«La spéculation peut prendre la forme d’un acte criminel»

Fin connaisseur de la situation économique du pays et des rouages du secteur financier marocain, Abdelwahed Souhail, économiste et membre du bureau politique du Parti du Progrès et du Socialisme (PPS), livre dans cet entretien accordé à Al Bayane, son appréciation des tenants et aboutissants du nouveau régime de change dit  flexible. Pour lui, le régime de cotation actuel n’a jamais été fixe et a bien fonctionné, permettant au Maroc d’améliorer ses performances économiques. Avec la réforme de ce système, le problème n’est pas seulement lié à la cotation.  Il s’agit  de savoir quelle est cette économie qui soutient un système de détermination du prix de la devise, quelle est sa fragilité, ses équilibres macroéconomiques et la compétitivité de ses entreprises. Pour lui, la spéculation, en cas d’opération non fondée, peut prendre la forme d’un acte criminel qui est celui de pomper sur nos réserves en devises qui sont par nature fragiles. Souhail estime que la principale critique à ce régime, c’est qu’il est un outil qui permet un jeu beaucoup plus large avec des intervenants encore plus nombreux. Le risque, explique-t-il, est de voir l’instinct de jeu de spéculation prendre le pas sur l’instinct de régulation économique et de voir le système de cotation complètement distant par rapport à l’économie réelle. De  son avis, la prudence reste de mise. Il est temps, dit-il, de travailler sur le modèle économique et de développer l’offre d’exportation puisque la politique économique du Maroc reste marquée par un grand manque de convergence entre les politiques monétaires, sociales et économiques.

Al Bayane: Pourquoi  le Maroc a t-il opté pour la réforme de son régime de change ? Quels sont  les avantages du  nouveau régime de change flexible?

Abdelwahed Souhail: La réforme était à l’ordre du jour depuis un certain nombre d’années. Le Maroc avait, quelques années, après l’indépendance décroché sa monnaie par rapport à la monnaie française, le Franc. Il a créé une monnaie nationale qui est le dirham et a trouvé un système de cotation du dirham par rapport à ce qu’on appelé un panier de devises, essentiellement le dollar et des devises européennes pour essayer de déterminer le prix. Cette cotation, contrairement à ce qu’on dit, n’a jamais été fixe, puisque l’évolution de ces devises a entrainé l’évolution du coût du dirham. On a fait quelques dévaluations dans le cadre de certains réajustements.  Après, il y a eu l’intrusion de l’Euro comme monnaie essentielle de l’Union Européenne. Le Maroc a estimé que les deux principales devises dans le monde, à savoir le dollar et l’euro, méritaient d’être le référent par rapport à la fixation de la monnaie nationale. Les autres monnaies ne faisaient que suivre.

Ce régime est marqué par deux principes fondamentaux, dont le monopole de BAM concernant la fixation de la valeur du dirham. La Banque Centrale permettait aux autres intervenants, notamment les banques et les bureaux de changes de varier les prix, dans une fourchette de 3 pour mille, à la vente comme à l’achat des devises.  En outre, le prix d’achat est généralement plus cher qu’à la vente.  Ce système qui, encore une fois, n’était pas fixe, a continué de fonctionner. Si vous prenez la valeur du dirham par rapport au dollar et à l’euro sur une longue période, vous allez remarquer qu’il y a eu des variations entre un et deux dirhams.

Alors quelle est la nouveauté aujourd’hui par rapport à ce régime qu’on appelle régime de change flexible ? La flexibilité reflète deux idées essentielles. La marge dans laquelle le dirham va fluctuer passe de 3 pour mille  à une marge de 2,5% dans le sens de la hausse et de la baisse. Et dans le cadre de cette  fourchette qui a un plafond et un plancher, il peut y avoir des interventions de différents acteurs. Ce qui signifie que Bank Al Maghrib n’aura plus, toute seule, le monopole de la cotation de la monnaie nationale. Les Banques peuvent aussi intervenir et récolter les devises de leurs clients et acheter les devises demandées par les clients.  Il y aura un marché où les banques interviendront et BAM interviendra, soit pour approvisionner le marché si les échanges entre les banques ne suffisent pas, soit pour le réguler et éviter l’effritement de la monnaie nationale.

