‘’Ce mécontentement semble émaner davantage d’une certaine élite intellectuelle et professionnelle’’

Entretien avec M’barek Housni, écrivain et critique de cinéma

Propos recueillis par Mohamed Nait  Youssef

M’barek Housni, écrivain et critique de cinéma,  estime que ce mécontentement vis-à-vis de la télévision marocaine pendant le mois de  Ramadan semble émaner davantage d’une certaine élite intellectuelle et professionnelle,  ainsi que de certains courants politiques définis qui éprouvent généralement un malaise face à l’image en tant que représentation et reflet de notre société. «Les réseaux sociaux amplifient ce sentiment en lui donnant une visibilité accrue.», a-t-il affirmé. Par ailleurs, la qualité des séries télévisuelles marocaines, dit-il, varie d’une série à l’autre. Car, a-t-il expliqué, certaines parviennent à satisfaire pleinement, tandis que d’autres échouent.

«Il semblerait que certaines séries soient tournées seulement quelques mois avant le Ramadan! De plus, les scénarios sont souvent faibles, avec des vides comblés par les performances des acteurs, surtout ceux qui ont de l’expérience ou du talent.», a-t-il fait savoir. Entretien.

Al Bayane : c’est désormais un rituel ramadanesque. Une question harassante. En effet, ces dernières années, les téléspectateurs ne cessent pas de tirer à boulets rouges sur les grilles des chaînes de télévision marocaines pendant le mois sacré. Hormis quelques productions qui se comptent sur les doigts de la main, un air malsain soufflait depuis des années sur nos écrans en reproduisant les mêmes concepts figés,  inchangeables  et dépassés. Comment expliquez-vous ce mécontentement presque général vis-à-vis du petit écran marocain ? 

M’barek Housni : Tout d’abord, il convient d’examiner la réalité de ce mécontentement. Existe-t-il vraiment ? Sur quels éléments se fonde-t-on pour affirmer cela ? Bien que je ne sois pas au fait de toutes les données, existe-t-il des statistiques, des chiffres ou des études étayant l’affirmation selon laquelle les Marocains sont mécontents des productions audiovisuelles diffusées pendant le mois de Ramadan ? En effet, il est indéniable que de nombreuses séries et sitcoms sont plébiscitées par les Marocains, comme en témoignent les chiffres d’audience qui peuvent atteindre jusqu’à 9 millions de téléspectateurs en une seule soirée.

La réponse à cette question semble résider dans ce constat. À mon humble avis, ce mécontentement semble émaner davantage d’une certaine élite intellectuelle et professionnelle, ce que je comprends aisément, ainsi que de certains courants politiques définis qui éprouvent généralement un malaise face à l’image en tant que représentation et reflet de notre société. Les réseaux sociaux amplifient ce sentiment en lui donnant une visibilité accrue.

Certaines chaînes misent sur la fiction pour attirer de plus en plus de téléspectateurs. Que pensez-vous de la qualité esthétique et artistique de séries télévisuelles servies à la télévision ?

Bien sûr, seule la fiction a le potentiel d’attirer un public, grâce à sa capacité à créer de l’identification chez le spectateur et à susciter des émotions, qui sont les seules à pouvoir rassembler un grand nombre de personnes. Cependant, cela nécessite une maîtrise totale de tous les aspects : technique, scénaristique et thématique. En ce sens, la qualité des séries télévisuelles marocaines varie d’une série à l’autre. Certaines parviennent à satisfaire pleinement, tandis que d’autres échouent. Dans ce dernier cas, cela est particulièrement flagrant dans les séries humoristiques qui exploitent les clichés et l’artificialité des dialogues, qui amplifient les différences entre l’urbain et le rural, ou qui se contentent bêtement de reproduire la vie quotidienne sans en faire un matériau fictionnel.

Comment expliquez-vous ce manque des séries historiques ou d’époque des grilles ramadanesques ? À votre avis, le problème réside-t-il  essentiellement  dans les coûts de productions très élevés ?

