Sur l’ethnocide comme meurtre culturel…

Tout le monde sait ce qu’est un génocide mais très peu font la distinction entre celui-ci et ce mécanisme de déracinement culturel appelé «ethnocide» qui s’abat sur une grande partie du monde et dont les victimes sont les peuples, les cultures et les spécificités ethniques…

Un meurtre n’est pas toujours l’élimination physique d’un citoyen. Il y a, en effet, des crimes autrement plus abjects parce que plus sournois…

Parmi ceux-ci on peut citer l’ethnocide qui consiste en la destruction non pas d’un seul être vivant mais de l’identité culturelle de tout un groupe; ce que l’Union internationale des sciences anthropologiques et ethnologiques définit comme étant «toute entreprise ou action conduisant à la destruction de la culture d’un groupe, à l’éradication de son identité ethnique».

Ainsi, dire de l’ethnocide que c’est d’abord et avant tout, un «meurtre culturel» revient à remettre en question  les fondements même de la civilisation moderne puisque c’est, par le biais de la culture, qu’il a été procédé à la destruction de l’identité des aborigènes d’Australie et des Amérindiens, à la russification des peuples de Sibérie, à l’arabisation des Berbères  d’Afrique du Nord ou encore à la tentative de Franco d’éradiquer les langues basque et catalane en Espagne.

Ainsi, si dans l’Histoire de l’Humanité l’ethnocide n’est pas un phénomène récent c’est, surtout, grâce à la découverte du Nouveau Monde qu’il a pu acquérir  ses «lettres de noblesse». Ce voyage hors des frontières du vieux continent  avait permis aux pèlerins de prendre connaissance du fait qu’il y a, de par ce vaste monde, des peuples qui se font de l’existence une idée bien différente de la leur et de celle communément admise en ce temps-là. Mais le fait que cette culture soit différente ne justifie, en aucun cas, la remise en question de sa validité.

Ainsi, bien que différentes de la culture européenne d’alors, ces cultures dites «primitives» n’ont eu, à aucun moment de leur existence, la prétention de s’ériger en modèle unique d’Humanité. Dès sa première apparition dans ce Nouveau Monde, après avoir saccagé une Europe qui n’arrivait pas encore à comprendre ce qui lui arrivait, le système économique qui avait ravagé le vieux continent alla, telle une flèche empoisonnée, s’incruster dans le cœur d’êtres qui croyaient réellement en la grandeur de l’Homme et pour lesquels l’harmonie universelle n’était pas une utopie ou un vain mot mais le vécu de tous les jours.

Armé donc d’une idéologie qui prônait la démesure et selon laquelle toute chose de ce monde devait être exploitée au maximum, le premier pèlerin du Mayflower n’avait pas été en mesure de comprendre que «l’Indien», bien que disposant de territoires d’une exceptionnelle immensité, ne tuait que le gibier nécessaire à sa nutrition et à son habillement, ne tirait de la terre que ce qui suffisait à sa consommation et n’avait jamais soupçonné que la terre pouvait appartenir à un particulier et ne pas être le lot commun à la fois aux hommes, aux animaux et aux plantes qui, tous y puisent la substance même de leur existence. Et voilà donc comment le fondamental concept individualiste de «propriété privée» a fait son apparition dans le Nouveau Monde.

Dans sa fuite désordonnée d’une Europe ravagée par les famines et les persécutions de toutes sortes, l’Homme Blanc s’était attelé, dans son aveuglement, à reconstruire, pierre par pierre, en un autre lieu, l’édifice qu’il venait à peine de quitter.

Dans le monde de l’Indien, le pouvoir était partagé entre plusieurs «hefs» et si chacun d’eux avait une attribution particulière eu égard à ses aptitudes, aucun d’entre ceux-ci n’avait un pouvoir de décision contraignant et les décisions importantes pour l’existence du groupe étaient prises lors de véritables «conseils» regroupant tous les membres sans aucune discrimination sexuelle, l’homme et la femme étant les deux aspects d’un tout irréductible à une seule de ses composantes.

Ainsi , outre le fait que l’espèce humaine est une notion biologique qui fait que, sur le plan zoologique, tous les hommes sont égaux, l’être humain est aussi un être de culture que l’ethnocide va justement chercher à «assimiler» de manière forcée en le dépossédant de ce bien immatériel sans qu’il soit besoin de recourir à sa destruction physique. L’ethnocide serait donc une assimilation forcée, une destruction culturelle, alors que le génocide est, quant à lui, la destruction physique d’un groupe humain.

Nabil El Bousaadi

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