Pourquoi Centrale Danone fait grise mine

Arrivé en février dernier à la tête de Centrale Danone, Didier Lamblin, le nouveau PDG, a fait ses premières sorties médiatiques en juin dernier. Leur contenu sonne comme une justification aux performances mitigées de Centrale Danone pendant que la concurrence elle se porte relativement bien. Ses explications demeurent peu convaincantes au regard d’expert du secteur.

L’année 2015 n’aura pas été des plus florissantes pour Centrale Danone, au même titre que 2014 qui elle aussi n’avait pas été des plus reluisantes. En effet, le chiffre d’affaires 2015 a accusé une baisse de 4,2% par rapport à 2014. Certes, le recul n’est pas incommensurable, mais tout de même, pour le leader du marché le coup est dur. Le chiffre d’affaires consolidés’affiche ainsi à 6 745 millions de dirhams, contre 7043 millions de dirhams durant l’exercice 2014. «Cette baisse s’explique essentiellement par la baisse des ventes des filiales liées à l’activité́ de commercialisation des génisses, ainsi qu’à la continuité́ du déclin de l’ensemble de la catégorie du lait affectée par une baisse de la consommation ; toutefois les produits laitiers frais sont en croissance sur l’année 2015», peut-on lire sur le communiqué de presse diffusé à l’occasion de la publication des résultats annuels. Seulement, les raisons avancées sont loin de constituer les seules explications aux difficultés, sans doute passagères, rencontrées par Centrale Danone et qui ont fait que sa part de marché est passé de 60% il y a encore trois ans à 52% aujourd’hui.

Le Groupe Danone prend ses marques

Didier Lamblin, le PDG de Centrale Danone, admet toutefois qu’il y a bien des raisons endogènes au fléchissement de l’activité du numéro 1 du secteur. Il cite à ce titre les incidents de qualité qui ont impacté négativement les ventes de l’entreprise. Entre le lait UHT Centrale, le beurre et Raïbi Jamila, l’image de Centrale Danone a été pas mal écornée en 2015. Si désormais, les choses sont rentrées dans l’ordre selon le management, il n’en reste pas moins que l’année 2016 sera challenging pour le Groupe Gervais, qui est aux commandes de Centrale Danonne depuis 2013. Centrale Danone occupe une place importante au sein du groupe Danone. Elle est la 6ème société́ par la taille du pôle« Produit Laitier Frais» et représente environ 6% de son chiffre d’affaires. Elle est aussi la premièresociété́ par la taille du Groupe Danone sur le continent Africain. Autrement dit, redresser la barre est un enjeu de taille pour le groupe. Mais il faut dire que depuis deux ans les défis qu’a dû relever le nouvel actionnaire étaient nombreux, et ont eux aussi participé à la baisse de régime de Centrale Danone.

Didier lamblin PGD C. LaitèrePour rappel, Danone a acquis en date 10 décembre 2015 une participation additionnelle de 5% du capital de la Centrale Danone, pour un montant de 706,5 millions dirhams. Une opération intervenue suite à une première transaction réalisée en 2013, puis d’une seconde transaction réalisée en 2014, par lesquelles Danone avait porté sa participation à des niveaux respectifs de 68,72% puis de 90,86%.  Désormais, avec 95% des parts, Danone est seul maître à bord. Depuis sa prise en main, plusieurs chantiers ont été amorcé dont le renouvellement de l’outil industriel. « Il faut surtout garder à l’esprit qu’il a fallu faire un état des lieux et procéder à un rééquilibrage des comptes, car souvent il faut procéder à des réajustements qui prennent généralement trois à quatre ans », explique un analyste financier. Sans donner plus de détails, l’affirmation laisse libre cours à plusieurs interprétations possibles. En tout état de cause, cela signifie que durant ces deux dernières années le nouveau management était davantage accaparé par une remise à niveau global, pendant que le marché lui faisait des siennes.

Une consommation en berne

«Il ne faut pas omettre non plus le fait que le nouvel actionnaire a besoin de temps pour prendre ses marques et se saisir des spécificités business au Maroc, notamment en matière distribution », poursuit notre source. En effet, le marché est caractérisé des circuits importants de distribution informels composés de laiteries qui représentent 20 à 25 % des volumes collectés et non manufacturés. Aussi, pour Centrale Danone le circuit traditionnel représente 90% du chiffre d’affaires au 30 juin 2015 et couvre les tournées traditionnelles (espiciers) et les dépositaires. Le circuit moderne quant à lui ne représente que 10% du chiffre d’affaires, et couvre les Grandes & Moyennes Surfaces, les superettes ainsi que les collectivités, hôtels & restaurants. Evidemment les équipes opérationnelles sont globalement les mêmes et connaissent le terrain, simplement il s’agit pour le nouveau management de prendre ses marques et d’intégrer les différentes données au niveau de sa stratégie

