«Le lectorat est le véritable garant de la qualité du produit journalistique»

Nourredine Miftah, président de la Commission de l’entreprise de presse et de la mise à niveau du secteur au sein du CNP

Nourredine Miftah, directeur général de la société  Mediayam, éditrice du journal hebdomadaire «Al Ayam» et président de la  Commission de l’entreprise de presse et de la mise à niveau du secteur au sein du Conseil national de la presse (CNP), souligne dans cet entretien accordé à Al Bayane que la crise déclenchée par la pandémie a aggravé  la santé financière des entreprises de presse. Tout en appelant les organes de presse à développer leur business model   en diversifiant  leurs offres journalistiques, notre interlocuteur invite  les pouvoirs publics à contribuer la requalification du secteur en garantissant davantage  l’indépendance de la profession.

Al Bayane : quel diagnostic faites-vous après que la presse imprimée  a été contrainte de suspendre ses publications à cause de la pandémie Covid-19 ?

Nourredine Miftah : il faut dire que la presse imprimée sombre aujourd’hui dans une crise inédite. Cela étant, les effets de la pandémie ont aggravé la santé financière des entreprises de presse. Notons dans ce se sens que deux pays seulement dans le monde  ont été dans l’obligation de  suspendre la publication des journaux papiers et ce suite à une décision des autorités administratives, à savoir la Jordanie et le Maroc. Il faut mettre l’accent sur le fait que ce secteur connaissait avant la crise pandémique  une situation qui laisse amplement à désirer. En fait, tous les indicateurs financiers ne renseignent sur le fait qu’il s’agit d’un secteur sinistré et ce pour plusieurs raisons. En termes plus clairs, les recettes publicitaires ont  connu une baisse significative passant de 20% à 10% en seulement trois ans, soit l’équivalent de 600 millions de DH.  A cela s’ajoute la baisse des ventes qui a impacté l’équilibre financier  des entreprises. Le paradoxe c’est est que la fréquence de lecture de la presse a doublé, étant donné que l’espace café constitue le lieu de prédilection pour lire les journaux, sachant que ces espaces absorbent 65% de Le confinement sanitaire imposé par les autorités publiques a fait que les ventes ont atteint le degré zéro. Qui plus est, les recettes publicitaires des entreprises de presse ont connu une régression fatale allant jusqu’à 90%, soit environ 100 millions de DH pour chaque mois depuis le début du confinement.

Comment alors  envisagez-vous la reprise?

Au début, il y avait un certain cafouillage. Les éditeurs ont été informés à travers un post Facebook. Il faut  dire que les entreprises de presse  n’ont pas pu retourner au marché et ce  pour des raisons qui sont tout à fait objectives.   Outre les contraintes du confinement sanitaire et la fermeture de tous les points de ventes et les espaces de café, les lecteurs vu leur l’état psychologique ne sont pas motivés à acheter les journaux. Autre point non moins important, c’est que la zone II constitue 80% de l’ensemble des ventes des journaux et périodiques… Je pense que même les entreprises qui ont décidé de retourner au Maroc seraient dans l’obligation de réduire leur tirage à moitié en attendant la levée du confinement et le retour à l’état normal.

Certains analystes affirment que la presse papier n’a plus sa place dans le champ journalistique au regard d’une concurrence acharnée des médias numériques, partagez-vous cet avis?

Il s’agit d’un jugement infondé qui ne se base pas sur une évaluation objective. Le papier est un médium parmi d’autres. Ainsi, Je préfère  alors  parler de la presse écrite qui aura toujours un rôle à jouer dans le champ médiatique. En plus, je souligne que plusieurs lecteurs nous ont contacté pour éditer les formats PDF en forme papier pour la mettre sur le marché.  En dépit du recul de ses ventes, la presse imprimée a toujours sa place. Ceux qui prédisent la mort du format papier ont tort.

Je dois souligner dans ce sens que malgré l’essor du livre électronique, le livre papier est toujours en tête des ventes. Aussi, faut-il souligner que la presse écrite a toujours un rôle dans le champ  des médias. En fait, sa particularité consiste dans le fait qu’elle dispose de temps pour donner une valeur ajoutée à l’information et offrir au lectorat un traitement bien différent de la presse électronique qui se focalise uniquement sur l’information instantanée.

