«L’autisme est un soleil inversé, ses rayons sont dirigés vers l’intérieur». C’est ainsi que l’écrivain Christian Bobin décrit l’un des phénomènes humains les plus méconnus et le moins compris au Maroc, où on estime que plus de 300.000 personnes en seraient atteintes. Des chiffres qui datent de 2012. Que sait-on aujourd’hui de l’autisme ? De quelle manière est-il pris en charge au Maroc?
L’Autisme sous les projecteurs
2M a diffusé le dimanche 2 Avril 2017 un téléfilm bouleversant sur le quotidien difficile d’une famille avec son enfant autiste (Ali ya Ali). Il est vrai que lorsqu’on parle de l’autisme, cela soulève des passions autour de ce trouble du comportement. Des passions merveilleusement mises en scène par le cinéaste Abdelhai Laraki
Ali Ya Ali. Un film qui donne à voir, à ressentir et à penser.
Ayant suivi ce téléfilm de bout en bout, on peut mesurer à sa juste dimension ce qu’une mère désemparée face aux troubles du comportement de son enfant peut ressentir. Jamila ne comprend pas pourquoi son enfant, Ali qui a 7 ans, ne se comporte pas comme les autres enfants de son âge. Souvent seul, il a une passion dévorante pour la nature et les arbres.
Il ne parle presque pas et a parfois des réactions et des comportements bizarres que Jamila a du mal à comprendre. Ce que ne sait pas Jamila, c’est que son fils est tout simplement autiste.
Désemparée, Jamila ne sait que faire pour aider son fils « différent ». Elle ne sait pas comment protéger Ali des regards moqueurs des autres enfants à l’école. Elle ne sait pas comment lui permettre de vivre décemment dans une société hostile et incompréhensive.
Ce téléfilm, diffusé à l’occasion de la journée mondiale de sensibilisation à l’autisme nous rapproche des difficultés que vivent les parents des enfants autistes dans notre pays.
Qu’est ce que l’autisme?
L’autisme est un trouble envahissant du comportement. C’est la définition de l’organisation mondiale de la santé (OMS). Mais on parle de plus en plus du trouble du spectre autistique qui est la nouvelle classification depuis 6 ou 7 ans. Ce trouble se caractérise par un développement anormal ou déficient manifesté avant l’âge de 3 ans avec une perturbation sur trois niveaux :
1 /des perturbations des interactions sociales,
2 / des perturbations de la communication
3 / des perturbations du comportement
Une maladie qui apparait dans les tout premiers instants de la vie ne se détecte que plus tardivement et trop tardivement, quand le fossé entre l’enfant et le monde extérieur s’est profondément creusé. Un enfant souffrant d’autisme évolue dans son propre monde, au détriment de celui qui l’entoure.
Scientifiquement parlant, il n’y a pas de réponse réelle, absolue de la cause de l’autisme et les spécialistes lient cette affection à plusieurs facteurs, dont une partie est génétique et l’autre partie, environnementale.
De ce fait, on comprend mieux que l’autisme soit identifié comme étant un trouble sévère et précoce du développement de l’enfant apparaissant avant l’âge de 3 ans. Il est caractérise par un isolement, une perturbation des interactions sociales, des troubles du langage, de la communication non verbale et des activités stéréotypées avec restriction des intérêts.
Trois éléments cumulatifs caractérisent ainsi l’autisme: un trouble de la communication, une perturbation des relations sociales et des troubles du comportement. L’autisme est une réalité très présente à travers tous les continents de la planète. Si on se réfère aux chiffres présentés par les instances internationales spécialisées dans ce domaine, au moins 70 millions de personnes dans le monde sont concernées par l’autisme.
Qu’en est-il au Maroc?
Au Maroc, il n’y a pas de chiffres exacts concernant l’autisme, comme c’est d’ailleurs le cas pour d’autres affections. Aussi, nous allons nous contenter des chiffres d’un rapport de l’Association Internationale de Défense des Droits Fondamentaux de l’Enfant atteint d’Autisme paru en 2012. Il ressort de ce rapport que le nombre d’autistes au Maroc (tous âges confondus) serait à situer entre 338.000 et 563.000 personnes. C’est là une estimation. Toujours est- il qu’en 2017, ces chiffres ont certainement connu une augmentation importante et inquiétante. D’ailleurs, le service de pédopsychiatrie du CHU Ibn Rochd est débordé d’enfants autistes et ce, au moment où très peu de choses ont été jusqu’a présent réalisées pour les autistes.
Face aux enfants autistes
Quand on est en face d’un malade autiste, on ne peut rester indifférent à tout ce qui se déroule sous nos yeux. Contrairement aux enfants de son âge, l’autiste éprouve des difficultés avérées dans plusieurs domaines et plus particulièrement les interactions sociales, la communication et les intérêts. Ce constat est encore plus poignant, plus percutant, surtout quand on se retrouve pour la première fois face à un groupe de jeunes autistes dans un centre spécialisé.
Ce que l’on note, c’est que les autistes sont des personnes qui ont des difficultés à entrer en relation avec les autres. On les voit absentes des autres. Souvent leur regard est fuyant. Même quand elles s’intéressent aux autres, elles le font de façon inadaptée et étrange. Il leur est pratiquement impossible de s’engager dans un jeu spontané. Elles s’expriment mal ou pas du tout, comprennent et interprètent autrement ce qu’on leur dit ou ce qui leur arrive. Quand elles parlent, elles peuvent revenir de façon incessante sur un sujet particulier ou répéter les mêmes mots et phrases. On note aussi des mouvements anormaux, des gestes stéréotypes, des balancements, grimaces, démarche anormale, tournoiement du corps ou d’objets, battements des mains ou des jambes.