Ceci dit, la baisse de la consommation de lait est de produits laitiers frais st sensible, et la campagne «anti lait» n’y est pas tout à fait étrangère. La consommation nationale de lait est passée de de 28,7 litres par an à 26,3 litres entre 2013 et 2014, alors que le taux de croissance annuel moyen sur la dernière décennie s’affiche à 4,5%. Idem pour les PLF (produits laitiers frais), les marocains n’en ont consommé que 13,8 kilogrammes par an en 2014 versus 14,9 en 2013, quand chaque année leur consommation augmentait en moyenne de 6,7%de. Même la consommation de lait industriel a marqué le pas, passant de 819.000 tonnes par an à 774.000. Parallèlement à cela, les achats importés qui représentent 30% du total des achats, essentiellement les emballages (plastique) et poudre de lait, ont connu une forte inflation entre 2013 et 2014 due aux tendances inflationnistes sur les marchés internationaux.

« Cependant à la baisse des coûts des matières a permis de compenser l’inflation sur certaines catégories d’emballage, sur la masse salariale et l’augmentation des investissements réalisés en 2015 pour la mise à niveau des outils industriels et de distribution », affirme un autre analyste financier. En somme, la baisse de la consommation et le renchérissement de certains coûts n’expliquent pas tout.

Bien que Centrale Danone reste le leader du marché, suivi de Copag et Safilait, renouer avec la croissance ne sera pas une sinécure.Le ralentissement du marché́ du lait industriel conditionné durant les quatre dernières années s’est accompagné́ d’une intensification de la concurrence sur le marché́ et de l’arrivée de nouveaux acteurs régionaux (Safilait) qui ont vu leurs parts de marché évoluer rapidement.

L’agenda 2016 est clair : «continuer à piloter l’exécution des plans stratégiques essentiels pour développer un modèle de croissance rentable et durable, tout en gérant les défis d’une consommation qui demeure difficile», indique le management. Et c’est tout le défi que doit relever Didier Lamblin, le nouveau PDG.

Les chiffres clés du secteur

La filière laitière au Maroc se décompose en quatre principaux maillons :  à l’amont, une grande diversité́ d’élevages de bovins ;  les organismes de collecte du lait qui assurent le lien entre des milliers d’exploitations et les industries laitières;  les usines laitières ; et  les consommateurs.

7,85 milliards de dirhams par an de CA

300 000 producteurs permanents

461 000 emplois

1,2 million de vaches laitières reproductrices

400 000 exploitants

82opérateurs dont 2 contrôlent 80% des volumes traités

Les chiffres clés de Centrale Danone

4000 collaborateurs

75 000 points de ventes desservis

120.000 éleveurs

6,74 milliards de dirhams de chiffre d’affaires en 2015

646 millions de litres collectés en 2014, soit 51% de la production nationale industrialisée.

L’homme de la situation ?

Lorsqu’on regarde de plus près le parcours de Didier Lamblin , l’internationalest omniprésent ces dernières années : Autriche, Afrique du Sud, Afrique Subsaharienne et Mexique. Autant dire que durant ses 35 années de carrière au sein de Danone, Didier Lamblin a dû faire face à différente problématique. Néanmoins, il est clair que c’est l’expérience mexicaine qui semble avoir joué en sa faveur vu la ressemblance
Didier Lamblin a rejoint Danone au sein de Danone France en 1980, où il a occupé́ différentes fonctions dans le département des ventes. En 1990, il a été́ nommé Directeur de Ligne de Neufchâtel en Braye puis, en 1992, Directeur Commercial de Danone France. En 1998, il a été́ nommé Directeur Général de Danone Autriche puis en 2003, Directeur Général de Danone Clover SA en Afrique du Sud. En 2005, il a été́ nommé Directeur Général de Danone Mexico.
«J’ai eu la chance de travailler dans des pays où j’ai découvert la distribution de proximité, parfois dans des conditions de sécurité plus complexe, notamment en Afrique du Sud. J’ai travaillé ensuite au Mexique où le réseau de distribution représentait près de 50% de nos ventes et où des multinationales, comme Coca Cola, réalisaient entre 80 et 90% de leur chiffre d’affaires via le canal classique de distribution. A travers mes expériences dans ces pays-là, j’ai compris que l’accompagnement est la meilleure façon de servir dignement ces épiciers, qui sont en quelque sorte nos ambassadeurs», a-t-il déclaré lors de sa dernière sortie médiatique. Un savoir-faire qui permettra peut-être à Centrale Danone de redresser la barre. Depuis 2011, Didier Lamblin était directeur général de Blédina. Depuis février 2016, il succède à Jacques Ponty qui désormais épaule le directeur général Afrique pour le développement de la multinationale sur le continent. Initialement le Maroc devait en partir servir de hub, simplement Lamblin semble d’abord vouloir renouer avec la croissance au Maroc, avant de développer les exportations vers l’Afrique (Mali, Sénégal et Mauritanie) qui restent encore confidentielles représentant 5% des ventes de Centrale Danone, et que ce dernier qualifie d’opportunistes.

Somayya Douieb

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