La première phase du dialogue social a été couronné par des acquis importants dont le coût sur deux ans s’élève à presque 20 milliards DH, s’y ajoute d’autres acquis au profit de l’extension de la couverture médicale et l’allégement fiscal sur les bas revenus… Dans cette interview avec notre journal, Rhmani livre des éclairages sur le bilan de son département :
Al Bayane : Les centrales syndicales ont critiqué l’annonce unilatérale par le gouvernement, des résultats du dialogue social. Elles appellent à l’adoption d’une méthodologie commune du dialogue et de son institutionnalisation. Comment répondre à cette doléance ? Vous avez entamé dernièrement un nouveau round de dialogue social, quel en est l’agenda et les objectifs escomptés ?
Jamal Ghmani : Je tiens à souligner d’emblée, le souci majeur du gouvernement d’institutionnaliser le dialogue avec les partenaires économiques et sociaux, à travers son initiative d’organiser deux rounds de dialogue social, ce qui constitue un précédent dans les traditions du dialogue social et d’œuvrer pour la mise en place des règles de ce dialogue dans le cadre de concertation avec les partenaires d’une part, et de mise en œuvre de tous ses engagements d’autre part.
Concernant le round auquel vous avez fait allusion, je dois rappeler que nous avons eu avec les partenaires sociaux une série de rencontres préliminaires afin d’examiner les dossiers revendicatifs proposés par les centrales syndicales. Ces réunions ont été couronnées par un accord sur la méthodologie de travail et sur l’ordre du jour des rounds du dialogue social pour les années 2009-2010 et 2011. Evidemment, des doléances diverses et multiples ont été mises sur la table de dialogue et dont les priorités sont à l’étude.
Et pour finaliser le consensus dégagé, et partant de la méthodologie convenue, il a été procédé à la signature des procès verbaux fixant les points inscrits à l’ordre du jour de chaque round du dialogue social programmé entre le gouvernement et quatre centrales syndicales, l’Union marocaine du travail (UMT), la Fédération démocratique du travail (FDT) et l’ Union générale des travailleurs du Maroc (UGTM), tout en poursuivant la concertation avec la Confédération démocratique du travail (CDT) avec l’objectif d’aboutir à un consensus avec la dite centrale, sur l’ordre du jour de ce round.
Et après une série de rounds aussi bien au sein de la commission en charge du secteur privé ou celle en charge du secteur public, des progrès et consensus ont été enregistrés sur de nombreux points inscrits à l’ordre du jour . Ces rounds ont été couronnés par la réunion avec les centrales syndicales sous la présidence du premier ministre, dans le but de mettre la dernière retouche sur les points convenus et élucider d’autres points, comme celui relatif à la fonction publique.
Ainsi, les résultats annoncés sont le produit du dialogue opéré lors des dits rounds. Ils accordent des acquis importants aux travailleurs marocains, aussi bien en matière d’amélioration du revenu que de renforcement des filets de protection sociale. Il suffit de noter que le coût global du dialogue social a atteint pour le seul secteur public, 18 milliards et 916 millions de dhs, en plus de 4 milliards de dhs au titre d’amélioration des prestations fournies par la Caisse nationale de sécurité sociale. (CNSS).
Evidemment, le gouvernement espérait annoncer ces résultats, conformément à la même méthodologie poursuivie lors de l’amorce du dialogue social et a proposé un communiqué commun dans ce sens, mais chaque centrale syndicale avait son propre avis, ce qui a rendu difficile l’annonce commune des résultats. Auparavant, le premier ministre avait adressé un courrier à tous les syndicats les informant du contenu des résultats avant d’en faire l’annonce.
Et dans le cadre de poursuite des efforts du gouvernement visant l’institutionnalisation du dialogue, des réunions ont été tenues avec les cinq centrales syndicales et avec la CGEM au cours du mois d’avril, afin de se concerter sur la méthodologie à adopter et la hiérarchisation des points à inscrire à l’ordre du jour et sur les priorités de ce dialogue.
En conclusion, nous sommes, gouvernement et partenaires sociaux et économiques, en train d’accumuler une expérience au niveau du dialogue tripartite. Je pense que les futurs rounds vont enregistrer des progrès au niveau du renforcement et institutionnalisation de la culture du dialogue et de concertation, afin de répondre aux grandes préoccupations économiques et sociales. Telle est ma conviction et c’est dans ce sens que je vais travailler.
Récemment, vous avez soumis le projet de loi organique relatif à la grève à l’avis des partenaires du monde du travail. Quelles sont les nouveautés apportées par le projet ? Comment évaluez –vous les réactions qu’il a suscitées, notamment auprès de vos détracteurs qui craignent que cela conduise à une restriction de l’exercice du droit de grève ?
