Par: B. A. I. Benachir*
Un des fils aînés de l’Afrique, Saint Augustin est né en 354 à Taghast, l’actuel Souk Ahras en Algérie. Après des études à Madaure (lieu de naissance d’Afoulay, alias Apulée), puis à Carthage (ville où naquit Tertullien), il part en 383 enseigner à Rome, puis à Milan. Cet ancien membre de la secte manichéenne fait son entrée dans l’église chrétienne par le baptême en 387. Ordonné prêtre à Hippone en 391 puis consacré évêque coadjuteur en 395, Saint Augustin devient, en 396, évêque d’Hippone. Il meurt en 430 dans cette ville dont il est l’évêque, alors que les Vandales sont aux portes de cette ville de l’Est algérien.
a postérité des écrits d’Augustin est à l’œuvre dans nos imaginaires mondialisés, diversalistes et sans frontières. K. Ammi le dit et l’écrit : ces imaginaires démontent, pour les reconfigurer, les attachements constamment renouvelés des individus humains à la vie et aux langages : ces dons dont il faudrait célébrer, sans cesse, et la beauté, et la puissance.
Avec ses écrits sur saint Augustin ou sur Apulée, K. Ammi initie ses lecteurs aux multiples généalogies intellectuelles et littéraires de ce «Maghrébin avant la lettre», de cet «Homme de notre temps», de ce Maghrébin «de notre temps», dont la pensée et l’esthétique devraient faire signe vers les institutions académiques et scientifiques maghrébines aux fins de se les réapproprier de nouveau et d’en faire don aux générations montantes et futures.
Penseur de la tolérance, de l’égalité entre les civilisations et du dialogue interreligieux, pourfendeur de l’obscurantisme et théoricien de l’éducation, Augustin attend d’être réécouté au Maghreb et ailleurs (où, du reste, les études augustiniennes et les études sur les monothéismes sont en constant développement, notamment en France, au Japon, en Amérique…). Ses écrits attendent d’être étudiés car ils pourraient être d’un important à la diplomatie et à la politique extérieure d’un pays comme le Maroc en direction des pays dont Augustin fait partie intégrante de leur patrimoine culturel…
* Au-delà des effets politiques, directs ou indirects, des égarements des raisons théologiques, philosophiques ou politiques, les écrits d’Augustin introduisent à l’hybridation des langues, des cultures, des imaginaires et des identités.
Produit transculturel réussi, Augustin pose que l’humanité se pense sous le mode de la globalité et, qu’en conséquence, face aux flux globaux et au grand mouvement d’affirmation actuel des identités, l’avènement permanant de nouvelles identités, – qui seraient interstitielles, migrantes, voyageuses, exilées –, la problématique du nomadisme planétaire (dû, entre autres, à l’anthropocène) articulerait un ancrage inédit des identités tant personnelles que collectives. Et c’est à outrepasser l’identité, l’héritage, les racines, qu’invite K. Ammi. Fragmentation, distinction, éclatement, marronnage mental et physique…, sont des expressions de l’inventivité tous azimuts de nouvelles cultures anti-culture globale.
En la matière, comme dans tant d’autres, K. Ammi a raison de qualifier Augustin d’« homme de notre temps ».
* Pour les lectrices et les lecteurs ou à tout le moins les honnêtes gens éclairées qui n’auraient pas encore eu vent de l’existence de Kebir Mustapha Ammi, rappelons qu’il est né à Taza (Maroc), d’un père algérien et d’une mère marocaine, qu’il vit en France depuis 1980 et qu’il est conférencier itinérant, voguant entre Denver, Albuquerque, Londres, Pékin, Alger, Taghast, Rabat, Taza, Madaure, Salé… Mais surtout qu’il est écrivain, romancier, dramaturge et essayiste bilingue, ayant produit une œuvre riche qu’il écrit en fonction des impératifs esthétiques et personnels et selon les augurales sollicitations des temps actuels et celles des temporalités réflexives et littéraires ayant façonné le monde mais aussi les intellectualités nées des enfantements amniotiques des places de l’Afrique boréale dans le monde, en général, et dans le monde méditerranéen, en particulier.
Son dernier livre Une année avec SAINT AUGUSTIN qui vient de paraître aux éditions Presses de la Renaissance (Paris, 2018, 375 p.) est une « somme » composée de 365 « pensées » extraites des écrits du penseur maghrébin précité. Il y est question de la productivité conceptuelle, esthétique, logique, littéraire, éthique, philosophique, politique, théologique, de ce docteur devenu évêque d’Hippone, après avoir fait des études à Carthage et enseigné à Rome, puis à Milan… Il s’agit aussi pour celles et ceux que ne connaitraient pas les écrits de K. Ammi, de leur proposer d’opérer un va-et-vient dialectique et exégétique entre ce livre et ses deux autre ouvrages : Sur les pas de saint Augustin (Presses de la Renaissance, Paris, 2001) et Apulée, mon éditrice et moi (La Tour-d’Aigues, Editions de l’Aube, 2006).
