Par Rachid Hammouni*
En tant que parlementaire, président de groupe à la Chambre des représentants et membre de la direction du Parti du Progrès et du Socialisme, je suis profondément ancré dans la pratique politique quotidienne, à la fois sur le front institutionnel et au sein de la société. Pourtant, il m’arrive souvent de prendre du recul, intellectuellement et émotionnellement, face aux pressions du quotidien et aux contraintes de la responsabilité. Ce recul me permet d’examiner notre situation politique avec détachement, uniquement animé par mon attachement sincère à ce pays, à sa terre, à son peuple, à son histoire, à sa civilisation et à ses institutions.
Le Maroc est un pays magnifique et accueillant, doté d’atouts incomparables, d’une civilisation parmi les plus anciennes et d’une identité nationale d’une richesse inouïe. Son ambition de progrès est légitime et immense.
Notre Maroc moderne, malgré la complexité et les douleurs du chemin parcouru, s’est construit grâce à la volonté réformatrice de l’Institution Royale et aux sacrifices de générations de militants et de forces vives de la nation. Ce parcours a permis l’émergence d’une démocratie naissante, soutenue par des institutions solides et une pluralité politique bien ancrée.
Pourtant, en cette année 2025, une question me hante : notre espace politique est-il en bonne santé ? Sommes-nous sur la bonne voie ? Chacun joue-t-il réellement son rôle comme il se doit ? Le citoyen d’aujourd’hui a-t-il encore l’envie, la capacité et l’état d’esprit nécessaires pour s’investir dans l’action politique ? Les acteurs politiques font-ils preuve du minimum requis de noblesse, d’éthique et de cohérence entre leurs paroles et leurs actes ? Sommes-nous à la hauteur de la Constitution de 2011 ?
Les discours, les pratiques du gouvernement, du Parlement et des partis politiques, les figures qui les incarnent, les offres qu’ils proposent… tout cela contribue-t-il à rendre la politique attractive aux yeux des millions de jeunes Marocains ? Sommes-nous, chacun à notre niveau – simples citoyens, responsables politiques ou institutionnels –, capables d’un minimum d’autocritique afin de redresser la trajectoire et de rétablir la confiance ?
En observant notre société, je constate une classe moyenne autrefois moteur de la démocratie, aujourd’hui submergée par les préoccupations liées au coût de la vie et au pouvoir d’achat, au point de se désengager dangereusement de l’espace politique.
Je vois de jeunes entrepreneurs lutter pour survivre dans un environnement des affaires hostile, tandis que les magnats du capitalisme de rente prospèrent, non seulement dans l’économie, mais aussi en infiltrant dangereusement la sphère politique – cumulant mandats parlementaires, postes gouvernementaux et responsabilités au sein des partis et des collectivités locales – avec pour seule ambition d’étendre leur influence et de maximiser leurs profits.
Je vois des citoyens défavorisés et marginalisés, certains s’accrochant coûte que coûte à leur dignité, d’autres, acculés par la misère, contraints de la brader en vendant leur vote aux corrupteurs qui, habiles artisans du maintien de la précarité, exploitent la détresse sociale avec cynisme.
Je vois des intellectuels, des jeunes, des élites, des militants, éparpillés aux quatre coins du pays, isolés, marginalisés, déçus et désabusés. Jugés inaptes à réussir dans les élections par les dirigeants politiques, ils finissent par douter d’eux-mêmes et de l’utilité de leur engagement. Des décennies de dévalorisation du militantisme, de désenchantement et d’échecs répétés ont ancré en eux une interrogation lancinante sur le sens du combat pour l’intérêt général. La montée de l’individualisme et du pragmatisme opportuniste, conjuguée à de profondes mutations sociétales, a achevé de les éloigner de la scène politique.
Ces défis sont immenses, mais ils ne sont pas insurmontables. Notre démocratie est un chantier inachevé qu’il nous appartient de poursuivre si nous voulons que notre nation occupe une place de choix parmi les grandes nations.
Tout doit commencer par un changement du discours politique. Il est inacceptable, par exemple, que le gouvernement s’auto-congratule avec une arrogance déconcertante sur ses soi-disant réalisations inédites, alors que la réalité quotidienne des Marocains est plus dure que jamais.
Il est inacceptable qu’un parti politique se prétende « irréprochable », exempt de toute erreur. Il est tout aussi inacceptable que nos formations politiques ne se préoccupent que de remporter des sièges électoraux, reléguant au second plan leur identité, leur référentiel idéologique, ainsi que les principes de probité et d’intégrité.
Il n’est plus tolérable que le Parlement soit réduit à un théâtre de divertissement médiocre, alors qu’il devrait être un véritable espace de débat sérieux, d’affrontement des idées et d’élaboration de propositions concrètes pour améliorer la vie des citoyens. Nos parlementaires doivent incarner des modèles en matière de conduite politique, en respectant des règles de dialogue constructif et en évitant toute forme de dérive autoritaire ou de personnalisation des conflits.
Il est inadmissible de laisser le tsunami de l’argent et des intérêts privés submerger les élections, les partis et les institutions élues. L’État a le devoir d’intervenir avec fermeté pour endiguer ce phénomène, non seulement par respect de la loi, mais aussi pour préserver l’image, la réputation et l’avenir du pays.
Il est aberrant que les partis au pouvoir négligent les préoccupations des Marocains pour se livrer, dès à présent, à une guerre sans merci pour la première place aux prochaines élections, comme si nous étions en pleine « Coupe du Monde électorale » !
Il est tout aussi consternant que certaines formations de l’opposition ne cherchent qu’à décrocher un strapontin gouvernemental à tout prix, tandis que d’autres sombrent dans une personnalisation excessive du débat, au détriment de véritables propositions alternatives.
Mais plus grave encore serait de voir la jeunesse, les intellectuels et les citoyens intègres rester les bras croisés, comme si la politique ne les concernait pas. C’est une erreur monumentale. Il leur revient, à eux aussi, de s’impliquer et d’agir pour réformer ce qui ne va pas dans notre paysage politique, partisan et électoral. Personne ne le fera à leur place.
Il n’y a pas de développement possible sans démocratie et sans la libération des énergies et des talents de notre société. Il nous appartient à tous d’apporter notre pierre à l’édifice, quel que soit notre rôle, aussi modeste soit-il. Car ce pays mérite notre engagement et nos efforts. Il nous appartient de le rendre fier de nous, comme nous devons être fiers de lui.
Président de groupe du PPS à la Chambre des représentants et membre du Bureau politique