Partant de l’ordre du jour du dialogue social conclu entre le gouvernement et les centrales syndicales, un projet de loi organique relatif à la grève a été élaboré et renvoyé aux centrales syndicales, la CGEM et les fédération des chambres professionnelles, pour avis et concertation.
Ce projet s’inscrit en conformité avec l’article 14 de la constitution et vise à rationaliser l’exercice du droit de grève en garantissant les droits de toutes les parties et éviter l’abus d’usage de ce droit, et d’encadrer les relations professionnelles et préserver certains intérêts vitaux de la société.
Le projet prévoit dans ses principes généraux, l’interdiction d’entraver l’exercice du droit de grève d’une part, et garantit l’exercice de liberté de travail au cours de la grève d’autre part. Le texte tente de résoudre la problématique caractérisant les relations professionnelles dans notre pays, concernant la difficulté de conciliation entre l’exercice du droit de grève et le respect de la liberté du travail. Il incrimine toutes les mesures discriminatoires liées à l’atteinte au droit de grève, en tant que droit constitutionnel.
A l’instar de la pluspart des législations internationales, le projet fixe les conditions et procédures relatives à l’obligation de préavis et identifie les parties qui peuvent annoncer une décision de grève.
Et comme le déroulement de la grève pourrait faire l’objet de litige entre les parties, le texte prévoit une procédure de recours à l’autorité judiciaire afin de constater les violations qui pourraient avoir lieu, et ce à la demande de l’employeur ou des syndicats et salariés.
Le projet donne le droit à l’appel à la grève aux syndicats les plus représentatifs et en cas d’absence de syndicats plus représentatifs au sein de l’entreprise, le projet exige la nécessité de réunir un quorum déterminé pour appeler à la grève et la constitution d’un comité des grévistes. Cela reflète le souhait de permettre aux syndicats de jouer leur rôle constitutionnel.
Les conditions et mesures énoncées dans le projet de loi organique de la grève ne constituent guère une restriction à son exercice, mais en fait, elles protègent ce droit. Il faut noter aussi, que le contenu de ces conditions et mesures est stipulé dans le droit comparé et la jurisprudence de l’Organisation internationale du Travail.
Ainsi, tous les éléments inclus dans ce projet sont ceux qui sont universellement acceptés comme cadre organique pour l’exercice du droit de grève. Il constitue une avancée par son approche des droits de l’homme. Le dialogue social, sera l’occasion d’examiner le projet et d’écouter les observations et suggestions de toutes les parties. Personnellement, je n’y vois aucune restriction, car on ne peut imposer des restrictions à ce droit consacré par la constitution.
Le projet de loi relatif aux syndicats a, lui aussi, été transmis aux centrales syndicales pour avis. Pour quoi faire ? Et dans quelle mesure, cette nouvelle législation pourrait contribuer à la rationalisation et restructuration du paysage syndical et à sa moralisation ?
Réponse : Le projet de loi relatif aux syndicats professionnels était aussi parmi les points inscrits à l’ordre du jour du dialogue social. Son élaboration répondait au souhait formulé par certaines centrales syndicales. Son renvoi aux partenaires sociaux et économiques est une incarnation de la philosophie de concertation.
Ce projet vise à renforcer l’exercice de liberté syndicale et instaurer un cadre uniforme de cet exercice, tout en instituant une protection législative de l’exercice et l’institutionnalisation de la représentation syndicale dans les divers secteurs et activités. Le projet vise aussi, à l’harmonisation de la législation nationale syndicale avec les dispositions de nombreux mécanismes internationaux du travail et notamment la convention no 87 relative à la liberté et la protection du droit syndical de 1948, la convention n° 98 relative au droit de l’organisation syndicale et la négociation collective de 1949 et la convention no 135 relative aux représentants des salariés de 1971.
Tout cela vise à réglementer et clarifier les conditions de constitution et gestion des syndicats professionnels, la personnalité morale, critères et niveaux de représentation syndicale, financement des syndicats et sa rationalisation, gouvernance des ressources, protection du droit syndical et facilitations syndicales, renforcement de l’action sociale des syndicats, dissolution des syndicats et sanctions.
Le contenu de ce projet respecte également la jurisprudence du Comité des libertés syndicales et le Comité d’application des conventions internationales de travail, tous deux dépendants de l’Organisation internationale du travail (OIT).