Il faut encore une fois le rappeler, ce régime de change dit flottant répond aux injonctions du FMI (Fonds Monétaire International)  qui demande au Maroc de faire comme tous les pays ayant un système libéral. Autrement dit, un système où la monnaie est considérée comme une marchandise qui doit obéir à la loi de l’offre et de la demande. Ce qui veut dire, qu’en cas de pénurie de devise, cette dernière exprimée en dirhams sera chère. De même, en cas d’excès, on va l’acheter beaucoup moins cher. Or, il ne s’agit pas là de n’importe quelle marchandise,  ce qui  pose problème. La monnaie exprime l’état d’une économie, un pouvoir d’achat et c’est un moyen de paiement sur le marché local. Donc, quand la devise sera chère, automatiquement, tous les biens que nous importons reviendront  beaucoup plus chers exprimés en dirhams et l’inverse sera aussi vrai.

Or, le Maroc aura tendance à être plutôt en situation de pénurie pour une raison bien simple : les déséquilibres  de ses échanges extérieurs. Le pays a une balance commerciale toujours déficitaire rattrapée par une balance de paiement où les transferts MRE et les recettes de tourisme équilibrent un peu les choses. Mais, la situation reste totalement fragile du moment que le Maroc doit payer en devises ses principales importations, notamment les produits pétroliers, alimentaires, les équipements, la dette (bien qu’aujourd’hui, cette dette est essentiellement interne) et que les entreprises peuvent aussi s’endetter sur le marché international.

Un autre élément plus important qui peut poser problème, c’est que le dirham va être considéré comme une marchandise qui va subir des spéculations. Les gens vont essayer d’acheter parce qu’ils anticipent une hausse ou vendre parce qu’ils anticipent une baisse. Du coup, il va y avoir le jeu habituel que fait n’importe quel commerçant, c’est-à-dire que quand il a suffisamment de stock, il fait du solde et quand la marchandise est rare, il va falloir payer. C’est pratiquement le type de mécanismes qui va advenir avec cette réforme.

A votre avis,  l’arrivée de ce nouveau régime de change dit flexible signifie-elle que le régime actuel a atteint ses limites et que le Maroc ne pouvait plus fonctionner selon ce régime?

Non, le système de cotation de devise actuel a très bien fonctionné. Il a permis au Maroc de tourner. Evidemment, quand il y a eu un très grave problème d’équilibre de nos échanges (nous avons eu à l’époque du programme d’ajustement structurel, une pénurie de devises au point que le Maroc n’avait plus de quoi payer ses achats à l’étranger), nos fournisseurs devaient attendre plus de six mois pour avoir leur argent. De facto, le Maroc était en cessation de paiement en devises. C’est à dire que vous importiez une marchandise, vous donniez des dirhams à votre banque pour payer votre fournisseur et BAM n’avait pas de devise. Evidemment, à cette époque extrêmement pénible, il y a eu beaucoup d’interventions de banques étrangères qui ont soutenu le pays en lui permettant de garder la tête en dehors de l’eau.

Cette situation assez difficile a été produite dans le cadre d’un système de change relativement prudent par rapport  à la cotation. Certes, le Maroc a dû revoir la valeur de son dirham, mais il faut dire qu’aujourd’hui, nous ne sommes pas à l’abri d’une situation comparable sauf qu’avec le nouveau régime, la valeur du dirham dégringolera (il faut donner beaucoup plus de dirhams pour avoir des devises). Cela n’a rien à voir avec le système de cotation, mais avec les équilibres économiques, nos échanges extérieurs et la capacité du pays à avoir des devises et à être concurrentiel. Il ne s’agit pas seulement d’un problème de cotation. Il est question de savoir quelle est cette économie qui soutient un système de détermination du prix de la devise, quelle est sa fragilité, ses équilibres macroéconomiques et la compétitivité de ses entreprises.

