Chacun son Ramadan

ce mois sacré, mais doivent, également, faire preuve de patience pour surmonter les difficultés auxquelles ils sont confrontés. Natif de Tiznit, Brahim travaille dans un laboratoire pharmaceutique à Agadir. Pour lui, le moment de l’annonce de la rupture du jeûne est le plus dur à surmonter. Il a reconnu que le fait de jeûner loin de l’ambiance familiale et des amis est quelque chose de difficile… à digérer .Frustrant même. Mais que faire ? Si ce n’est s’adapter à cette situation. « L’angoisse commence à m’envahir la veille. Je ne sais pas où rompre le jeûne. Il faut chercher pour dénicher un restaurant à caractère humanitaire puisque les restaurants privés sont chers », raconte-t-il. Mais une fois le fameux resto  trouvé, il serait naïf de dire que les déboires de ce jeune de 27 ans sont finis. Et pour cause, « le lendemain, il faut être présent sur place avant el adhan (l’appel à la rupture du jeûne). Il faut jouer des coudes pour s’assurer sa place. Des fois, la bousculade se termine par un accrochage entre les jeûneurs », dit-il. Et de reconnaître que poireauter une heure ou deux durant devant le restaurant et subir les regards des passants, n’est pas toujours facile à supporter. Les regards des autres humilient, tuent. « On se sent comme des voleurs », ajoute-t-il. Hassan développe un tout autre discours. Ce quinquagénaire, célibataire, vit à Agadir depuis une dizaine d’années. Il connaît la ville sur le bout des doigts. Hassan a quitté sa ville natale, Settat, à cause d’un différend familial. Depuis, il n’y a jamais remis les pieds. Pour lui, il n’est pas question de manger dans un restaurant de charité. Pourtant, khali Hassan, pour les intimes, ne gagne pas bien sa vie. Il n’a pas un travail stable. Mais il est hors de question pour lui de rompre le jeûne dans un restaurant gratuit. « Pour vous dire la vérité, je me sens gêné d’aller dans ce type de restaurant », affirme-t-il. Son astuce : « chaque jour, j’achète un bol de harira chaude. Cela me suffit pleinement pour rompre le jeûne. Le ramadan n’est pas seulement se remplir l’estomac », lance-t-il. Entre ceux qui rompent le jeûne dans les restaurants de bienfaisance et ceux qui refusent de s’y rendre, d’autres ont choisi la troisième voie. C’est le cas de Saïd, un chef de famille originaire de  Kénitra. Employé dans une entreprise de travaux publics, il quitte son lieu de travail à 16h pour se diriger vers l’hôtel où il réside. Pour la rupture du jeûne, il a fait savoir que contrairement à ses deux colocataires qui rompent le jeûne à l’extérieur, lui préfère ramener la nourriture dans sa chambre. « Une heure avant el adhan, je vais dans un restaurant de la charité le plus proche pour ramener de la nourriture que je fais réchauffer dans ma chambre », dit-il. Et cela dure depuis trois ans. «Je n’ai pas d’autre choix. Je ne peux pas me permettre de rompre le jeûne tous les jours dans un restaurant privé. C’est extrêmement cher, alors que la qualité de la nourriture laisse à désirer», justifie-t-il. Il affirme ne sentir aucune gêne. «Je ne suis pas en train de voler», tranche-t-il.

 

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Ce qui agace les jeûneurs


Manque de sommeil, privation de nourriture et d’eau, cherté des produits alimentaires, les retards dans les transports en commun…

Qu’est-ce qui agace le plus les Marocains pendant le mois de Ramadan ? La réponse ne se fait pas attendre. Commençons d’abord par cette sentence d’un vieil homme rencontré au niveau de l’arrêt du bus. Il est là depuis une demi- heure à attendre que son bus démarre. Très en colère, il pousse un coup de gueule contre ce retard. « Les Marocains semblent cultiver l’art de s’empêtrer dans des situations inextricables et pour se justifier, ils évoquent le Ramadan comme bouc émissaire », peste-t-il. Un jeune assis à côté de lui ne peut s’empêcher de pouffer de rire avant de lancer : « Ne te rends pas malade al Haj. Pense à ta santé. Prends-en soin,… »Et le vieil homme de rétorquer : « Comment voulez-vous que je garde mon calme. C’est eux, ces messieurs des bus qui nous poussent à nous comporter de la sorte ». Il précise que sa réaction n’a rien à voir avec le jeûne, mais plutôt avec l’anarchie et les retards « inexcusables » qui règnent en maîtres des lieux dans les transports en commun. « Non, je ne réagis pas sous l’effet du jeûne. Arrêtons d’évoquer le jeûne pour justifier nos écarts de conduite et valider nos bêtises. Je ne supporte pas l’anarchie, c’est tout. Les gens ne prêtent aucun sens à l’organisation alors que c’est elle la clé du bien-être. » La tension monte d’un cran, une fois le chauffeur est là. Le vieil homme lui adresse un regard chargé de reproches : « C’est honteux ! Vous nous avez laissés attendre une heure de temps. C’est inacceptable. Vous ne voulez pas travailler, vous n’avez qu’à rentrer chez-vous ! », lui lance-t-il. Le chauffeur tente de se justifier lui soulignant qu’avec le Ramadan la circulation des personnes diminue. « Nous avons comme instruction de remplir le bus avant de quitter la station. Mon collègue et moi n’y sommes pour rien. Nous sommes vraiment désolés. » Les excuses du chauffeur semblent n’avoir que peu d’effets. Le septuagénaire réplique : « n’essayez surtout pas de justifier l’injustifiable. Ne défendez pas l’indéfendable. Dans des pays qui se respectent, l’heure c’est l’heure. Il y’a un bus chaque 15 minutes. Arrêter de nous raconter des salades… nous sommes tous ouled l’bled. C’est votre façon de nous mépriser. Votre comportement est indigne. » Si pour le vieil homme le manque d’organisation lui fait perdre le nord durant ce mois sacré, pour Hicham, la trentaine, c’est le comportement de certaines personnes qui le met hors de lui. Pour lui, se priver de nourriture et d’eau et surtout « ma fidèle cigarette » est déjà une charge difficile à surmonter, alors que dire des personnes qui viennent vous perturber. « Mon souci, c’est comment gérer ce type de personnes. II est facile d’énerver quelqu’un juste avec des mots, des regards… Le problème, ce n’est pas le Ramadan, mais c’est soi-même ! », reconnaît-il. Omar, jeune papa, regrette le manque de sommeil à cause de son emploi du temps chargé mais aussi des exigences additionnelles durant le Ramadan à l’image de l’accomplissement des tarawih et du s’hour. Pour lui, le plus difficile, ce n’est pas la nourriture, mais le manque de sommeil. « Je me réveille difficilement le matin pour aller au boulot. Il m’arrive d’ailleurs d’y arriver en retard », raconte-t-il. Mais le manque de sommeil n’est pas le seul souci de  si Omar. Il évoque, également, la cherté de certains produits alimentaires, l’anarchie au niveau des marchés, sans oublier les queues interminables devant les épiciers et les vendeurs de fruits et légumes ainsi que les boucheries. «Je perds beaucoup de temps en faisant mes emplettes. Les magasins sont envahis. Le fait d’attendre 10 à 15 minutes dans un seul magasin me perturbe fortement. J’ai l’impression que nous, les Marocains, mangeons par les yeux», souligne-t-il. C’est donc autant de facteurs qui font sortir les jeûneurs marocains de «leur Ramadan».

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