Il est indéniable que le coût joue un rôle crucial, mais la réponse réside ailleurs. La création d’une série nécessite un travail de fond, principalement au niveau scénaristique. L’histoire ne peut être traitée de la même manière qu’un simple fait divers. Il faut effectuer des coupes, des croisements, des ellipses, tout en préservant la véracité des faits historiques et en atteignant les objectifs fixés, tels que la glorification de nos personnages historiques et des événements majeurs de notre histoire.

Cela nécessite une consultation des historiens et leur implication dans l’élaboration du scénario. De plus, il est essentiel de garder à l’esprit la construction d’un récit avec une progression dramatique et une ou plusieurs intrigues. Dans de telles circonstances, la tâche est ardue et demande du temps. À l’heure actuelle, il semble que peu de producteurs et de réalisateurs soient prêts à prendre le risque de s’aventurer dans ce domaine, à moins qu’ils ne soient suffisamment engagés pour le faire.

Cependant, cela pourrait devenir possible si ces réalisateurs et producteurs étaient épaulés par un véritable projet, soutenu par des instances dédiées à cette cause. Il est probable que cela se produira un jour. Il y a vingt-cinq ans, nous produisions presque rien, même pas les séries qui sont aujourd’hui critiquées.

Certaines séries n’ont pas manqué le rendez-vous avec les stéréotypes et les clichés. Peut-on dire que ce problème est lié à l’écriture, au scénario?  

Effectivement, une grande partie du problème réside dans cette tendance à agir rapidement et avec moins d’efforts. Il semblerait que certaines séries soient tournées seulement quelques mois avant le Ramadan! De plus, les scénarios sont souvent faibles, avec des vides comblés par les performances des acteurs, surtout ceux qui ont de l’expérience ou du talent.

Écrire un scénario demande du sérieux et une créativité basée sur la recherche de nouveaux thèmes et d’approches novatrices, plutôt que de se contenter de répéter les mêmes schémas déjà exploités.

C’est un constat. La télévision marocaine ne répond pas aux différentes attentes des téléspectateurs dont une grande partie s’est tournée vers des chaînes satellitaires arabes. Au-delà de la quête de la qualité, pensez-vous que cette migration du téléspectateur marocain menace  en quelque sorte  la notoriété du paysage audiovisuel national? 

Là encore, il est légitime de remettre en question si les téléspectateurs marocains se tournent réellement vers les chaînes satellitaires. Cela soulève la nécessité d’examiner les statistiques et les chiffres pour obtenir une réponse précise. Certains les suivent, mais il est également important de noter que l’offre n’est pas toujours aussi brillante ou différente qu’on pourrait le penser. Certains les regardent en parallèle de nos propres séries.

Par conséquent, notre offre télévisuelle n’est pas véritablement menacée et elle continuera à évoluer tout en conservant son caractère distinctif. La télévision est avant tout un secteur d’activité économique et artistique, soutenu par des professionnels, un public et un marché. Il existe des idées pour le faire prospérer.

À l’heure du ftour, le petit écran est sous le diktat des annonces publicitaires mettant les téléspectateurs dans un malaise. Que pensez-vous de ce décor ramadanesque désormais gênant dans nos écrans ? 

Effectivement, le décor ramadanesque auquel nous sommes habitués est devenu une réalité avec laquelle nous devons composer. Est-ce gênant ? Certainement. Cependant, il est indéniable que la publicité est un acteur télévisuel difficilement écartable. Personnellement, cela me dérange également pendant le ftour.

Ce débat sur la grille  ramadanesque avait franchi les murs du parlement. Pour la petite histoire, des  groupes parlementaires ont dénoncé, en 2019, la programmation des chaînes de télévision nationales en appelant le ministère de la communication à une réunion spéciale après l’Aïd. À votre avis, a-t-on besoin d’une ‘’volonté politique’’ pour réformer la télévision et le paysage audiovisuel?

Comme je l’ai exprimé précédemment, s’il existe une volonté politique dans ce domaine, elle devrait viser à encourager la production audiovisuelle, à trouver des moyens pour la rendre plus fructueuse, à l’améliorer et à la rendre compétitive, afin qu’elle serve au mieux notre pays, notre histoire et notre position dans le monde. Cependant, cela doit se faire sans compromettre la liberté de création et des créateurs dans ce domaine, et même en la garantissant. Bien entendu, tout cela doit se faire dans le respect de notre identité en tant que Marocains.

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