Peut-on dire, alors qu’aujourd’hui, il y a autant de risques pour les deux systèmes?

Bien sûr, il y a autant de risques. La principale critique à ce régime, c’est que c’est un outil qui permet un jeu beaucoup plus large avec des intervenants encore plus nombreux. Mais ce jeu n’est ni possible ni viable que s’il est adossé à une économie solide, à une offre d’exportation assez diversifiée, à une économie compétitive capable de s’exporter. Puis l’autre critique,  c’est que cette décision est souveraine et de ce fait, ne peut être l’apanage de Bank Al Maghrib et des fonctionnaires du ministère des Finances. Il faudrait que ce soit négocié avec le gouvernement et les représentants des Marocains, les entreprises….  Ce qui n’a pas été le cas. On avait l’impression que les discussions entre experts étaient suffisantes et qu’il n’était pas nécessaire de prendre l’avis du gouvernement. D’ailleurs, on est allé jusqu’à annoncer une date au moment où certains membres du gouvernement n’étaient même pas informés.

Quelle évaluation faites-vous de la pondération proposée par rapport aux deux principales devises?

Au début, le dirham était surpondéré par rapport à l’euro. Cette pondération a été réduite et on est passé de 80% à 60% pour l’euro et de 20% à 40% pour le dollar. Cette modification de la pondération a été justifiée par l’ouverture du Maroc à l’étranger et la signature de plus d’accords de libre échange, notamment avec des pays qui travaillent avec le dollar comme la Chine, les pays du golf, la Turquie qui commerce beaucoup en dollar.

Par ailleurs, l’une de nos principales exportations, notamment le phosphate et ses dérivés, se fait essentiellement en dollar, de même pour nos importations de pétrole. Ainsi, il a fallu tenir compte de tout cela pour revoir les pondérations. Ce changement de pondération n’est pas arbitraire. C’est le meilleur reflet de l’évolution de nos échanges extérieurs.

Quelle crédibilité donnez-vous aux accusations de spéculation adressées dernièrement par le Wali de BAM aux banques de la place?

Au Maroc, on a une règle d’or. Le pays est toujours sous un régime de contrôle des changes et l’Office des changes est celui qui édicte les règles des transactions internationales. Dans le système de change qui existe depuis 1959 et qui a évolué dans le temps, pour payer une marchandise, il faut que cette dernière soit autorisée et il faut constater qu’elle a pénétré le territoire national ou alors qu’elle est en route vers le Maroc. Cela veut dire qu’il y a des règles assez strictes qui régissent les opérations de transfert. L’Office a autorisé certaines entreprises à faire des achats ou des ventes à terme en gardant le même niveau de risque et le même taux de devise.  Ce qui se passe réellement, c’est que les banques doivent nécessairement, pour avoir des devises, être dans l’une de ces situations.  Autrement dit, soit elles ont importé une marchandise, soit elles ont pris un mécanisme de couverture des risque à terme.

Ce qui s’est produit c’est que certaines banques et certains clients de banques ont estimé que l’entrée en vigueur du régime de change flexible s’accompagnerait d’une dépréciation du dirham et donc, ils ont voulu payer beaucoup plus tôt. C’est comme si on vous dit qu’il y’aura une pénurie de lentilles et donc, tout le monde se rue vers ce produit.

La colère du gouverneur de BAM face à cette spéculation est légitime, d’où l’ordre de mener des enquêtes pour définir les responsabilités. Jouahri a discuté longuement avec les banques au moment de la confection du projet de réforme du régime de change.

Je dirais qu’en cas d’opération non fondée, la spéculation peut prendre la forme d’un acte criminel qui est celui de pomper sur nos réserves en devises qui sont par nature fragiles. Les réserves de change du Maroc étaient de 6 mois et quelques jours. Actuellement et après la spéculation, ces réserves ne représentent plus que 4 mois et demi.

Est-ce qu’à votre avis, Abdellatif  Jouahri  pouvait éviter ce genre de comportement spéculatif sur la devise?

