Novembre 1972- Novembre 2022
Mohamed Khalil
Les journaux du PPS célèbrent, fin novembre prochain, leur cinquantième anniversaire.
La parution d’Al Bayane, d’abord en langue arabe, le 24 novembre, puis en français le 6 décembre 1972, s’est inscrite dans la continuité de l’action journalistique que le Parti communiste marocain, qui n’aura connu que trois années de vie légale durant sa trentaine d’années d’existence réelle, avait inscrite comme une tradition de la lutte politique et idéologique dans notre pays.
Pour ne citer que le PCM, depuis sa création en 1943 pour remplacer la section française du PCF, l’on évoquera les différents titres édités par le Parti durant la grande guerre et lors de la période du combat patriotique de libération nationale contre le joug colonial, comme aux lendemains de l’indépendance du Maroc. L’on citera, en vrac, « Espoir », « Al Watan » (La Patrie) Al Moukafih (Le combattant), Al Kifah Al Watani (Le combat national) sans oublier « La Nation » …
L’initiative d’Ali Yata et de la direction clandestine du PLS interdit restera très audacieuse surtout si l’on se rappelle la conjoncture politique marquée par l’incertitude et l’instabilité du pays, après les deux tentatives de putschs militaires du 10 juillet 1971 et du 16 août 1972.
A cette époque, il faudra également rappeler que toute la presse du mouvement national était interdite ou tolérée (Attahrir de l’UNFP, Al Alam et L’Opinion du parti de l’Istiqlal, à côté d’Al Moukafih du PLS…
Il faudra dire que la presse partisane de l’opposition avait connu les mêmes tournants que les partis politiques. Après chaque suspension ou interdiction, il leur était demandé de « changer de nom »… Al Ittihad Al Ichtiraki prendra la relève d’Al Moharir qui, à son tour, était la continuation d’ « Attahrir » interdit en 1960.
Aussi, dans la conjoncture de fin 1972, il faudra rendre hommage au fondateur des journaux Al Bayane, qui, dans une situation marquée par la fin de l’état d’exception, n’avait pas baissé les mains et a continué, bon an mal an, la publication de sa presse, en lui arrachant le droit à l’expression légale.
L’édition d’un journal d’opposition n’était pas, à l’époque, synonyme de liberté d’expression, car le combat se poursuivait également contre la censure qui frappait systématiquement nos journaux, qui n’étaient imprimés qu’après obtention de « l’imprimatur », cette autorisation administrative qui planait sur la tête telle une épée de Damoclès…
Nos journaux étaient tributaires de la légalité du parti et étaient déclarés propriété de feu Si Ali ou d’un autre membre de la direction (Abdeslam Bourquia, Abdallah Layachi, Hadi Messouak… avaient assumé des responsabilités de directeur de publication…) car un parti interdit n’avait pas le droit à la possession légale d’un titre de presse. Et la seule volonté d’Ali Yata suffisait pour en faire des titres de la presse du mouvement national et social.
Il faudra remarquer que, au fil des années, l’une des forces de nos journaux est d’avoir réussi à rivaliser – et parfois- à dépasser les autres titres de la presse nationale. Aujourd’hui, malgré une énorme différence de moyens, notre presse continue à se battre, à l’instar de toute la presse écrite, pour sa survie.
Et malgré cette faiblesse des moyens financiers, nos journaux avaient surtout compté sur l’apport quotidien et généreux de nos militants et de ses nombreux lecteurs devenus créateurs de contenus.
Il suffit de regarder et revoir les nombreuses pages confectionnées par des groupes de militants pour se donner l’ampleur de l’œuvre collective. Il suffira de citer les nombreuses pages et les suppléments spécialisées sur les femmes, la culture, les villes, la jeunesse, la Justice, l’économie, l’amazigh, …
Indéniablement, la force du journal a été sa capacité à exprimer un point de vue différent de l’officiel, à faire des révélations et à faire entendre les revendications populaires.
Nos journaux avaient également le rôle d’informer les militants et les compatriotes sur l’évolution du pays. Et, dans cet échange, nombreux sont les lecteurs qui sont devenus des correspondants voire des militants du parti.
Les journaux Al Bayane peuvent se targuer d’avoir tissé le premier et grand réseau de correspondants au niveau national, où les villes et les villages comptaient plusieurs correspondants (femme, jeunes, culture, sport, politique…). La tendance était similaire au niveau des correspondants à l’étranger.
Les Journaux Al Bayane ont connu de fastes et conviviales moments de ventes militantes, dans les artères des villes, lors de manifestations publiques et, surtout, lors des défilés du Premier Mai.
Mais au delà de cette existence historique, ils ont défendu ardemment et au prix de grands sacrifices la liberté de la presse, le droit à l’expression politique, l’indispensable nécessité d’un traitement objectif équitable de l’information.
C’est pour ces raisons qu’Al Bayane a été pendant longtemps le symbole du pluralisme politique et démocratique, de la diversité des opinions et des expressions publiques.
Et dans le monde où nous vivons, avec les transformations qu’il connait, les rêves d’hier n’ont rien perdu de leur actualité. Ni les missions qui leur étaient imparties
Le combat est toujours pour des informations exactes, vérifiées et recoupées. Et, dans un monde plein d’incertitudes, le rôle d’Al Bayane est de permettre aux intelligences libres de comprendre ce qui se passe et de porter leurs propres jugements. C’est un outil indispensable à la compréhension de nos causes patriotiques et démocratiques et à leur triomphe définitif.
Enfin, en cette période de grande commémoration, une pensée particulière est adressée au fondateur de ces journaux, à ses nombreux accompagnateurs et à tous ceux qui ont permis la transmission et le legs en le menant à bon port.