts de Tétouan; d’autres études suivront notamment à l’Ecole des Beaux Arts de Séville, puis du Louvre et, de retour en Espagne, il obtient en 1962 le diplôme de professeur. En 1965, il intègre l’équipe des enseignants de l’Ecole des beaux Arts de sa ville natale.

Saad Ben Cheffaj, tout en assumant sa charge de professeur, se passionne pour la recherche de nouvelles techniques. Ainsi, du figuratif  il passe à l’expressionnisme  avant d’atterrir dans l’univers de l’abstraction. Grâce à la superposition de la matière, Saad Ben Seffaj opère tantôt par souci de transparence ou d’opacité; alternance qui suscite chez le spectateur de ses œuvres recherche du / des sens et d’interprétation (s).

Désormais, les œuvres de Saad Ben Cheffaj sont l’expression d’une maturité consacrée techniquement et thématiquement; en témoignent, les toiles exposées à la Galerie Venise Cadres en mai 2006.

Fruit d’un regard profondément humain, elles dévoilent une préoccupation faisant de l’expression plastique le médium idéal.

Du haut de ses cinquante ans d’expériences d’artiste et d’enseignant ès art, Saad Ben Seffaj est considéré comme l’un des artistes marocains pionniers en la matière.

Genres, formes, techniques et thématiques ne lui sont point étrangers, tant l’exercice de cela vient  du travail intellectuel et physique quotidien, comme l’attestent beaucoup de critiques et collègues à propos de ses recherches continues dans le domaine de l’expérimentation des matières et des médiums.

Résultat, les œuvres picturales de Saad Ben Seffaj, outre leurs références mythologiques et religieuses, traitent des thèmes de la condition de l’homme dans ses états les plus communs. Cinq de ces œuvres seront ici succinctement abordées dans le dessein d’éveiller un peu la curiosité du spectateur.

 Elles puisent leur inspiration des thèmes certes déjà illustrés par les artistes occidentaux, mais que l’on pourrait réunir sous la bannière de la mythologie et de la religion; à citer les toiles intitulées  » L’ange qui descend du Ciel »,  » la forêt brûlée », « Près de la mort, il y a un jardin ». Scènes de la vie quotidienne :  » Sièste », « Le sommeil ». Le couple, la famille « Le chuchotement »,  » Femme et homme assis », » mère et son enfant », « Le couple ».

« L’ange qui descend du Ciel » (huile sur toile, 2006, 140×100): ou Hommage à la femme et à la compagne.

Communément connu d’après l’Ancien Testament sous l’expression  » La Chute », ce thème relate l’histoire de la chute d’Adam et d’Êve, après que Satan les a trompés et acculés à quitter le Paradis où rien ne leur manquait, vers la Terre où tout est à chercher, travailler…

Or, l’histoire de la vengeance de Satan date du jour où il a refusé de se prosterner devant la nouvelle créature de Dieu, Adam, un être fabriqué avec de l’argile alors que Satan, grand savant parmi les anges, est créé avec la le feu. Cela ne l’empêche pas de se laisser berner par l’orgueil, « l’hubris » chez les Grecs. Son crime? Oser s’opposer à l’ordre divin des se prosterner devant une créature issue d’argile, l’homme.

Le mobile? S’être permis de se comparer à cette créature et avoir montré orgueillement sa supériorité en tant que créature constituée de feu. Etre de terre versus être de feu, voilà la diversité, première version, puis une longue lutte.. Le récit biblique et coranique aussi nous apprend que cette créature appelée Homme, connaitra une existence heureuse et comblée de tous les biens dont la Femme, autre créature née cependant du corps même de l’homme nommé Adam. Satan, par esprit de vengeance, le poussera à braver l’interdit de manger de l’Arbre de la connaissance du Bien et du Mal, et subira avec sa compagne Ève, la chute sur Terre.

Mais ce titre, comparé au contenu, semble loin du contenu du tableau qui présente plutôt un couple se tenant fermement par les mains, comme pour se soutenir et éviter de choir fatalement.

Et le spectateur/observateur/lecteur de cette œuvre sent bouillir sa petite tête d’intellectuel qui prétend en savoir un peu plus: l’Ange Déchu, on le connait; il porte plusieurs noms; mais le tableau expose un couple qui ne saurait être autre qu’Adam et Eve. Quel est donc cet Ange qui descend du Ciel? Où est-il?

 On scrute avec grande attention les plus petits coins et détails de la toile, cherchant la cachette de cet Ange, en vain.

Mis en abyme/abîme, plusieurs carrés superposés – de couleurs allant du bleu indigo ou de prusse, au noir foncé en passant par des raclées gris sur bleu ou blanc tantôt immaculé, tantôt maculé de noir, du gris ou d’un soupçon de bleu – encadrent un mouvement digne d’un saltimbanque qui ne s’affiche pas sans rappeler par exemple des toiles au  même sujet de la main d’un Seurat ou d’un Picasso des débuts du XXème siècle, ou encore d’un Toulouse Lautrec féru des cirques, des canarets des spectacles et des maisons de la joie interdite.

Ce mouvement est exécuté en apparence par un couple dont le corps occupe la diagonale de la toile et charge sa partie gauche; la part du lion dans cet espace est dominée par l’homme; la femme, quant à elle, se tient dans la partie droite du bas. Elle porte toute la charge du corps de l’homme nu. Serait-ce par intention de l’artiste pour rappeler le statut/ la place concédée, voire consacrée à la femme dans la société humaine en général et surtout dans la société orientale?

Mais, franchement, et sans verser dans le vocabulaire victimiste ou accusateur, ne serait-il pas l’expression directe de la reconnaissance de l’artiste vis à vis de la femme qui assume les charges les plus difficile dans le couple et dans la famille? N’y a-t-il pas là par figuration plastique, l’expression populaire : « porter quelqu’un sur sa tête », autrement dit, s’occuper de lui et l’honorer selon les règles ancestrales de l’hospitalité? Ici, c’est la femme qui en prend la charge effective. De là, il n’est nul besoin de chercher  » l’Ange qui descend du Ciel », car c’est ELLE,  l’Ange créé non pas d’argile, mais d’un Homme, le Premier Homme. Elle n’a certes pas appris le Savoir dont Adam est doté, mais elle a appris à se comporter comme les anges du Ciel créés pour servir Dieu. Et, on le sait de Tradition, beaucoup de femmes et mères parfois, servent leurs hommes comme les anges servent Dieu.

Dans la vie de Saad Ben Seffaj, sa femme a occupé une place prépondérante. Sa mort, bien après cette exposition de 2006, l’a profondément affecté; et ce tableau exécuté la même année, 2006, ne peut être qu’un bel hommage à cette compagne de toute une vie.

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