Le banquier chevronné qu’il était a réagi de bonne foi et croyait qu’il avait affaire avec des gens responsables.  Même si les gens voulaient anticiper les opérations, les banquiers devaient s’y opposer et prendre les mesures qui conviennent pour éviter ce type de  situation. Mais malheureusement, là encore, les banques cherchent à se faire de l’argent. Les  opérations d’achat et de vente de devise sont une source de bénéfice et de gain de part de marché  pour les banques. Ce sont deux logiques contradictoires : celle de préserver les équilibres et l’autre de gagner de l’argent.  Donc il n’y avait pas assez de prudence pour éviter ce genre de situation inhabituelle. D’autant plus qu’il n’y avait aucune raison qui expliquerait une telle ruée vers le paiement en devise sauf qu’on allait mettre en place un nouveau système de change que les gens ont soupçonné d’entrainer une certaine dépréciation du dirham.

Comment  peut-on  évaluer l’impact sur l’entreprise et sur le particulier?

Il y aura un impact, comme dans le cas de n’importe quelle ménagère qui doit faire son marché et acheter des tomates et qui se rend compte que le prix des tomates a augmenté. Le système de cotation est en lui-même un outil pour apprécier et donner une valeur à la monnaie. Mais cet outil dépend de la solidité de l’économie pour  éviter des problèmes de déviance  et de spéculation. Il faut imaginer ce qui va se passer. Il va y avoir des salles de marché où des gens « très intelligents » vont chercher à faire des gains. Ces « joueurs »  (ce mot n’est pas de trop dans ce cas de figure) essaient de faire mieux que les autres. C’est là tout le risque : voir que l’instinct de jeu de spéculation puisse prendre le pas sur l’instinct de régulation économique. Le risque aussi est de voir le système de cotation complètement distant par rapport à l’économie réelle. Comment le choix du gain peut-il être moral, raisonnable et objectif pour éviter des bulles ? Techniquement, cela pose beaucoup de problèmes.

Revenons à cette question de fondamentaux de l’économie marocaine. A votre avis, notre économie est –elle suffisamment solide et assez préparée pour s’adapter à ce nouveau régime de change flottant?

Quand le PPS a organisé une journée d’étude avec des experts sur ce thème, les représentants de BAM et du ministère des Finances nous ont dit que l’économie marocaine présente un certain nombre de pré-requis à même de réussir le passage au nouveau système ; que les  instances internationales, notamment le FMI pense que le Maroc dispose de meilleures conditions pour faire aboutir cette réforme. Celui-ci avance plusieurs raisons, notamment la maitrise depuis quelques années du déficit budgétaire, le taux d’inflation au plus bas sur un plan historique, le développement du commerce extérieur et une économie similaire à celle de plusieurs pays ayant réussi le nouveau système de cotation de devise. Mais, j’estime qu’il faut raisonner sur le long terme.

C’est vrai, ils nous disent que la réforme va se passer graduellement. On ouvre aujourd’hui à 2,5% et demain, peut-être ce sera à 5% ou 10%. Donc on imagine un peu toute la marge de manœuvre qui sera permise et on se dit qu’on n’y arrivera pas maintenant mais dans 15 ans. Tout cela relève du cadre des bonnes règles prudentielles. Toutefois, si demain il y’a une  flambée des prix du pétrole à 120 ou 150 dollars le Baril, ce sera  problématique. Quel va être le prix du phosphate, l’une de nos principales exportations ? L’autre bémol c’est le flux touristique. La question qui se pose est de savoir si ce flux gardera la même tendance, laquelle dépend de la stabilité politique et de la paix qui règne dans la région. Les transferts des MRE sont-ils une manne éternelle et suffisante ? Les futures générations continueront-elles d’envoyer de l’argent dans leur pays d’origine ou non ? L’autre question est de savoir si le Maroc va développer son offre d’exportation et la diversifier … Va t’il vendre autre chose que le phosphate et les produits agricoles et développer son commerce extérieur à travers le monde ? D’autres questionnements se rattachent au modèle de croissance économique, à une autre gouvernance de l’économie. «Va-t-il y avoir une crise politique grave ?», se demande t-on également. Bref, tous ces facteurs précités peuvent influer sur le comportement du dirham et sur les fondamentaux de l’économie nationale.

