L’Innovation : Espoir ou Leurre des Temps Modernes ?

Point de vue

Par Hicham Ibn Abdelouahab

‘’La modernité n’est pas un choix, mais une nécessité historique’’. Abdallah Laroui

Il est de bon ton, ces derniers temps, de parler d’innovation comme de la panacée Universelle.  L’innovation, ce remède indispensable aux maux de notre époque ! On la décline à toutes les sauces : sociale, publique, territoriale… Mais derrière ce jargon un brin technocratique, que cache réellement cette obsession pour l’innovation ? Et surtout, comment peut-elle répondre concrètement aux attentes des populations qui, soyons honnêtes, sont souvent laissées pour compte dans ce grand chambardement ?

Commençons par définir les choses simplement. L’innovation, c’est l’art de réinventer la roue, mais en mieux. C’est regarder le monde tel qu’il est et se dire qu’on peut faire autrement, avec un soupçon de créativité et une bonne dose de bon sens. Et croyez-moi, le bon sens est une denrée rare de nos jours.

Selon l’Organisation Mondiale de la Propriété Intellectuelle (OMPI), l’innovation est un moteur essentiel de la croissance économique et de la compétitivité nationale. Comme l’affirmait Steve Jobs, cofondateur d’Apple : « L’innovation distingue un leader d’un suiveur. » Il ne s’agit pas simplement de générer des idées nouvelles, mais de transformer ces idées en solutions pratiques apportant une réelle valeur ajoutée.

Cependant, le chemin de l’innovation est semé d’embûches. De nombreuses entreprises ne parviennent pas à exploiter pleinement le potentiel créatif de leurs employés, ce qui souligne un certain manque de bon sens appliqué dans le contexte professionnel actuel.

Au Maroc, selon le rapport du Global Entrepreneurship Monitor (GEM) 2022/2023, des progrès significatifs ont été réalisés dans le domaine de l’entrepreneuriat. Néanmoins, l’innovation demeure un défi majeur. Le rapport indique que seule une minorité d’entrepreneurs marocains propose des produits ou services véritablement innovants, un chiffre inférieur à la moyenne mondiale.

De plus, des études révèlent que peu d’entreprises marocaines investissent dans la recherche et le développement, indiquant une marge de progression importante en matière d’innovation. Cette situation met en évidence le rôle crucial que peuvent jouer la créativité et le bon sens pour surmonter les obstacles actuels.

En définitive, l’innovation requiert non seulement des idées créatives, mais aussi la capacité de les mettre en œuvre de manière pragmatique. C’est en alliant créativité, bon sens et action concrète que nous pourrons véritablement réinventer la roue, et cette fois-ci, en mieux.

Prenons l’exemple de Lyon. Cette ville, connue pour ses fameux bouchons (les restaurants, pas les embouteillages, quoique…), a su se réinventer grâce à une gouvernance territoriale et une stratégie d’innovation publique audacieuse. En février 2007, la marque ONLY LYON a été lancée par les partenaires institutionnels de la Communauté Urbaine de Lyon, réunis au sein de « Grand Lyon Esprit d’Entreprise ». Ce collectif, comprenant le Grand Lyon, la CCI de Lyon, la Chambre des Métiers, le MEDEF, la CEPME et l’Université de Lyon, a construit ensemble une politique concertée de développement économique.

Les initiatives foisonnent : création de pôles de compétitivité comme Lyon Biopôle, réseau d’ambassadeurs à l’international, marketing digital renforcé, et collaboration étroite entre les acteurs économiques, touristiques et culturels. Les Lyonnais n’ont pas attendu qu’on leur dise quoi faire. Ils ont retroussé leurs manches et décidé de prendre leur destin en main.

Résultat ? Une ville plus solidaire, plus écologique, et résolument tournée vers l’international. Lyon figure désormais régulièrement dans le top 15 des métropoles européennes dans de nombreux domaines. Et en prime, une attractivité économique et touristique en forte hausse. Comme quoi, quand on s’intéresse aux gens et qu’on mise sur la coopération, ils vous le rendent bien.

En effet, les approches d’innovation publique holistique permettent des résultats concrets et des effets positifs sur un ensemble de secteurs pour une ville. Prenons à titre d’exemple Toulouse Métropole, la ville rose qui voit la vie en vert. Ici, l’innovation publique n’est pas un vain mot. L’Agence d’Attractivité de Toulouse regroupe le tourisme, le développement économique, le tourisme d’affaires, le tournage et le marketing territorial au sein d’une même entité. Cette structure est en charge du rayonnement de Toulouse et de son attractivité auprès de publics extérieurs à forte valeur ajoutée.

La gouvernance de cette agence est un exemple de réussite. Plusieurs élus thématiques de la Métropole peuvent, dans cette configuration, être référents, et la gouvernance intègre des personnalités extérieures. Le premier vice-président est le président de la Chambre de Commerce et d’Industrie, et une centaine de chefs d’entreprise sont actionnaires, dont beaucoup sont également administrateurs de l’Agence. Le cadrage précis de cette gouvernance est l’une des clés du succès, évitant la dispersion ou le risque d’instrumentalisation de la structure.

