Jérada hantée par la malédiction du charbon

La ville de Jérada est secouée par les répercussions du décès de deux jeunes dans un puits d’exploitation clandestine du charbon vendredi dernier. L’activité dans la ville est bloquée par une grève générale.

Une situation prévisible au vu du manque d’une volonté concrète pour sortir Jérada de son isolement. Le groupement parlementaire du PPS, ayant tiré une énième sonnette d’alarme, en adressant en novembre dernier une question écrite au ministère de tutelle autour de la négligence et de l’atermoiement qui entravent le développement économique de la région, s’apprête à interpeler le ministère de l’énergie, des mines et du développement durable et la primature autour de ce drame lors de la prochaine session de questions orales.

Autant le dire d’emblée, il ne fait pas bon vivre à Jérada. Véritable fournaise en été, objet de vagues de froid sibérien en hiver, Jérada est en plus une ville estropiée, condamnée dès sa création en 1927 à vivre de l’exploitation minière. Sa malédiction réside dans sa raison d’être, le charbon gisant sous ses terres, dont la qualité est réputée être parmi les meilleures au monde. Aujourd’hui, ce sont les descendants des premiers migrants, installés là-bas pour faire prospérer l’industrie minière, qui payent le prix de la fermeture des mines en 2000 et l’absence d’alternatives économiques viables pour une population de plus de 43.000 habitants.

Le décès de deux mineurs, deux frères âgés de 23 et de 30 ans, dans un puits clandestin de charbon le 22 décembre dernier, signe le début d’un nouvel épisode de protestations auxquels les habitants sont devenus accoutumés au fil des années. Depuis dimanche dernier, des milliers de personnes se rassemblent au quotidien pour dénoncer la «marginalisation» de cette ancienne ville minière. En signe de solidarité, la ville observe une grève générale.

Selon plusieurs acteurs associatifs de la région que nous avons pu contacter, l’économie de la ville repose actuellement sur l’exploitation informelle du charbon.  Quelque 80% de la population s’y met car mis à part les fonctionnaires, il n’existe presque pas d’alternative pour générer des revenus. Des projets d’usines sont parfois annoncés, mais ce n’est pas suffisant pour absorber les besoins en emploi dans la région.

Mais comment font les mineurs pour écouler une ressource dont l’exploitation est interdite ? A la lumière du jour, nous dit-on. Deux ou trois grossistes rachètent les quantités extraites par les mineurs, qu’ils stockent ensuite dans des hangars éparpillés dans la ville, avant de charger le minerai dans des camions qui prennent la route vers diverses destinations sur le territoire national, car ce produit est encore prisé par certains industriels.

Malgré la fermeture de l’activité, une bonne partie des habitants de Jérada risque sa vie pour aller récupérer du charbon dans les mines désaffectées.

Chaque année, deux à trois hommes meurent en silence dans les mêmes conditions. Faute d’alternatives économiques, des jeunes souvent diplômés sont contraints de creuser des mines clandestines. En avril 2015 par exemple, trois personnes ont perdu la vie dans l’effondrement du plafond d’une mine de plomb désaffectée à Sidi Boubker relevant de Jerada.

Le blocus que vit la ville était donc prévisible, au vu du manque d’une volonté concrète pour sortir Jérada de son isolement économique, et de la répétition des drames. Le groupement parlementaire du PPS, ayant tiré une énième sonnette d’alarme, en adressant en novembre dernier une question écrite au ministère de tutelle autour de la négligence et de l’atermoiement qui entravent le développement économique de la région, s’apprête à interpeler le ministère et la primature autour de ce drame lors de la prochaine session de questions orales. Jamal Karimi Benchekroun, député PPS à la Chambre des Représentants, exprime la solidarité du Parti avec la population locale face aux cas de décès fréquents dans ces mines et exige de l’Etat de procéder aux mesures de protection et de sécurité nécessaires.

«Ces mines sont à l’arrêt depuis longtemps, et actuellement sont exploitées d’une manière anarchique», explique-t-il, avant de rajouter qu’il est nécessaire de créer «un véritable écosystème économique au profit de la population, qui souffre de la pauvreté et de la privation. Il est inconcevable que la région de l’Oriental reste marginalisée en dépit des énormes efforts fournis au volet du développement», à l’image de certaines villes de la région qui «manquent du strict minimum pour une vie digne et pour un développement économique réel, lié principalement à la création d’opportunités d’emploi». Benchekroun conclut donc que «les défaillances structurelles dont souffre cette région doivent être corrigées».

Le groupement parlementaire du Progrès et du Socialisme s’active donc depuis le parlement. «Nous ne nous arrêterons pas sur ce point, et nous demanderons des explications du ministère de tutelle et de la présidence du gouvernement, à travers notre rôle de groupement parlementaire, pour mettre toute la lumière sur les causes de la négligence et des atermoiements qui entravent le développement économique et social de la province», déclare-t-il.

Iliasse El Mesnaoui

Related posts

Top