Quand on pose des questions aux mamans d’enfants autistes, elles ont souvent la même réponse. Elles sont unanimes pour dire que leur bébé était normal, très calme, mais qu’il avait l’air absent, le regard ailleurs et qu’il ne manifestait aucun sentiment aux câlins.
Un peu plus âge (deux – trois ans), des parents révèlent que souvent leur enfant ne connait même pas son nom, qu’il ne parle pas, ne mange pas tout seul et porte toujours des couches.
D’une manière générale, on peut dire que l’autisme affecte toutes les fonctions de l’enfant qui touchent à la communication, aux relations sociales, c’est-a-dire à sa capacité à nouer des relations avec son entourage.
Il concerne aussi tout ce qui sous-entend les relations sociales : l’imagination, l’expression des émotions, la capacité à percevoir, à apprendre, et parfois les capacités motrices.
On comprend dès lors mieux, tout le désarroi des parents d’enfants autistes qui sont souvent désarmés face à une telle situation.
Désarroi des parents d’enfants autistes
Ce qui rend la situation plus difficile, plus traumatisante et souvent dramatique pour les parents d’enfants autistes, c’est le regard que porte notre société sur ces enfants.
Notre société ne cherche pas à comprendre, mais elle porte tout de suite un jugement négatif. Le regard est biaisé dès le départ à cause du manque d’informations, du peu de connaissances sur ce qu’est réellement l’autisme.
Dans certains milieux, un enfant autiste est assimilé à un corps habité par les démons. C’est une personne qui porte en elle la malédiction, des croyances fortement encrées dans des esprits malsains, le tout entretenu par l’ignorance, l’analphabétisme…
Pour d’autres, un enfant autiste est souvent assimilé à une charge de travail énorme, à des problèmes constants, à des risques auxquels il faut faire face et qui demande une vigilance constante. Tous ces éléments ne plaident pas en faveur de la prise en charge de ces enfants au sein des écoles publiques ou privées.
En outre, concernant la prise en charge, il nous faut rappeler, insister et surtout dénoncer le fait que le Maroc manque cruellement de structures permettant d’accueillir les personnes autistes, des établissements spécialisés capables d’aider les enfants à se développer et les adultes à mener une vie digne au-delà de leurs difficultés.
Dès lors, et face à ce vide, nombreux sont celles et ceux qui se détournent, qui ne font aucun effort pour venir en aide aux jeunes enfants autistes. Face au rejet de cette urgence sociale, nombreux sont les parents d’enfants autistes qui ne savent plus quoi faire, ou à qui s’adresser. Totalement désarmés, ils vivent des situations où se mêlent le désarroi, la peur, la déception, le découragement.
Les mamans d’enfants autistes sont plus affectées et elles disent souvent la même chose: «Et après nous, que va-t-il advenir de nos enfants?.
Ce que nous écrivons, n’est pas une vue de l’esprit, mais bel est bien la réalité qui découle de tant de drames vécus au quotidien.
Dans certains milieux de notre société, nombreuses sont les personnes qui assimilent l’autisme à une malédiction. Pour d’autres, ce sont des esprits maléfiques qui s’emparent du corps de leur enfant autiste. L’autisme est aussi considéré comme une maladie liée au surnaturel, à l’ensorcellement et les personnes atteintes se retrouvent dans des situations d’exclusion, voire en danger. C’est ce qui explique en grande partie aujourd’hui les drames des enfants autistes.
Livrés à eux-mêmes et ne pouvant compter que sur la solidarité des uns et des autres, ces parents défendent comme ils peuvent les intérêts de leurs enfants autistes et luttent contre leur exclusion de la société qui occulte cette réalité.
Pour défendre les intérêts de ces enfants autistes, un réseau de 8 associations de parents et amis, a été crée en Juillet 2006. C’est le Collectif autisme Maroc qui compte aujourd’hui plus de 32 associations.
Importance du diagnostic précoce
Trop peu d’enfants autistes sont dépistés durant la première année de leur vie. Ce retard est lié à la méconnaissance des premiers signes caractéristiques de l’autisme. Pourtant, savoir reconnaitre ces signes, c’est faire gagner à l’enfant et aux parents un temps précieux. C’est dire toute l’importance de l’information, de la sensibilisation des parents. On peut d’autant plus agir sur l’autisme quand cette affection est dépistée tôt et prise en charge rapidement. Les enfants, qui sont diagnostiqués tôt, sont pris en charge rapidement.
Ceux qui travaillent auprès des enfants autistes constatent des différences notables entre les enfants soumis tôt à une intervention professionnelle précoce et ceux qui ne le sont pas. L’intervention précoce peut diminuer les symptômes secondaires, tels que les comportements destructeurs et l’automutilation. Maintenant qu’existent des interventions pour de très jeunes enfants présentant des troubles de développement, il importe, plus qu’auparavant, de faire un dépistage qui permettra de parvenir plus rapidement à un diagnostic précis et d’amorcer l’intervention appropriée.
Mieux informés, plus sensibilises, les parents peuvent comprendre pourquoi l’enfant présente un comportement inhabituel et agir d’autant mieux avec lui, de centrer plus rapidement leurs énergies sur les besoins de leur enfant. Grace à un diagnostic précoce, les parents risquent moins de voir d’autres personnes nier la gravité de l’état de leur enfant.
Le diagnostic relève de la pédopsychiatrie, une spécialité qui n’a été reconnue au Maroc qu’en 2008. Sur l’ensemble du territoire national, on compte un peu plus de 20 médecins spécialisés en pédopsychiatrie. Fort heureusement que de nombreux pédiatres ont pu être sensibilisés et formés et qu’aujourd’hui, le diagnostic et la prise en charge de l’autisme débutent tôt.
Abdelaziz Ouardirhi