A quand une véritable reforme ?

l’accès à des soins de qualité, aux médicaments, à l’éducation…S’agissant du secteur de la santé, quel est le constat ? Que pouvons-nous entreprendre ?

Le Diagnostic est connu depuis 2004

Pour avoir une vision sanitaire, la plus juste, la plus claire, mais aussi la plus cohérente afin de poser un diagnostic objectif de la situation, le meilleur moyen  c’est de procéder à une évaluation.
L’évaluation d’un système de santé peut–être engagée de différentes manières. On peut l’aborder sous l’angle de l’offre et de la demande des prestations de santé. Que constatons-nous à ce sujet ?
Nous constatons que cette offre des soins est toujours déficitaire. Ce qui se traduit sur le terrain par des difficultés d’accès aux soins pour les populations.
Il y a une mauvaise gestion, une mauvaise répartition des moyens existant. Nous notons une concentration des structures, des ressources humaines et matérielles sur l’axe Kenitra-Casablanca.
Il ne faut pas être devin pour faire ce constat et à ce sujet  il faut rendre ici hommage au ministre de la santé, à son courage et son  honnêteté, car en homme responsable, très eu faite de la situation, il a dressé un diagnostic pertinent des maux qui gangrènent le système de soins depuis bien longtemps et plus précisément depuis 2004.
Abordant la question de la réforme hospitalière, le professeur  Houcine Louardi, avait écrit dans l’un de ses billets, qu’il  serait vain d’entreprendre des démarches dans tel ou tel secteur de la santé sans avoir envisagé les complications et les répercussions sur les autres. Cela ne signifie nullement qu’il faille agir sur tout en même temps mais les responsables doivent avoir la claire conviction qu’il faut, à tout le moins préciser, programmer et connecter entre elles toutes les étapes de ce qui ne peut être qu’une réforme globale et cohérente du système de santé.
Le professeur Louardi avait à cette époque insisté sur l’harmonisation de  la médecine publique et la médecine libérale qui devrait être le vœu déclaré de tous les décideurs de la santé.
a) par la définition d’une carte sanitaire, prenant en compte toutes les formes d’activité, harmonisant les procédures et les modalités d’autorisation :
Ou bien continuer de saupoudrer tout le territoire de tous les matériels les plus sophistiqués au gré des pressions locales tant publiques que privées.
Ou bien décider d’une certaine concentration des équipements en certains points géographiques.
b) par une réflexion et une décision quant au budget global hospitalier qui n’est actuellement que public.
2. Comment faire émerger à côté de la médecine thérapeutique une véritable médecine préventive ?
Ce qui en terme d’économie peut se traduire ainsi : faut-il dépenser plus à court terme pour réaliser des économies ultérieures ?
La prévention devrait être davantage intégré dans les actes des médecins libéraux par exemple avec une convention thérapeutique à l’acte et une convention préventive forfaitaire.
3. Les missions respectives des différents établissements hospitaliers publics et privés sont à redéfinir, ce qui amène notamment à évoquer les problèmes de l’enseignement et de la recherche et l’évolution vers l’hôpital: « plateau technique » ou « hébergement court ».

Dix ans après

Lors d’une conférence à l’ISA en 2012  autour du thème diagnostics et réformes du secteur de la santé, le professeur Louardi avait  au début de sa présentation rappelé les avancées (peu nombreuses) qui ont été jusqu’alors réalisées dans le domaine de la santé, mais le ministre s’était surtout longuement arrêté sur les défis qui restent à relever, et parmi ceux-ci, le ministre a particulièrement insisté sur :
1) les difficultés d’accès aux soins et aux services de la santé
2) le déficit aigu en ressources humaines et financières
3) la crise de confiance dans le système médical et dans les professionnels de la santé alimentée par la mauvaise presse dont pâtit le secteur (que le ministre estime assez justifiée en raison de certaines pratiques illégales)
4) la déficience de gouvernance que l’on peut déceler à tous les niveaux de gestion (politique, économique et administrative) du secteur.
Le conférencier a dressé un bilan assez accablant de l’état du système de santé au Maroc. Il a notamment critiqué la forte centralisation des décisions (qui renvoie aussi à une sorte de régionalisation non effective et à l’absence d’autonomie de gestion[1]), la faible action sur les déterminants sociaux de la santé, ainsi que l’absence d’une politique claire sur les médicaments. Sans oublier le manque de complémentarité entre le public et le privé.
Les statistiques de ce déséquilibre sont d’ailleurs très parlantes. Le Maroc, a rapporté Louardi, est parmi les 57 pays en situation de déficit aigu en personnel ; car il faudrait recruter au moins 9000 infirmiers et 7000 médecins pour que le système soit relativement performant. À cela sont associées, bien évidemment, toutes les grandes difficultés d’accès aux soins qu’illustrent de façon univoque tant le très bas rapport de contact médical par habitant et par an – évalué à 0,76 (1,7 en Tunisie) – que le faible taux d’hospitalisation – moins de 5% (10-25% dans les pays-membres de l’OCDE
Dans ces conditions, il est difficile d’envisager sur le court terme des avancées substantielles. D’autant que les capacités de financement sont restreintes – la santé coûte 5,3% du PIB, contre 6,4% en Tunisie et 9% en OCDE – et que les possibilités de formation et de recrutement sont très limitées.