Car cette navette (pour utiliser un terme qui relève de l’art du tissage et de l’esthétique de la relation ou du lien) permet, parce qu’heuristiquement prometteuse, une immersion dans l’œuvre et les études augustiniennes et, par rochet, la culture maghrébine des quatre premiers premiers siècles de l’ère chrétienne. Les écrits augustiniens étant arc-boutés à deux volets complémentaires : la patristique et la doctrine herméneutique d’Augustin exposée notamment dans le XIIème Livre des Confessions. Il s’ensuit donc qu’Augustin fait partie intégrante des penseurs ayant participé à l’élaboration de la théologie chrétienne.
À travers ce que ce qu’il donne à lire, comprendre, penser, voire enseigner, K. Ammi initie ses lecteurs non seulement à cette doctrine qui est symphonie rassemblant d’entrée de jeu la totalité des éléments de la pensée et de la puissance de l’argumentation, de l’art rhétorique et logique du redoutable et modeste polémiste d’Hippone, mais encore au mode d’emploi polyglotte (latin, grec, hébraïque… tamazight) des courants de pensée judéo-chrétiens, ceux de son temps et ceux de ses prédécesseurs. Et cela, qu’Augustin soit en accord ou en désaccord avec les enseignements orthodoxes (conformes au Concile de Nicée – 325 ap. J.-C.- et le Concile de Constantinople – 381 ap. J.-C.- et au premier Synode convoqué à Rome en 190 par Victor 1er) ou hérétiques, légués par les théoriciens de ces courants.
Dans le cas d’Augustin, critiquer les hérésies, par exemple, c’est, – contrairement à Hegel, dont l’Aufhebung et «le malheur de la conscience» gouvernent de part en part sa Phénoménologie de l’esprit (1807) –, développer sans outrecuidances ni absoluité d’aucune sorte, la méthodologie argumentative et démonstrative au principe de la doctrine augustinienne qui est une métaphysique. Mieux : une ontologie dont le pivot est un monothéisme adossé au concept d’expérience et, de ce fait, en rupture avec le monisme des philosophes : Parménide, Aristote, Epicure… dont le prolongement desquels se situeront Averroès, Spinoza, Descartes, Diderot, Hegel, Schilling…
En bref, l’ontologie augustinienne est un cosmopolitisme de la foi, de la croyance religieuse (du lien) ; elle est communication (ou communion) des multiplicités dans l’Unicité. Cette communication est une des variantes du monothéisme.
Pour Augustin, la communication que voilà devrait être conforme aux vérités essentielles révélées par Dieu et transmises par ses messagers et commentées par les Pères de l’Eglise et leurs prédécesseurs hébraïsants et hellénisants (Patrologie grecque), et ce, selon les exigences de la Disputatio. En somme, Augustin est l’héritier critique, tout ensemble, de la bibliothèque hébraïque (la Bible hébraïque traduite en grec par les rabbins d’Alexandrie), de la bibliothèque grecque et de la bibliothèque latine (Patrologie latine). La bibliothèque araméenne n’ayant pas survécu aux affres du temps et aux mutations organiques aux langues aussi bien parlées qu’écrites. Comme on peut le constater, les écrits d’Augustin font partie intégrante de la littérature patristique, c’est-à-dire, du corpus critique et herméneutique, ou «patrologique», qui est le fondement de l’enseignement qui traite des écrits des Pères de l’Église et des auteurs ecclésiastiques.
* Ce qui importe d’emblée dans Sur les pas de saint Augustin autant que dans Une année avec SAINT AUGUSTIN, ce sont les pensées, les concepts, les images, les mots, le rythme, et ils sont tous les cinq présents dans les écrits augustiniens de K. Ammi. Une année avec SAINT AUGUSTIN, – dont les salves narratives ressemblent au prisme du Journal intellectuel de son auteur –, est une œuvre composée de trois cents soixante cinq «pensées» (à la fois autonomes et associées de/à l’ensemble) dont chacune est constituée à son tour de plusieurs pensées liées à la « majeure » par un dispositif syllogistique et rhizomique.
Dans Un homme de notre temps, K. Ammi écrit : «Augustin parle de sa mère, de son père, de l’école buissonnière, du vol dans un verger, de ses années à Carthage, de la mémoire, du temps ou e la chute de Rome, de Virgile, de Socrate, de Platon… avec toujours la passion ardente » (p. 6). Augustin parle aussi de Nestorius, de Cyrille d’Alexandrie, de l’homme (de «cet homme», et pas de l’homme, ou de «l’être générique»), du temps, de la «grâce», de «la liberté humaine», de l’éternité, de la beauté, de l’amour, du style, de l’espérance, de la résistance, de l’existence, du corps, de la vie, de l’Autre, de l’étranger, de la littérature, des «travaux et des jours»…
En cela, les Lettres et les Humanités, mais aussi «le gai savoir», de notre temps ont une dette immense envers saint Augustin. Il suffit à ce propos de référer à l’influence décisive de notre penseur sur les figures incontournables des littératures modernes et contemporaines : Montaigne, Racine, Pascal, Boileau, Molière, Proust, Joyce, les écrivains maghrébins contemporains (via les traductions françaises des écrits augustiniens)…
* Kebir Ammi m’écrivait récemment : «(…) nos frères algériens ne m’invitent plus en Algérie depuis 2009, et à mon grand regret, je ne me rends plus dans le pays de mon père et d’Augustin depuis longtemps !».
*Membre de l’Union des écrivains du Maroc
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Ouvrages de Kebir Mustapha Ammi