Les Toulousains sont ainsi devenus acteurs de leur ville. Un Comité Professionnel d’Attractivité, créé dès la première année de l’Agence, se réunit tous les trimestres et peut regrouper plusieurs centaines de participants : entreprises, hôteliers, agences événementielles, lieux culturels… Ce fonctionnement en top-down et bottom-up permet de partager des informations importantes en matière d’attractivité et de prospection, tout en organisant des ateliers dont les travaux et suggestions sont relayés en conseil d’administration.

Résultat ? Une ville plus solidaire, plus écologique, et résolument tournée vers l’international. Toulouse figure désormais parmi les métropoles les plus attractives, grâce à une stratégie coordonnée et une gouvernance efficace. Et l’humour dans tout ça ? Il paraît qu’on y croise même des vélos Airbus. Après tout, on est dans la capitale de l’aéronautique !

Et si l’on faisait un saut chez nos voisins espagnols ? Le marché San Miguel de Madrid est un exemple parfait d’innovation territoriale réussie. Cet ancien marché couvert, menacé par la modernisation galopante, a été transformé en temple de la gastronomie. On y déguste des tapas revisitées, on y découvre des produits du terroir, le tout dans une ambiance conviviale. Les Madrilènes ont ainsi redonné vie à un lieu emblématique, tout en boostant l’économie locale. Et les touristes ne s’y trompent pas : le marché est devenu un passage obligé. Une anecdote amusante ? Il paraît que même les Madrilènes y jouent les touristes, prétextant faire découvrir le lieu à des amis pour y retourner encore et encore.

Ces exemples nous rappellent le fameux « effet Bilbao ». Qui aurait cru que cette ville industrielle du Pays basque espagnol deviendrait une référence mondiale en matière de transformation urbaine ? Grâce au musée Guggenheim, certes, mais pas seulement. C’est toute une stratégie d’innovation culturelle et sociale qui a été mise en place. Aujourd’hui, Bilbao est un modèle étudié dans les universités du monde entier. Et petit clin d’œil : on dit que les habitants ont développé un sens aigu de l’autodérision, se plaisant à raconter que les pigeons eux-mêmes sont devenus experts en art contemporain.

Plus au nord, la Vallée Culturelle de Lettonie montre que l’innovation territoriale n’est pas réservée aux grandes métropoles. En misant sur la culture, la technologie et l’éducation, cette région a réussi à inverser la tendance du dépeuplement rural. Les festivals attirent les jeunes, les startups s’y installent, et les traditions sont réinventées. On y célèbre même le « hackathon folklorique », où les chants traditionnels rencontrent les nouvelles technologies. Avouez que ça ne manque pas de piquant !

Mais revenons-en à nos moutons. L’innovation sociale est, à mon sens, le seul remède véritable pour répondre aux attentes des populations. Dans un monde où les inégalités se creusent, où l’environnement est malmené, il est urgent de repenser nos modèles. Les entreprises, de leur côté, ne peuvent plus se contenter de beaux discours en matière de Responsabilité Sociétale (RSE). Il est temps de passer de la théorie à la pratique.

Saviez-vous que selon une étude récente, 68 % des consommateurs sont prêts à boycotter une marque qui ne respecterait pas ses engagements sociaux ou environnementaux ? Une statistique qui devrait faire réfléchir plus d’un dirigeant. Et pour ceux qui pensent que l’innovation sociale est un coût inutile, rappelons que les entreprises les plus engagées affichent souvent les meilleurs résultats financiers. Comme quoi, éthique et profit ne sont pas incompatibles. Une anecdote pour illustrer ? Une grande entreprise française, spécialisée dans les produits laitiers a vu ses ventes augmenter de 12 % après avoir mis en place des programmes de soutien aux agriculteurs locaux. Coïncidence ? Je ne crois pas.

Alors, que faire ? Il est temps de passer à l’action. Je propose que nous élaborions ensemble un livre blanc sur l’accompagnement des populations et la co-construction de solutions innovantes et utiles. Un document concret, avec des propositions claires, des exemples réussis, et pourquoi pas, quelques idées un peu folles.

Le Maroc : Un Modèle d’Innovation Sociale en Mouvement

L’innovation n’est pas l’apanage de l’Occident. Le Maroc, pays en pleine effervescence, se distingue par une dynamique d’innovation sociale guidée par une vision royale ambitieuse. Depuis 2005, sous l’impulsion de Sa Majesté le Roi Mohammed VI, le Royaume a engagé une transformation profonde à travers l’Initiative Nationale pour le Développement Humain (INDH). Ce programme emblématique illustre une volonté ferme de renforcer le développement humain et de répondre aux besoins locaux en intégrant les citoyens dans le processus de changement.