Par ailleurs, il faut reconnaitre que durant  la crise du Covid 19, toutes les ventes des journaux papier ont connu une nette régression, mais en parallèle Les abonnements  au service PDF ont presque  doublé. A titre indicatif, le journal  « Le Monde » qui vend quotidiennement  100 mille exemplaires papier, les achats du même contenu en format  PDF ont atteint 200 mille. Ce constat s’applique sur  plusieurs supports aussi bien aux Etats-Unis, qu’en Europe ou encore  en Asie. Les éditeurs sont ainsi appelés à trouver un équilibre entre le format papier et le format PDF.  Grosso modo, la presse en format  papier a une force complémentaire. Il ne faut pas aussi omettre que plusieurs médias électroniques ont été contraint de mettre la clé sous le paillasson. Bref, le business  modèle qui consiste à offrir des informations gratuites en se contentant des recettes publicitaires a trouvé ses limites.

Quels sont les défis qui guettent la presse imprimée?

Notre devoir en tant qu’éditeurs nous impose à rétablir une relation de confiance entre la presse et la société. Les journalistes sont aussi invités à donner l’exemple voire donner  une belle image sur le métier en s’affranchissant des litiges et les soi-disant conflits qui ne font que ternir l’image noble du métier. En plus de cela, le corps journalistique doit s’atteler à la tâche celle de renforcer l’indépendance du secteur et faire preuve d’un professionnalisme élevé. Cela ne pourrait se faire sans une véritable requalification du secteur et la mise en place des plans de formation en faveur des journalistes tout en veillant à  instaurer des conditions strictes pour l’accès au métier. La profession du journaliste celle d’informer les citoyens en respectant les principes de la neutralité et l’objectivité est une lourde responsabilité sociale. Le renforcement des règles de  la déontologie et l’amélioration de la qualité du produit journalistique sont des conditions sine qua pour recréer la confiance entre la société  la presse.  De leur côté, la société est appelée à soutenir financièrement  ce secteur vital et qui demeure est pièce maitresse pour la promotion de la  démocratie.  Les pouvoirs publics sont aussi  invités à contribuer à la requalification du secteur en garantissant l’indépendance de la profession journalistique.  De leurs parts, les annonceurs doivent s’impliquer davantage au développement de la presse nationale au lieu de passer par Google ou Facebook. Citoyenneté oblige!

Certains analystes affirment que la presse papier n’a plus sa place dans le champ journalistique au regard d’une concurrence acharnée des médias numériques, partagez-vous cet avis?

Je ne partage nullement cet avis. Chaque type d médias a ses propres particularités. Comme je l’ai souligné, la presse électronique se focalise sur l’information instantanée, or la presse papier doit se distinguer en donnant l’importance à l’analyse et à l’investigation… Pour ce faire, cela requiert des moyens financiers colossaux. Comment peut-on alors résoudre un tel problème alors que  la qualité exige beaucoup d’investissement. Selon nos statistiques approximatives,  1 million et 800 mille du public des médias  lisent gratuitement les journaux. La contribution du lectorat va certainement améliorer le produit médiatique. Au final, le lecteur demeure le garant de l’indépendance et de la qualité du produit journalistique.

Je dois saluer dans ce sens les efforts déployés par le corps des journalistes qui fait un travail remarquable en dépit des faibles moyens dont ils disposent. Environ 600 journalistes produisent 20 journaux quotidiens et 15 supports périodiques.  C’est un travail remarquable en comparaison avec les entreprises de presse à l’échelle internationale où on trouve qu’un seul organe de presse  emploie environ  l’équivalent des journalistes marocains.

Alors  quel business model pour la presse papier?

 Il faut revoir le business model de la presse. Cela étant, l’offre gratuite de l’information en se contenant des recettes publicitaires est un modèle caduc. Les entreprises de presse doivent diversifier leurs offres pour qu’elle soit partagée entre le format papier et celui du PDF. A cela s’ajoute le développement du créneau électronique pour se mette au diapason du diktat technologique ou encore créer des chaines digitales, des radios en ligne tout en veillant au développement de l’abonnement via le net.  Soulignons dans ce sens que le Maroc compte parmi les pays qui ont  le  taux le plus faible  d’abonnement.

Le Conseil national de la presse (CNP) œuvre actuellement pour la finalisation d’un projet celui de la création d’un Fonds pour le développement de la lecture des journaux qui fait partie d’une stratégie nationale qui a débuté par le lancement d’une  large campagne de sensibilisation aux bienfaits de la lecture. Plusieurs acteurs institutionnels vont contribuer à ce Fonds, notamment les collectivités territoriales, des départements ministériels et le secteur privé, entre autre autres.

Ainsi, nous œuvrons en partenariat avec le ministère de l’éducation nationale à introduire des programmes dédiées à la presse dans l’enseignement scolaire et des matières d’analyse du contenu médiatique pour lutter contre les «fake news».

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