Les dynamiques politiques et sociales que traversent le pays requièrent la mise en place d’une démarche d’écoute pour anticiper les éventuels dérapages, ont souligné les participants au colloque sur «Les transformations politiques et sociales au Maroc», qui s’est tenu à Casablanca les 29 et 30 septembre 2017, à l’initiative de la Faculté des sciences juridiques, économiques, et sociales de Casablanca, et en collaboration avec l’Association Marocaine des Sciences Politiques et la Fondation Hanns-Seidel avec la participation d’une brochette de chercheurs et académiciens représentant toutes les universités du Maroc.
Entre institutionnalisation et personnification du pouvoir
L’action politique en dehors des règles du jeu politique. Cette intervention de Rachid Mouktadir, professeur de Science politique à la Faculté de Droit à Casablanca, était annonciatrice de la profondeur des échanges sur une question épineuse et très sensible. Il fallait rester prudent quant à la démarche à suivre et éviter les jugements de valeur et les prises de positions partisanes. Dans son analyse de la situation politique au Maroc, Mouktadir a été on ne peut précis sur cette question. Certainement, pour lui, les Sciences sociales se trouvent aujourd’hui dans l’incapacité d´expliquer toutes les mutations qui s’opèrent dans les Etats arabes. Pour étayer ses dires, l’intervenant fait référence au Mouvement 20 février et celui du Rif qui relèvent d’une dynamique complexe et posent un véritable défi pour l’ensemble des paradigmes des Sciences sociales. Il faut dire, a-t-il insisté, que les analyses classiques qui se basent sur les acteurs officiels sombrent dans une approche réductionniste, parce que plusieurs variables ont largement changé la donne et fait émerger «la Rue» en tant que nouvel acteur politique influent et central dans le jeu politique.
Cela étant, «la Rue», en tant que mouvement spontané, a dépassé les acteurs traditionnels de l’intermédiation (syndicats, partis politiques…), en inversant le rapport de force, tout en se positionnant en tant qu’acteur influent imposant son agenda politique. «Les réformes adoptées en 2011 est un exemple frappant», a-t-il indiqué.
Abondant dans le même ordre d’idées, le chercheur universitaire évoque également le cas du mouvement du Rif qui est, d’ailleurs, un mouvement soudain et spontané dû à plusieurs facteurs : social, électoral…
Autant dire que l’enjeu actuel consiste dans le degré de la capacité des acteurs institutionnels à comprendre la logique des revendications de la société pour anticiper les crises politiques et éviter tous les dérapages, a-t-il déclaré avec insistance.
Par ailleurs, le professeur Okacha Ben El Mostafa, professeur à l’Université Mohamed 1er à Oujda, a axé son exposé sur la problématique du changement au Royaume. «Contrairement à plusieurs Etats dans le monde entier, où le changement s’opère par le bas, le Maroc fait exception, car le changement vient souvent d’en haut», a-t-il noté. Et d’expliquer que «la monarchie, inscrivant son action dans une démarche interactive, a été souvent à l’origine de toutes les réformes politiques et sociales».
Il est certes certain que le Maroc a franchi un grand pas en matière de réformes politiques et de modernisation des structures d’Etat; on constate, néanmoins, que le champ politique vacille encore entre institutionnalisation et personnification du pouvoir, a-t-il précisé. Bref, «il s’agit d’un processus de changement limité, régulé, voire maîtrisé», a souligné Ben El Mostafa.
Redéploiement de l’autoritarisme?
Même son de cloche chez Mohamed El Hachimi, professeur à la Faculté polydisciplinaire d’El Jadida, en avançant l’hypothèse qu’on a assisté depuis 2011 à un redéploiement de l’autoritarisme. A l’en croire, le paradigme de la transition démocratique n’est plus apte à appréhender la réalité politique marocaine. En termes plus clairs, la Constitution du 2011 a renforcé le pouvoir «des acteurs non élus» au détriment des «acteurs élus» et des préférences des électeurs, a-t-il clarifié.
Autre point non moins important, celui de la restructuration du champ politique pour faire face à l’autorité (élus) et qui, selon l’intervenant, renforce l’hypothèse du redéploiement de l’autoritarisme dans le champ politique.
Il s’avère toutefois que cette orientation ne va pas résister devant les contradictions qui traversent la société marocaine et qu’il faudrait s’attendre dans l’avenir à d’autres protestations, pour la simple raison que les structures traditionnelles sont incapables d’endiguer ces contradictions ». Pour El Hachimi, le véritable hic c’est qu’il existe un hiatus abyssal entre les structures traditionnelles et les institutions actuelles empreintes de conservatisme d’une part, et une société de plus en plus ouverte sur le monde extérieur, d’autre part.
Sur un autre registre, Hassan Tariq, professeur à La Faculté de Droit Souissi, considère que la transition vers la modernité n’est pas souvent linéaire, car il s’agit plutôt d’un processus complexe, ponctué de conflits entre les structures traditionnelles et modernes. Pour lui, durant l’histoire politique du Maroc depuis l’Indépendance, l’Etat avait rempli un rôle central ou ce qu’il a désigné par l’Etat hégémonique. Mais cette posture hégémonique va s’effilocher au fil du temps et ce, en raison de plusieurs variables déterminants, à commencer par la transition démographique, en passant par l’augmentation du taux de scolarité et le changement à l’échelle des valeurs et de représentations chez les individus. Ces facteurs, conjugués à une sécularisation accrue et silencieuse et une tendance croissante vers l’individualisme de la société sans oublier l’impact des outils technologiques, ont émoussé la capacité d’intégration des structures traditionnelles.
Encore plus, ces structures ont vu leur attractivité décroitre. Ainsi, pour Hassan Tariq, les élections qu’a connues le Maroc en 2015 et 2016 en sont la preuve ; elles n’ont fait que montrer au grand jour l’échec de l’autoritarisme électoral. Cela signifie que la trilogie «argent, monde rural et notables» n’est plus déterminante dans le processus électoral comme auparavant, et que l’Etat ne pouvait plus maitriser les outputs de l’opération électorale, a-t-il conclu.
Khalid Darfaf