Témoignage: Lettre à l’écran libre

Par Mohamed Chrif Tribak

En 2011, j’ai été invité par l’association «Ecran libre» pour participer à la résidence de «l’écrit à l’écran» en Vercors.  La première semaine de la résidence, le réalisateur invité(e) anime un atelier d’écriture et réalisation de documentaire pour les habitants de la région et les deux semaines suivantes, il écrit seul son long-métrage. Le dernier jour de  la résidence, une comédienne de théâtre lit en public  le scénario écrit pendant la résidence. C’est grâce à cette résidence que la première version du scénario «Petits Bonheurs» a vu le jour.

En été 2018, à la dernière édition de la résidence suite aux difficultés de renouveler chaque année les financements, les organisateurs  ont demandé à des réalisateurs qui ont passé par la résidence d’envoyer des lettres vidéo où chacun raconterait à sa guise cette aventure, et ce  pour animer une soirée dédiée aux ancien(ne)s cinéastes invité(e)s. Le texte qui suit a servi de texte à ma lettre vidéo.

Il fait beau, même trop beau pour écrire. On est tenté de rester dehors, de fuir. Je suis au même endroit, là où on est entre deux films,  devant mon ordinateur en train d’écrire et de  réécrire. On n’en finit pas. Un réalisateur qui écrit un nouveau film, c’est comme un soldat qui revient du champ de bataille. Il a du mal à se tenir en  place.

Je suis peut être le seul dont le projet écrit pendant la résidence a vu le jour mais n’empêche qu’il y a toujours quelque part une frustration, une prise de conscience que le cinéma n’est pas un art. Entre le moment où tu écris le scénario et la réalisation du film, il se passe tellement des choses qui font que tu te retrouves avec le bébé des autres; un bébé qui n’est pas le tiens. L’argent ne vient pas tous seul. Il a son mot à dire.

Tout ça pour dire que ECRAN LIBRE,  la résidence DE L’ECRIT A L’ECRAN c’était tout simplement bien. On te demande rien, à part une note,  on te met dans un endroit magnifique, avec des gens adorables, tu encadre un stage qui te permet de connaitre la région et ses gens, car je crois que faire un film et une expérience humaine intense, c’est la meilleur façon de connaitre des territoires, et les gens; tu écris sans que personne ne vient t’apprendre ce que c’est écrire, on fait lire ton scénario par une comédienne en public et on te paie en plus. Dans mon cas, j’en ai profité deux fois avec, en plus, un retour sur les lieux une fois le film terminé pour une projection dans la médiathèque du village, comme pour  boucler la boucle. J’étais surpris de voir le temps qui a passé quand je n’ai tout de suite reconnu quelques enfants du village qui ont grandis entre-temps…

Je crois, avec l’expérience, qu’un film c’est une partie de sa vie qu’on fixe sur l’écran. Les gens voient des acteurs, des lieus et des situations, mais moi je vois autre chose. Entre les plans et les lignes, derrière les mots, quelque part, on peut lire presque un journal intime ou du moins un journal de bord apprécier bien un film n’est-il pas aller plus loin, plus profond que l’histoire. Un bon film est acte qui ne se limite pas à raconter une histoire, il raconte sa propre histoire aussi.

Je suis en train d’écrire un nouveau projet  en allant vers quelque chose de très simple à financer par ce que je n’ai pas envie de passer ma vie à pitscher,  à passer ma vie à faire l’écolier, car au lieu de te donner de l’argent, les fonds te propose de t’apprendre comment faire un film, comment le vendre tout en sachant que ceux qui vendent leur films, n’ont pas besoin de ces formations, ce n’est qu’un trompe œil pour faire croire…en tout je crois profondément qu’on construit rien avec ce mode de production où on est obligé de passer sa vie à faire le tour des fonds, où tout le monde a le droit de mettre la mains et le nez. C’est sensé financer le cinéma d’auteur, un cinéma à la première personne fragile mais en fin de compte, on se retrouve un cinéma fait spécialement pour tel ou tel festival. Le cinéma d’auteur a perdu la spontanéité d’antan et s’est métamorphosé à des entreprises économiques. Ce n’est la faute des auteurs.

Pour finir, je dirais qu’il viendra un jour ou un auteur parlera de son film en disant mon film n’est pas fait pour les festivals au lieu de dire, ce n’est pas un film pour le grand public pourtant comme on disait dans le temps.

Ecrire cette lettre vidéo, c’est triste comme pour écrire une lettre de rupture, une lettre d’adieu, la fin d’une histoire d’amour. J’aurais bien aimé l’écrire pour une autre raison mais c’est la vie et c’est  aussi la volonté des politiciens. Le cinéma commence par une histoire d’amour et finit par un mariage arrangé.  Il nous faut un peu de courage pour quitter le système pour inventer autre chose, pour faire du cinéma  un art.

Merci Samuel, Sébastian, Prune, Patrick, et Karim merci à tout ceux que j’ai eu le plaisir de croiser dans la région, qui font désormais parties de mes souvenirs par ce que beaucoup de chose sont passé pendant ces deux séjour à part l’écriture du film.

Il fait toujours beau mais il faut salir l’écran vide…

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