Le documentaire pour ne pas oublier

Il y a un an la capitale française était secouée par les attentats contre l’hebdomadaire satirique Charlie Hebdo. Des images terrifiantes d’une violence inouïe avaient marqué les esprits et ont révélé à la société française une part oubliée de son ombre. Les auteurs de cette tragédie étaient tous de nationalité française. A chaud, l’émotion de l’opinion publique illustrée par le célébrissime «Je suis Charlie» avait obstrué l’horizon d’une appréciation sereine et objective du drame. Beaucoup de démagogie, de manipulation politicienne et d’instrumentalisation médiatique ont dicté une grille de lecture unilatérale et manichéenne.

Un an après, la durée offre une distance propice à un travail de discernement et d’analyse lucide. La durée, la distance…c’est le programme narratif d’un documentaire qui se respecte. Et la télévision publique -heureusement- sait nous en offrir, de temps en temps, des exemples. Cette semaine qui coïncide avec ce triste anniversaire, les chaînes publiques françaises, notamment France3 (lundi), ARTE (mardi) ont programmé des émissions et des films pour dire la mémoire des attentats de janvier 2015. Au sein du bruit médiatique de l’autocélébration par le pouvoir de cet événement, certains films ont su proposer une piste de réflexion, loin des schémas balisés par les chaînes d’info en continu (l’exécrable BFM comme modèle sinistre) qui ont mélangé les genres versant dans la récupération sensationnelle du drame, au-delà de toute pudeur humaine et toute déontologie professionnelle.

Les visages de la terreur de Stéphane Bentura est à considérer comme l’un des moments fort de cette messe médiatique autour de la mémoire des attentats. C’est un film qui se distingue par la qualité de son écriture (loin des reportages hâtifs dominant à la télévision) et par la pertinence de son propos. Dans Les visages de la terreur ont voit plus les visages que de la terreur. Celle-ci reste hors champ. En focalisant sont regard sur le parcours de ces héros d’un nouvel âge de la terreur, le film tente de comprendre. Il suit en effet le parcours des meurtriers de janvier 2015, les frères Kouachi et Amedy Coulibaly. Il s’attache à révéler et à restituer devant nous la vie des hommes, avec leurs et leurs désirs, qu’ils étaient. « Humaniser n’est pas excuser » dit la voix off du commentaire en ouverture du film. Le film, un travail d’enquête, est construit autour de l’articulation de trois axes qui se chevauchent et se complètent : des images d’archives, des témoignages de proches et des plages de commentaire. Un journaliste est présent discrètement à l’image pour mener le fil directeur ou pour relancer un témoignage. On voit ainsi, sans parti préalable, le cheminement qui a conduit ces trois jeunes hommes, issus de milieux défavorisés, à se radicaliser et à se transformer en justiciers de Dieu. On voit la périphérie, des familles déchirés, des foyers pour délinquants…et puis en arrière plan des images d’un monde globalisé où une culture, celle du monde arabo-musulman, est foudroyée par de multiples formes d’agression, exogènes et endogènes : destruction de l’Irak par les Américains ; printemps arabes dévoyés…Le film montre bien que ces hommes de janvier étaient les enfants de l’injustice, de la paupérisation, de l’échec scolaire et de la petite délinquance qui finit par grandir. Une génération vexée, frustrée et humiliée. L’une des séquences fortes du film est celle où l’on voit le jeune Chérif Kouachi en comédien amateur : il avait joué en effet dans un court métrage associatif…faisant preuve de vitalité et d’engouement pour la vie. Hélas ce fut dans la mort qu’il va voir ce qu’il n’a pas vu dans la vie.

Mohammed Bakrim

Top