Il y a 65 ans
Assis sur son canapé dans une chambre sans fenêtre, se tenant légèrement vers l’avant en s’appuyant sur sa canne, Bassam Barbakh assure se souvenir de la première occupation de Gaza par Israël il y a 65 ans.
« Quand j’étais gamin, je me suis promis que même si je vivais un millier d’années, je n’oublierais jamais ce qui s’est passé », lance ce Palestinien de 73 ans dans sa maison de Khan Younès, à la pointe sud de la bande de Gaza.
Le 3 novembre 1956, Israël a pris le contrôle de la bande de Gaza, alors aux mains de l’Egypte.
Le Moyen-Orient était en pleine crise du canal de Suez, que le président égyptien Gamal Abdel Nasser venait de nationaliser au grand dam des Britanniques et des Français. L’Etat hébreu avait soutenu ces deux pays occidentaux face à son voisin égyptien.
A l’époque, Israël craignait de voir l’Egypte masser ses troupes dans la bande de Gaza voisine et « déstabiliser » le pays créé huit ans plus tôt, souligne Eyal Zisser, professeur d’histoire à l’université de Tel-Aviv.
« Du point de vue israélien, il s’agissait d’une situation inacceptable », dit-il à l’AFP.
Après des pressions américaines, Israël s’est retiré de Gaza en mars 1957. Mais cet épisode reste chevillé au corps de Bassam Barbakh.
Marchant au pied du château de Barquq, attenant au souk de Khan Younès, le septuagénaire pointe un lieu du doigt: « là », dit-il pour désigner l’endroit où les corps de Palestiniens tués par l’armée israélienne auraient été abandonnés.
Il montre les photos de deux de ses frères tués lors de ces « terrifiantes » violences, affirmant que les soldats israéliens avaient voulu « punir » la population de Khan Younès en raison de la « férocité de sa résistance ».
Selon l’armée israélienne, « environ 4.000 soldats égyptiens et (…) des combattants palestiniens » se trouvaient dans la bande de Gaza, dont certains « vêtus en civil ».
Les opérations dans la bande de Gaza ont « causé du tort à des civils car les soldats ne pouvaient faire la différence entre combattants et civils », a ajouté l’armée à l’AFP.
Dans un rapport en 1956, l’Agence des Nations unies pour les réfugiés palestiniens (UNRWA) avait fait état « d’un grand nombre de civils tués » le 3 novembre à Khan Younès, ajoutant toutefois « qu’un différend persistait sur les causes de ces morts ».
Vendredi, le président israélien Isaac Herzog a demandé « pardon » au nom de son pays pour la mort de 49 Arabes dans le village israélien de Kafr Qassim dans le cadre de la campagne de Suez.
Les autorités israéliennes chiffrent à 231 le nombre de soldats morts lors de cette opération et à sept le nombre de civils israéliens tués lors de confrontations autour de la bande de Gaza pendant la première semaine de novembre 1956.
A l’époque, le gouvernement du Premier ministre David Ben Gourion voulait faire de Gaza une « partie intégrante d’Israël », soutient Lior Yavne, directeur exécutif d’Akevot, une organisation israélienne spécialisée dans les archives du conflit israélo-palestinien.
« Israël a déclaré une zone militaire sur une portion de la bande de Gaza avec pour objectif d’y construire une colonie », dit-il à l’AFP, traçant un parallèle avec les colonies juives aujourd’hui en Cisjordanie occupée, où vivent 475.000 Israéliens.
« La position de certains (responsables, ndlr) était: si les Américains l’autorisent, nous resterons sur place », estime l’historien Eyal Zisser, précisant qu’au final Washington n’était pas favorable au maintien de l’occupation de Gaza.
Le conseiller juridique de la diplomatie israélienne, Shabtai Rosenne, avait même dû intervenir après avoir lu une ébauche d’une proclamation de l’armée qui aurait pu être comprise comme une annexion illégale de Gaza.
Les pays étrangers auraient le droit de considérer « l’annexion de la bande de Gaza (…) comme contraire au droit international », avait-il averti.
Le ministère de la Défense avait finalement fait marche arrière mais la question de l’annexion s’est imposée des années plus tard avec le rattachement à Israël d’une partie du plateau du Golan syrien et de Jérusalem-Est, des annexions qui restent non reconnues par la majorité de la communauté internationale.
Israël a de nouveau occupé militairement l’enclave palestinienne de 1967 à 2005, soit pendant près de 40 ans, avant d’y imposer en 2007 un blocus toujours en vigueur.