C’est l’histoire d’un fquih qui exerçait ses fonctions dans un village paisible du Maroc profond ; un «village berbère» comme l’on disait dans le sillage de l’héritage colonial ; une contrée amazighe dans le Souss authentique.
Un village et une tribu ; un espace inscrit dans l’écoulement du temps…dans les logiques imposées par les cycles de la nature et des différents pouvoirs. Sauf que Si Brahim était un fquih qui avait des inclinaisons métaphysiques. Il ruminait dans sa tête trop d’interrogations qui le poussaient à s’isoler pour mieux saisir ses pensées. Ancien berger, il aimait les grands espaces ; il avait une âme de poète qui l’animait de mélancolie. Il se réfugiait alors, dans le noir, sur le toit de la mosquée…pour dialoguer avec les étoiles.
Un jour Si Brahim, las de voir son auditoire lors de la grande prière de vendredi, somnoler ou faire semblant seulement de le suivre, décida de prononcer son prêche en amazighe, la langue des gens de son village. Une première inédite dans les annales des mosquées de la région et bien au-delà. Ce fut alors une véritable métamorphose qui s’opéra auprès de son public qui se sentit pour la première fois impliqué dans le discours liturgique. Cela ne manqua pas de susciter des vocations et surtout d’interpeller les gardiens de l’ordre linguistique et de l’ordre tout court…
C’est l’argument dramatique qui porte le récit amazigh Un youyou dans la mosquée, avec comme sous titre « tawarguit d imikk » (un rêve et un bonus) qui vient d’être publié à Agadir par Mohamed Akounad et dont la traduction française a été assurée par Lahcen Nachef. Mohamed Akounad est un militant et écrivain amazighophone issu de la région de Tmanar. Il est l’auteur de plusieurs ouvrages, poèmes et fiction. Il a traduit également plusieurs nouvelles russes vers la langue amazighe. Son traducteur en français, Lahcen Nachef, cadre de l’éducation nationale, est un acteur de la société civile notamment au sein du mouvement culturel amazigh et de l’association des enseignants de français.
Un Youyou dans la mosquée se lit comme un récit ethno-philosophique. Il est centré sur un personnage principal autour duquel gravitent des figures emblématiques de la culture ancestrale. Le prêche en amazigh va fonctionner comme un élément déclencheur qui va permettre de soulever la question de la domination au sens large ; celle qui a caractérise la hiérarchie des langues dans le discours officiel mais aussi la question de la condition de la femme et de la terre qui sont au cœur de l’identité amazighe retrouvée. Le récit de domination révèle des sujets qui agissent de manière différenciée face à l’hégémonie linguistique et à la domination politique et sociale. Le Youyou qui fuse dans un lieu sacré (pour saluer la parole libérée) est une transgression de l’ordre symbolique qui renvoie aux vastes réseaux de domination.
Par Oumaâlla