L’histoire témoigne de l’échec de certains pays à faible monnaie comme l’Espagne ou l’Italie, des pays de l’Amérique latine, de l’Asie ou encore la Grèce qui fait partie de l’Union Européenne. Ceci dit, il n’est pas exclu que l’évolution de l’économie suscite des dysfonctionnements de ce système et introduise des décisions qui  peuvent être extrêmement pénibles, entrainant la dévaluation et la dépréciation monétaire. D’où la nécessité que le nouveau système soit très prudent. Les organismes qui font la régulation doivent continuer à le faire. Il faut que le Maroc ait un autre modèle de développement économique qui lui permette d’éviter ce type de secousses et fermer le marché du dirham aux spéculateurs. Car, il peut y avoir des gens qui attaquent une devise comme c’était le cas dans d’autres pays.

Si on prend le cas de l’Egypte, quelle comparaison pouvez-vous faire avec le Maroc?

L’Egypte a une situation économique, Dieu merci, qui n’est pas comparable à la nôtre bien que nous soyons dans la même zone  géographique. Le pays est confronté à d’autres défis. Il faut dire que très souvent, les  instances internationales obligent les pays en crise à prendre ce genre de décision au moment des crises. C’est l’un des moyens de faire la diète que le FMI impose à certaines économies. Beaucoup de gens croient  que la dépréciation monétaire va de pair avec la compétitivité et avec la création de l’emploi … Or, c’est une aberration. On peut distribuer des salaires faibles, mais il va falloir s’approvisionner plus cher. D’où le retour de l’inflation et de problèmes économiques et sociaux assez graves. L’Algérie a aussi des problèmes graves malgré la monoculture et l’importance du pétrole dans son économie, dans le financement de son budget et dans ses politiques économiques et sociales. Ce sont des pays qui sont au même niveau de développement que le Maroc, mais dont la structure économique est différente. J’espère que nous ne connaitrons pas la situation égyptienne ni celle même de la Turquie qui a payé très cher en matière de dévaluation de sa croissance  économique au cours des 20 dernières années.

Tout ça pour dire que c’est trop risqué pour le Maroc. Le pays a un taux de croissance du PIB très erratique qui dépend largement des conditions climatiques et des produits agricoles fortement concurrencés qu’on ne peut vendre n’importe où puisque les marchés sont principalement ceux de l’UE, même si aujourd’hui, on vend à la Russie qui a des problèmes avec l’UE. D’ailleurs, le Maroc ne peut aller librement sur le marché américain pour cause de normes de protection non économiques, notamment sanitaires. Aussi, faut-il le rappeler, le Maroc a signé beaucoup d’accords de libres échanges dont la majorité lui sont défavorables. Il va falloir travailler sur le modèle économique et développer l’offre d’exportation. Notre politique économique reste marquée par un grand problème de convergence des politiques monétaires, sociales et économiques.

Par ailleurs, le pays fonctionne sans plan et met en place des stratégies qui ne se parlent pratiquement pas. On a une stratégie sur l’industrie, une autre sur l’énergie ou sur l’agriculture, ou encore sur le tourisme ou l’enseignement … où est la convergence et qui la fait ? La  question mérite d’être posée. Il ne faut pas oublier que notre économie se développe sans que nos richesses soient réparties équitablement et donc, la demande intérieure n’est pas suffisamment soutenue. Tous  ces ingrédients doivent concourir pour dire quelles sont les bonnes  décisions à prendre pour rester prudent en matière de gestion des équilibres et surtout agressif sur les nouveaux marchés.

Finalement avec tous ces risques, qu’est-ce qui motive vraiment le wali de BAM à mettre en place un tel système?

