«Seules cinq à six coopératives arrivent à survivre»

Créées en 1937 comme outil de l’Etat pour garantir un prix juste et équitable des produits agricoles, les coopératives agricoles ont vu leur situation se dégrader dès 1996 avec la libéralisation du commerce des céréales et de l’industrie de transformation. 21 ans après, la situation ne s’est pas redressée, les coopératives agricoles sont toujours dans le gouffre. Moulay Abdelkader Alaoui, Directeur Général de l’Union Nationale des Coopératives Agricoles Marocaines (UNCAM) parle d’une situation inquiétante voire intenable, avec au comptant des dettes de plus de 100 milliards de centimes, l’arrêt d’activités de la plupart des coopératives agricoles… Avec recul, Abdelkader Alaoui estime que la libéralisation du secteur a été lancée d’une manière trop hâtive qui n’a pas pris en considération les contraintes du secteur.

Al Bayane : Quel est le rôle des coopératives agricoles au Maroc (CAM) et comment ont-elles évolué depuis leur création?

Moulay Abdelkader Alaoui : L’histoire des coopératives agricoles marocaines est assez longue. Leur création remonte à 1937, quand  l’Office National Interprofessionnel des Céréales et Légumineuses (ONICL) a été fondé. Elles avaient pour mission d’assurer la collecte des céréales au niveau des exploitations agricoles. Elles ont toujours été l’interface entre les producteurs, les  transformateurs et les utilisateurs  des céréales  et l’outil de l’Etat pour garantir un prix équitable et juste pour une marchandise qui répond aux normes et standards. Les coopératives agricoles jouaient ainsi le rôle de stabilisateur et de régulateur des prix  pour éviter un effondrement des cours. Elles étaient aussi l’outil de l’Etat pour protéger les agriculteurs face aux opérateurs privés.

Ces structures ont investi énormément dans la construction des silos de stockage et magasins et modernisé leurs outils  de gestion. Au début, il y avait 11 coopératives qui se sont regroupées dans l’Union Nationale des Coopératives Agricoles Marocaines (UNCAM) créée en 1974. L’UNCAM tenait des réunions régulièrement  pour tracer la politique à suivre pour la collecte de la marchandise et s’occupait aussi  de l’importation des céréales et des aliments que  les coopératives distribuaient dans leurs régions d’implantation. Il faut dire aussi que ces coopératives étaient comme une toile d’araignée. Elles avaient des points d’attache un peu partout au Maroc, ce qui facilitait l’accès aux engrais et aux semences, donc aux facteurs de production. D’ailleurs, elles avaient créé aussi des points de proximité qui permettaient au petit agriculteur d’écouler sa marchandise dans de meilleures conditions.  Elles facilitaient donc  la collecte et la distribution. Ainsi, quand l’Etat voulait lancer les campagnes particulières pour la sauvegarde du  cheptel ou d’autres opérations particulières, les coopératives étaient le maillon central.

La libéralisation du commerce des céréales et de l’industrie de transformation a été qualifiée de sauvage et a accéléré  la décadence des coopératives agricoles. Pourquoi et comment, à votre avis,  cette libéralisation a mis dans le gouffre ces structures qui étaient  en même temps un outil de l’Etat?

Les choses ont évolué à contre courant. Les coopératives ont subi de plein fouet la libéralisation sauvage du secteur en 1996 à un moment où elles étaient alourdies par une série de charges et de dettes.  L’Etat a libéralisé le commerce des céréales et l’industrie de transformation, ce qui a entrainé une anarchie totale.  Les coopératives déjà accablées par le coût d’investissement et le poids d’une masse salariale importante (1400 personnes) ont été laissées pour compte. Il n’ya pas eu de plan de restructuration immédiat et pas d’étude de migration du système.

Cette libéralisation sauvage est arrivée donc à un moment marqué par l’émergence dans le secteur de nouveaux opérateurs  qui n’avaient pas besoin d’investir beaucoup  (hangars, secrétaires et des ouvriers  saisonniers). Comme conséquence, les coopératives n’étaient plus compétitives face à des pratiques peu orthodoxes et à de nouveaux opérateurs privés qui n’avaient aucun engagement à acheter chez les producteurs au prix annoncé par l’Etat.