Mise en place d’un système d’évaluation des soins

En 2004, le professeur Louardi écrivait à propos du système d’évaluation des soins , que ce système devrait reposer sur l’outil informatique qui sera appelé à prendre de plus en plus d’importance dans le recueil, notamment, des données médicales et techniques, et on peut prévoir que d’ici l’an 2007, tout médecin marocain sera amené à l’utiliser.
Par ailleurs, s’agissant d’un problème majeur comme celui de la santé qui concerne tous les citoyens, il serait illusoire dans la société contemporaine de faire des médecins les seuls évaluateurs d’eux-mêmes, les seuls décideurs ou les seuls orienteurs. Ils doivent admettre de partager leurs prérogatives dans ce domaine de l’évaluation des activités médicales et techniques avec les gestionnaires, les administratifs et les responsables élus.
Le problème des hommes est essentiel. Il importe de ne pas heurter les sensibilités, et de tenir compte des intérêts légitimes qui ne sont pas tous corporatistes.
Mais il importe avant tout de choisir un axe, une solution dans les domaines que nous avons évoqués, et une fois la décision prise de s’y tenir. Les réformes ponctuelles en découleront. Elles ne peuvent en être le préalable, sauf à engendrer confusion, contradiction et inefficacité.
Aujourd’hui, nous pouvons aussi faire une évaluation de notre système de santé en ayant recours aux différents indicateurs de santé qui sont toujours alarmant malgré les moyens colossaux injectés dans le secteur de la santé. Parmi ces indicateurs,
Il u a la mortalité néonatale qui est de 21 ,7 pour mille naissances vivantes et la mortalité infanto-juvénile qui est de 30 pour 1.000 naissances vivantes.
Dans le même registre, il y a la mortalité maternelle et infantile qui ont certes enregistré quelques points positifs selon les déclarations du ministère de la santé qui bien entendu justifie les dépenses effectués à ce niveau, mais il n’en demeure pas moins vrai que ces mêmes indicateurs (mortalité maternelle : 112 décès de femmes au moment de l’accouchement pour 100.000 naissances vivantes).
Nombre d’hôpitaux 141
Nombre de lits des hôpitaux publics 21.734
Nombre des établissements de soins de santé de base 2689
Nombre de cliniques privées 319
Nombre de cabinets 6652
Nombre de médecins des  2 secteurs 19746
Nombre d’infirmiers 30.000

Complémentarité entre secteur privé et secteur public

Autre constat tout aussi révélateur d’un manque de cohésion, de convergence et de complémentarité pour illustrer les anomalies qui minent le secteur de la santé. C’est le manque de complémentarité entre secteur privé et secteur public, il n’y a pas de vision claire, de stratégie adaptée aux réalités qui sont vécues au quotidien par les citoyens. Le privé et le semi privé sont guidés par des objectifs qui leur sont propres, qui leur sont spécifiques et pratiquent de ce fait des politiques qui ne sont pas toujours en harmonie avec celles du ministère de la santé, c’est en grande partie ce qui explique cette anarchie dans les installations des cabinets et des cliniques privées qui poussent comme des champignons au niveau de certaines villes.
Des établissements qui se livrent une concurrence déloyale, qui pratiquent des tarifs fantaisistes pour certains et qui semblent ignorer totalement le ministère de la santé.
Toujours dans le registre de ces évaluations, il y a le personnel qui exerce au niveau de ces cliniques. Dans bien des cas se sont des jeunes filles sans aucune formation infirmière, sans aucun diplôme reconnu par l’état et donc par le ministère de tutelle qui font office d’infirmières aux risques et périls des malades qui ignorent bien entendu cet aspect fondamental dans la prise en charge des patients, un droit de chaque malade de pouvoir être soigné par des professionnels de santé qualifiés.

Des grèves, toujours des grèves

S’agissant toujours des éléments qui portent atteintes et qui finissent par nuire à l’image de marque du secteur de la santé il y a les grèves chroniques qui secouent de temps à autre ce secteur. Tous les citoyens auront remarqué que depuis un certain temps, pour ne pas dire depuis quelques années, le malaise qui caractérise le secteur de la santé.
Tour à tour, nous avons noté le profond mécontentement, les réactions des différentes catégories des personnels de santé. Tous les professionnels ont manifesté, ce furent les enseignants, les médecins, les infirmiers, les médecins résidents, les techniciens.
Ces épisodes de malaises constants ont eu pour effet l’observation d’une série de grèves organisées par différents syndicats du secteur de la santé publique.
Ces grèves sont devenues chroniques, chaque année depuis un certain temps le secteur de la santé a enregistré le taux le plus élevé de jours d’arrêt de travail consécutifs à la grogne qui régnait dans le secteur de la santé, Les grandes victimes de ces grèves, de ces perturbations qui se sont succédé au fil du temps sont en premier lieu les malades, qui souvent ne savaient plus à quel saint se vouer.