Lors de son discours marquant à l’occasion de la 66ᵉ anniversaire de la Révolution du Roi et du Peuple, Sa Majesté le Roi Mohammed VI a mis en lumière l’importance cruciale d’une mobilisation collective pour la réussite du nouveau modèle de développement. Ce discours s’inscrit dans une vision stratégique visant à bâtir un avenir inclusif et équitable pour le Maroc. Le Souverain a ainsi souligné : « Notre ambition est que, dans sa nouvelle version, ce modèle de développement constitue une assise solide pour faire émerger un nouveau contrat social emportant une adhésion unanime, en l’occurrence celle de l’État et de ses institutions, celle des forces vives de la nation incluant le secteur privé, les formations politiques et les syndicats, les associations, ainsi que celle de l’ensemble des citoyens. »

À travers ce discours, le roi ne se contente pas de poser un diagnostic des défis actuels, mais appelle également à une implication active et concrète de toutes les composantes de la société. Il met en exergue la nécessité d’une synergie entre les différents acteurs : l’État et ses institutions, les forces économiques, les corps intermédiaires, ainsi que chaque citoyen, dans un esprit de responsabilité partagée et de complément. Cette mobilisation dépasse le cadre des simples politiques publiques pour s’inscrire dans une démarche participative, où la co-construction des solutions devient une priorité. Par ces mots, le Roi place les citoyens et les communautés locales au cœur des mécanismes décisionnels, les encourageant à transcender leur rôle traditionnel de bénéficiaires pour devenir de véritables acteurs du changement. Cette approche souligne que la réussite du modèle repose autant sur une réforme institutionnelle ambitieuse que sur l’engagement individuel et collectif .

Un exemple particulièrement inspirant d’innovation sociale est le projet de collecte d’eau de brouillard mené par l’organisation Dar Si Hmad dans l’Anti-Atlas. En collaboration avec les habitants, ce projet utilise des filets pour capter l’eau du brouillard, fournissant ainsi de l’eau potable aux villages en pénurie. Cette initiative va au-delà de la simple amélioration de l’accès à l’eau ; elle libère les femmes et les jeunes filles de la corvée de la collecte d’eau, leur offrant ainsi l’opportunité de se consacrer à l’éducation et à des activités économiques. Ce modèle de collaboration démontre l’efficacité d’une innovation sociale participative, alignée sur les besoins réels et respectueuse des ressources naturelles, incarnant la vision d’un développement inclusif et durable.

La transformation du Maroc ne se limite pas à l’amélioration des conditions de vie : elle vise également à promouvoir l’inclusion sociale et l’équité territoriale. Des initiatives telles que les programmes d’alphabétisation, la formation professionnelle, et le soutien aux coopératives féminines illustrent cette démarche. De nouveaux programmes, comme Forsa, axé sur l’entrepreneuriat, et Intilaka, qui encourage les initiatives individuelles et collectives, montrent l’engagement pour une innovation sociale qui renforce le capital humain et encourage l’entrepreneuriat local.

Néanmoins, des défis subsistent, notamment en matière de chômage des jeunes et de disparités régionales. Pour y répondre, des acteurs locaux tels que les associations et les startups sociales jouent un rôle décisif dans le renforcement du tissu économique local en proposant des solutions adaptées aux besoins spécifiques des communautés. À travers ces initiatives, le Maroc établit un modèle de gouvernance inclusive où l’innovation sociale se révèle être un levier puissant de progrès et d’intégration.

Les entreprises marocaines commencent également à intégrer cette dynamique en adoptant des pratiques de responsabilité sociétale et environnementale. Cependant, il est essentiel qu’elles aillent au-delà de simples discours pour appliquer concrètement des solutions durables. Il est donc essentiel pour les entreprises de dépasser les simples déclarations et de démontrer concrètement leur engagement. Selon une étude réalisée par OpinionWay pour Les Echos et Salesforce, 63 % des consommateurs sont plus attentifs aux engagements des entreprises depuis le début de la crise sanitaire. Les consommateurs recherchent des engagements solides et sincères, et la neutralité morale vis-à-vis des problèmes de société. Un exemple inspirant est celui de l’OCP Group, qui investit massivement dans le développement durable et l’innovation sociale, améliorant les conditions de vie dans les régions minières tout en assurant une croissance économique soutenue.

Un Appel à l’Action

Il est temps d’agir collectivement pour concevoir un cadre stratégique permettant d’accompagner les populations et de co-construire des solutions innovantes. Un livre blanc sur l’accompagnement des populations pourrait offrir des pistes concrètes, des exemples réussis et des idées audacieuses. Comme le soulignait Einstein, « La folie, c’est de faire toujours la même chose et de s’attendre à un résultat différent. » Ce livre blanc serait une ressource précieuse pour inspirer et guider de futures initiatives.

Conclusion

L’innovation sociale n’est pas un luxe, mais une nécessité pour bâtir une société plus juste et plus durable. Le Maroc, avec son dynamisme et sa vision, se positionne comme un modèle d’innovation au service du développement. Ce modèle nous invite à oser penser autrement, à sortir des sentiers battus, et à construire un avenir inclusif avec passion et détermination. Comme le dit un proverbe : « Ce n’est pas parce que c’est difficile que nous n’osons pas, c’est parce que nous n’osons pas que c’est difficile. »

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