Ce n’est pas le wali de BAM, c’est le FMI. Les Marocains ont beaucoup  résisté. C’est vrai que nous avons un système qui est relativement solide et qui n’est pas arbitraire, un système de cotation qui est flexible puisque la valeur du dirham change avec la fluctuation des devises de référence. Il peut y avoir quelques corrections faibles, mais ce régime a permis au Maroc de tourner et d’améliorer nettement ses performances ces dernières années.  Maintenant, on demande au Maroc d’aller plus vite. On lui dit : « puisque tu sais marcher, on va te demander de courir»!

Oui,  mais quels sont les réglages à faire aujourd’hui pour éviter une situation de crise?

Contrairement à des idées répandues, le Maroc sur le plan de la gestion de ses finances et de son secteur financier,  est un pays relativement bien géré. A l’époque du PAS (Plan d’Ajustement Structurel), on a essayé de faire un certain nombre de réformes pour encourager l’investissement et développer les infrastructures. On a amélioré le taux de croissance, le PIB a doublé et la situation générale du pays s’est nettement améliorée. Cela ne suffit pas. Il y a aujourd’hui, des poches de misère, des déséquilibres régionaux et sociaux qu’il faut résoudre. Il faut le reconnaitre,  le Maroc n’a pas un pilotage de l’économie qui va vers la convergence.  On a un secteur public assez diversifié qui agit un peu selon les règles de la Société Anonyme, mais qui échappe parfois à tout contrôle gouvernemental. Le pays n’a pas de planification ni des objectifs bien définis. On a plusieurs plans (agriculture, tourisme, industrie…) qu’on a du mal à évaluer. D’où la nécessité d’une planification certainement pas à la soviétique, mais avec des objectifs à court, moyen et long terme qu’il faut vérifier et réévaluer en concertation avec toutes les parties prenantes. Tout n’est pas régi par la loi de l’offre et de la demande même dans une économie libérale.

Le modèle économique actuel est en panne. C’est l’avis même du patronat. Il faut ouvrir le capot pour voir ce qui marche, ce qui ne marche pas et faire les améliorations appropriées. Je crois qu’il temps d’organiser un débat serein et objectif qui s’inscrit dans une logique d’optimisme et qui regroupe tous les responsables aussi bien du secteur public que privé, société civile et organisations syndicales.

Qu’est ce qui explique à votre avis le report de l’entrée en vigueur du nouveau régime de change flexible?

Je crois qu’ils vont certainement l’annoncer prochainement. J’espère qu’ils vont être plus regardants pour éviter des débordements et des spéculations comme celles constatées avant le 1er avril. J’espère aussi que le gouvernement, le ministère des Finances, l’Office des changes et les opérateurs économiques vont faire preuve de maturité pour réussir la réforme de ce régime. Cela évitera le déclenchement de l’inflation. En outre, il ne faut oublier qu’on a un secteur financier qui se déploie actuellement à l’étranger et qui pose un certain nombre de problèmes. Les gens disent que c’est trop risqué. Le Maroc n’a pas intérêt à ce que ce secteur connaisse de gros problèmes. On devrait veiller sur le maintien de la bonne santé de notre secteur financier. Le Maroc ne peut pas se payer le luxe d’une crise systémique au niveau de ce secteur. Le système économique est un puzzle. Une difficulté d’un secteur peut entraîner  bien d’autres.

Y’ a-t-il un risque de fuite de fuite de capitaux?

Dans le système de cotation du dirham, la flexibilité ne veut pas dire convertibilité.  On ne peut pas sortir l’argent librement. Pour faire sortir l’argent à l’étranger ou investir, il faut passer par l’Office de Changes.  Les sorties d’argent doivent être justifiées, soit par une opération d’achat de biens et de service dûment déclarée ou par d’autres besoins dont la dotation en devise est limitée comme les soins, les études ou le tourisme. On ne peut vendre ou investir ailleurs que s’il y a une nécessité économique bien définie. C’est ce que font actuellement certaines banques marocaines.

Propos recueillis par :

Fairouz El Mouden

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