Ce qu’on nous a dit c’est : «volez de vos propres ailes». L’UNCAM, qui réalisait près de 40% à 50%  des importations, soit plus de deux milliards de Chiffre d’Affaires, a vu sa décadence s’accélérer avec l’ouverture des appels d’offres.  Du coup, les coopératives agricoles étaient obligées de puiser dans leurs économies et ont commencé à  céder une bonne partie de leurs biens pour subvenir aux besoins des autres coopératives. J’évoque ici la fermeture complète de six coopératives à l’époque. Il s’agit de Fadila à Salé,  Beni Melal, Oued-Zem, Fès, Tétouan et Kenitra.

Aujourd’hui, le secteur est très malade.  Les coopératives agricoles sont dans des situations intenables alourdies par les charges financières qui font boule de neige. Les agios représentent 80 % de la dette. La situation est sincèrement  très inquiétante. Face à ces problématiques, même l’UNCAM n’a plus de pouvoir. Depuis 2006, elle a commencé progressivement  à couler face à des opérateurs privés plus forts. Elle est aujourd’hui en situation d’arrêt d’activité. Seules cinq à six coopératives arrivent à survivre : celles de Safi, Meknès, Agadir, Chaouia, Doukkala et Essaouira.

Face à cette situation, vous n’êtes pas resté les mains croisées. Un protocole d’accord a été signé avec le consortium des banques et un mémorandum a été conclu lors du dernier SIAM avec le département de tutelle et la profession. Qu’est ce qui va réellement changer?

En 2009/2010, nous avons  signé un protocole d’accord avec le consortium des banques. On a liquidé une grande partie des biens pour s’acquitter des dettes. Malgré tout, nous avons à notre passif beaucoup de dettes. Ces dernières s’élèvent à 100 milliards de centimes.  Mais, heureusement que nous avons un patrimoine qui couvre l’ensemble des dettes.

Toutefois,  le problème demeure. Il faudrait continuer à travailler, à créer la richesse, de la valeur ajoutée et donc redorer le blason des coopératives pour leur permettre de jouer leur rôle. Je rappelle qu’en France,  80% des activités céréalières  sont organisées par les coopératives. C’est toute l’économie sociale qui est en jeu.  Si on parle aujourd’hui de l’agrégation, cette notion a déjà été opérée par les coopératives.  Donnons l’opportunité aux coopératives….

La filière céréalière est le parent pauvre du Plan Maroc Vert (PMV) et continue de connaitre beaucoup de problèmes. Nous avons pensé à l’agrégation mais le privé n’est jamais assez intéressé et les coopératives ne peuvent plus agréger. Le ministre de l’agriculture a compris l’enjeu et a voulu impliquer le secteur privé. C’est de là qu’est partie l’idée de l’étude diligentée en 2012 par le département de tutelle pour la mise à niveau du secteur.

Nous avons engagé des négociations l’année dernière avec les banques créancières pour trouver un terrain d’entente. Ainsi, pour couronner ces négociations, nous avons signé un mémorandum lors du SIAM 2016 (salon international de l’agriculture au Maroc). L’idée est de créer  une holding  où une bonne partie des créances des banques seront transformées en participation. Parallèlement, un Conseil de surveillance sera mis en place. L’idée étant de donner une autre vision au travail des coopératives déjà existantes et de les reprendre sous une autre forme juridique.  La nouvelle holding  sera intitulée les  SCAM (société des coopératives agricoles marocaines) qui, en principe va ouvrir la porte à d’autres opérateurs comme la Mamda, les assurances, les banques créancières. L’objectif est de stabiliser la filière des céréales au Maroc. Le problème n’est pas de produire mais de commercialiser. Si le producteur travaille tout au long de l’année  pour vendre à perte après la récolte, c’est décourageant. C’est là où réside la vraie problématique. L’année dernière, on a assisté à l’effondrement des prix du blé qui a été écoulé à 220 dirhams au lieu des 270 ou  280 dirhams à cause de l’absence de coopératives.

Quel est l’impact  de cette libéralisation sur le secteur?

On a libéralisé le commerce, mais cela n’a rien apporté au petit agriculteur qui reste exposé à tous les risques (aléas climatiques, problèmes des assurances, semences chères,  prix de vente). Le blé  tendre ne représente que 12% du blé écrasé par les industriels.  85% des farines écrasées proviennent de l’étranger. Nous demandons une intégration totale entre industriels et collecteurs pour des variétés adaptées à la demande de la clientèle avec des caractéristiques  précises. Au Maroc, le problème du blé marocain c’est  l’atomisation des exploitations agricoles. Nous avons plus de 85% des exploitations qui ont moins de 5 hectares. Quand vous faites la céréaculture sur 5 hectares, vous utilisez telle ou telle variété, telle ou telle semence…c’est hétérogène. Donc, dans mon blé, j’ai plusieurs variétés (différents  taux de protéines, d’humidité…). Pour le minotier, le choix est très difficile. Il faut s’organiser à l’amont pour une meilleure homogénéisation  du produit.