Vous avez annoncé la création d’un fonds pour indemnité pour perte d’emploi. Une commission mixte a été créée pour étudier cette question. Quel est le contour de ce projet et comment appréhendez-vous la question de financement ? Le temps n’est-il pas venu pour instituer une indemnité pour chômage à l’instar d’autres pays ?
Réponse : Etant donné l’importance que revêt l’indemnité pour perte d’emploi, en tant que mécanisme de renforcement des filets de protection sociale des salariés, et eu égard à ma sensibilité sociale, j’ai accordé une attention personnelle particulière à ce texte. Aussi cette question était-elle au centre de préoccupation des partenaires sociaux au cours des différents rounds du dialogue social. Tous, gouvernement, patronat et syndicats, nous avons appelé à concrétiser ce projet, surtout après avoir pris acte de la nouvelle mouture présentée par notre ministère qui institue une indemnité pour n’importe quel motif de perte d’emploi, au lieu de l’indemnité pour des motifs économiques, technologiques ou structurels. Ce texte prévoit le versement d’une indemnité financière pour une durée de 6 mois à tout et toute salarié (e) ayant perdu son emploi pour une raison quelconque et qui répond aux conditions prévues par la loi. De même, le projet sauvegarde le droit du salarié (e) de bénéficier de la couverture médicale obligatoire, la continuité de bénéficier d’allocations familiales lors de la période de son éligibilité à l’indemnité pour perte d’emploi et des services de l’ANAPEC (Agence nationale de promotion d’emploi et des compétences) pour réinsertion dans le marché du travail.
La commission thématique issue du dialogue social en charge de la protection sociale, a unanimement mis l’accent sur l’importance du projet et sur la nécessité de sa concrétisation. Elle a confié au conseil d’administration de la CNSS la charge de son opérationnalisation et son renvoi au gouvernement pour validation.
Lors des différents rounds du dialogue social, les partenaires sociaux ont souligné la nécessité de contribution budgétaire de l’Etat à l’indemnisation. Le premier ministre avait alors exprimé la disposition du gouvernement d’étudier la possibilité de l’Etat de contribuer au financement du projet dans le but de renforcement des filets de protection sociale. Une commission regroupant les secteurs concernés fût alors constituée pour examiner les possibilités de contribution de financement étatique. J’espère que ce fonds verra le jour au courant de cette année.
Dans ce cadre, nous allons veiller à la réalisation du consensus nécessaire entre les partenaires sociaux et économiques au sein du Conseil d’administration de la CNSS pour parvenir à un projet bénéficiant de l’accord de tous, avant de le mettre dans le circuit de validation.
La CNSS a déjà pris toutes les dispositions nécessaires pour la mise en application de ce nouveau mécanisme qui va contribuer certainement à rehausser le niveau de protection sociale dans notre pays au profit des salariés affiliés à la caisse, en plus de ses autres bienfaits sociaux et
Une commission mixte se penche sur l’étude du régime de retraite et la préparation de scénarios de réforme. Quel est le point de vue du gouvernement à ce propos et quand va-t- on dévoiler les résultats de cette réforme ?
Le dossier de réforme des retraites constitue un des axes du dialogue social entre le gouvernement et les partenaires économiques et sociaux. L’accord du 30 avril 2003, a prévu l’organisation d’un colloque national sur la réforme des régimes de retraite.
Et afin de mettre en œuvre les recommandations de ce colloque qui s’est tenu en décembre 2003 et de poursuivre le débat sur les pistes de réforme dans un cadre consensuel tripartite, une commission nationale fût créée en janvier 2004 sous la présidence du premier ministre, en charge de réforme des régimes de retraite. Elle est composée de secrétaires généraux des centrales syndicales les plus représentatifs et du président de la CGEM, en plus des secteurs ministériels concernés par ce dossier. Une commission technique issue de la commission nationale fût instituée ensuite et s’est penchée, aidée par une expertise étrangère, sur le diagnostic de la situation à la lumière des études actuarielles réalisées. Actuellement, elle est en train d’étudier et débattre des scénarios possibles de réforme.
Le gouvernement souhaite à travers l’approche participative qu’il prône dans ce dossier avec les acteurs et les parties concernées, d’arriver à un régime de retraite garantissant son équilibre financier et sa viabilité et préservant les droits acquis des adhérents et bénéficiaires des régimes actuels. Ce régime doit aussi garantir la couverture pour de nouvelles catégories de la population qui ne bénéficient, aujourd’hui, d’aucune pension de retraite.
Dès la fin de ses travaux au cours des prochaines semaines, la commission technique devra rendre sa copie à la commission nationale pour trancher sur cette réforme qui ne supporte plus de report.