Des disparités choquantes et pénalisantes

Le secteur de la santé traverse donc une crise. En témoignent les disparités criantes qui existent entre régions. Certaines zones sont sous-équipées, sous-médicalisées. D’autres sont de véritables déserts médicaux où il n’y a rien : pas de dispensaires, pas de médecins, pas d’infirmiers, pas de médicaments. Rien. Le vide total. C’est à croire que les banlieues et la campagne font peur aux médecins. Ailleurs, c’est-à-dire au niveau des grandes villes ou de villes sélectionnées, il y a de tout : des médecins en nombre pléthorique, du matériel à ne plus savoir quoi en faire, des pharmacies pleines à craquer de médicaments…
Ce sont là des incohérences que la raison ne peut accepter car elles contribuent à creuser davantage le fossé qui existe entre régions et accentuent encore plus les iniquités choquantes et pénalisantes dont souffrent nos concitoyens qui habitent les zones enclavées et reculées, où tout manque.
A côté de tout cela il est utile de rappeler les erreurs du passé tels la fermeture pure et simple des écoles de formation des infirmiers dans les années 80, sans oublier le mécanisme d’incitation à la cessation d’activité anticipée, le fameux DVD qui a eu l’effet d’une une véritable hémorragie, car laisser partir plus de 1200 infirmiers d’un seul coup fut une très grave erreur dont nous payons toujours le prix fort.

Donner au secteur de la santé les moyens de ses ambitions

La ministre a tenté un tant soi peu de remédier a cette situation et il faut saluer ici son engagement et sa ténacité en suppliant à droite et à gauche pour qu’on lui donne plus de postes budgétaires afin de recruter plus de personnel de santé.
S’agissant des ressources humaines qui sont la colonne vertébrale du système de santé, il faut mettre en place une politique axée sur la formation des infirmiers en augmentant les quotas dans les écoles d’infirmières et prendre des mesures pour rendre ces carrières plus attractives, c’est désormais chose faite.
Concrètement, cela signifie augmenter les salaires, améliorer les conditions de vie et de travail. Donner à ces professions une reconnaissance professionnelle que pour l’instant elles n’ont pas. Il est vrai que des améliorations sont entreprises actuellement, mais à quel prix ?
Lutter contre toutes les formes de corruption, assurer une nouvelle gouvernance des délégations et des centres hospitaliers où seul le mérite prévaudra…
Revoir le financement de la santé, il faut donner au secteur de la santé les moyens de ses ambitions et parallèlement assurer le suivi de chaque dirham grâce à un système de contrôle et d’évaluation (cour des comptes) Il faut en finir avec les solutions de replâtrage qui consiste a faire mieux avec moins, ce qui est impossible quand il est question de santé. On ne va pas s’amuser à mettre la santé des citoyens en danger sous le prétexte fallacieux de vouloir faire des économies. Il faut cesser une bonne fois pour toute de considérer la santé uniquement en termes de coûts et de charges. Vouloir appliquer à l’hôpital les mêmes principes et les critères de gestion que ceux des entreprises remettrait inévitablement en cause l’égalité dans l’accès aux soins.

Des moyens et des hommes

Notre système de santé se doit de mettre à la disposition de tous les citoyens les mêmes prestations, la même qualité des soins, il faut que tous puissent avoir les mêmes chances face à la maladie. Il faut en finir avec le système de santé à deux vitesses où ceux qui ont des moyens de se faire soigner vont le faire dans les cliniques huppées ou vont sous d’autres cieux et paient en devises lourdes leurs soins; ceux qui ont une prise en charge type AMO préfèrent eux aussi les cliniques quitte à payer des dépassements d’honoraires; même chose pour ceux qui ont une assurance.
Restent bien entendu les autres, tous les autres, c’est-à-dire la majorité des citoyens, celles et ceux qui n’ont pas les moyens  et qui sont obligés de s’adresser à l’hôpital public  qui assure a tous des soins de qualité avec les moyens dont il dispose , tout en améliorant l’accueil des usagers, l’organisation du parcours des soins et des prestations de service, l’humanisation et l’agrémentation du cadre général d’accueil par l’harmonisation et la standardisation des couleurs, des espaces d’accueil et de la signalisation qui existent dans les hôpitaux.

Décentraliser la gestion

Une bonne gouvernance impose la nécessité d’une souplesse dans la gestion des moyens et des hommes aux niveaux administratif, technique et financier. Elle se doit d’être en harmonie avec le niveau socio-économico-culturelle de la société dans laquelle elle s’exerce. Pour atteindre les objectifs d’une bonne gouvernance, une déconcentration des pouvoirs et une décentralisation de la gestion du secteur de la santé par son administration centrale est devenue incontournable, il faut qu’elle le soi dans les faits, dans la réalité de tous les jours.
Il est plus que urgent de décentraliser la gestion au niveau du secteur de la santé, décentralisation dans les faits et non dans les paroles, décentralisation des programmes de prévention, décentraliser la gestion du médicament, décentraliser la formation médicale continue, tous ces éléments devraient être des objectifs à court terme si l’on veut sortir rapidement de la mal-gestion.

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