Quel est le rôle de l’ONICL dans cette situation ? Que lui reprochez-vous?

L’ONICL (office national interprofessionnel des céréales et légumineuses)  fait la régulation de l’approvisionnement du marché en céréales (blé dur, blé tendre, orge, maïs).  Il est là pour réguler. Si la campagne agricole est bonne il fait la collecte et assure les stocks. Sinon il déclenche les appels d’offres et ouvre la voie à l’importation. Son souci majeur est de veiller sur les stocks de sécurité et l’approvisionnement du marché.  A mon avis, le président de l’Office doit être issu des agriculteurs et doit avoir une bonne connaissance de leurs soucis et problèmes, comme c’est le cas en France.

Les coopératives ne reçoivent aucune aide. Toutefois, il faut dire que le Crédit Agricole du Maroc a montré sa bonne foi pour soutenir les agriculteurs et faire sortir le secteur de la crise de même que le ministre de tutelle. Nous attendons le retour du ministère de tutelle et l’exécution des actions. Aujourd’hui, le dossier est clos et  les expertises sont faites.  Le temps est contre nous, la campagne agricole arrive, qui va s’occuper de la récolte ?

On pointe aussi du doigt le lobbying des minotiers ? Qu’en est –il vraiment?

Il y’a plus de 40 moulins qui sont aujourd’hui en liquidation judiciaire à cause de la libéralisation. Que ce soit au niveau de la production, de la collecte ou de la transformation, tout le secteur vit aujourd’hui dans le tourbillon.  Le secteur de la minoterie est un secteur à haut risque  pour les banques et  à perte à cause de la concurrence déloyale et du dumping (les gens vendent à des prix inférieurs au prix de revient).

Il faut dire que la farine subventionnée est le point de départ de l’anarchie du secteur des moulins. Il y’a des moulins qui ne produisaient  jamais de la  farine. Ils reçoivent aujourd’hui la subvention et en profitent pour faire baisser les prix sur le marché. Ils utilisent des pratiques qui ne sont pas orthoses. En effet, même le Conseil de la concurrence n’a pas joué son rôle.

Depuis 1988, le prix du blé a été fixé à  350 dirhams. Trente ans après, en plus des différentes charges qui ont augmenté, les gens se permettent de baisser le prix de vente du blé. Il y’a quelque chose qui ne va pas. Un mauvais jeu se joue toujours. Il faut mettre en place une carte de pauvreté et trouver d’autres scénarios.

 Il  faut être vigilant et conscient de l’enjeu et des problèmes du secteur…La farine subventionnée coûte à l’Etat quelque  300 milliards de dirhams et pourtant, il n’ya pas une équité et une transparence totale. Je crois qu’il faut arrêter la subvention pour éviter les situations de rente.  Bref, je crois que la libéralisation du secteur a été lancée d’une manière trop hâtive qui n’a pas pris en considération les contraintes du secteur.

Fairouz El Mouden

L’UNCAM EN 2020

  • Un organe fédérateur au service de ses  60 000 adhérents, à travers ses coopératives spécialisées suivant les régions.
  • Des activités diversifiées dans le cadre de l’agrégation.
  • Une organisation transparente, structurée et citoyenne, garante de la solidarité entre les coopératives.

Constitution d’un Comité de pilotage et de 4 Commissions thématiques

-Commission financement

-Commission agrégation et filière céréalière

-Commission des docks-silos et patrimoine

-Commission mise à niveau et bonne

 Objectif

Établir un diagnostic concerté de la situation des CAM/UNCAM permettant la mise en place d’un Plan de mise à niveau gouvernance.

Mise à niveau des CAM et de l’UNCAM

Coopératives céréalières Agricoles du Maroc détiennent une grande part des capitaux: 18,6% du capital total des coopératives agricoles

Disposent d’infrastructures de stockage importantes: 3,7 Millions Qx  interviennent à hauteur de 30% dans la collecte et la commercialisation des céréales.

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