The Guardian: le top vingt des films africains

Le  Maroc grand absent

Mohammed Bakrim

Le célèbre quotidien londonien, The Guardian, a établi, début octobre, sous la houlette de son critique de cinéma, le romancier Peter  Bradshow, la liste des vingt meilleurs films africains. Les classements se suivent et ne se ressemblent pas; ils sont souvent l’expression d’une tendance. Celui-là me semble intéressant à découvrir; à double titre. D’abord, la nature du support lui-même.

The Guardian est un journal prestigieux fondé en 1821; il s’inscrit dans la mouvance social libéral; grosso modo une gauche modéré, le journal est quand même né dans le sillage d’un mouvement social, au début du 19ème siècle ; mouvement essentiellement ouvrier à Manchester. Il est apprécié pour les qualités de ses analyses c’est le journal de l’intelligentsia et des élites. Certes, son édition papier subit aujourd’hui de plein fouet les effets de la mutation que connaît la mediasphère (érosion du lectorat…), cependant son site, en accès libre ( !) est devenu une référence planétaire ; il est le troisième dans le monde avec 150 millions de visiteurs.

Ce classement est en outre intéressant car il émane d’une sphère géo-culturelle qui apporte un autre regard sur notre continent. Une approche anglo-saxonne marquée par d’autres paramètres s’inspirant des « Culturals studies ». Cela transparaît dans les choix des films. Le classement se distingue par exemple nettement de ceux traditionnellement établis par la critique francophone, plus portés par la cinéphilie et le cinéma d’auteur. Quels sont alors les grandes tendances mises avant par The Guardian ?

Ce que l’on peut relever d’emblée, c’est une diversité dans les choix. Une  diversité géographique donc linguistique et culturelle avec une ouverture sur des régions souvent oubliés par la cinéphilie établie. Une ouverture artistique avec la prise en compte d’un phénomène cinématographique «mal vu» par  la critique, c’est Nollywood avec, en 16ème place, le film The wedding party de Kemi Adetiba (2016); un cinéma populaire né au Nigéria et qui place ce pays parmi les trois grands producteurs mondiaux. Et puis une ouverture esthétique avec la réhabilitation de tous les genres comme le mélodrame romantique à l’égyptienne avec le choix du film L’appel du courlis d’Henry Barakat (1959) qui apparaît à la dix-neuvième place du classement. Des cinéastes souvent plébiscités par la critique européo-centriste n’apparaissent pas dans ce choix. C’est le cas pratiquement pour le cinéma marocain dont aucun film ne figure dans le top 20 du journal britannique. Même des noms comme Nabil Ayouch avec Ali Zaoua ou Faouazi Bensaïdi avec mille mois ou encore Souheil Benbarka avec Mille et une mains ne sont pas cités. C’est un signe révélateur!

Sur les vingt films choisis comme les meilleurs du continent nous retrouvons 12 films issus de l’Afrique francophone occupant notamment les trois premières places du podium avec en premier lieu Abouna de Mohamed Salah Haroun (Tchad, 2002) suivi de Touki Bouki de Djibril Diop Mambéty (Sénégal, 1973) et La noire de … de Sembene Ousmane (Sénégal, 1966). Le cinéma sénégalais est le grand vainqueur  de ce classement avec quatre films cités : il y a aussi en effet Atlantique de Mati Diop (2019) arrivé en 6ème position et   le premier long métrage documentaire de Safi Faye, Lettre paysanne (1975) cité à la 17ème position. Nous retrouvons également deux pays de la zone francophone de grande tradition cinématographique, le Mali avec Yeelen de Souleiman Cissé (1987) et le Burkina Faso avec Yaaba de Idrissa Ouedraogo (1989). Je rappelle que les deux films ont été primés à Cannes. La Zambie traditionnellement peu citée dans le discours dominant sur le cinéma a placé Je ne suis pas une sorcière de Rungano Nyoni (2017) en 5ème  position. Je n’oublie pas de citer En attendant le bonheur d’Abderrahmane Cissako (2002) choisi comme 8ème  meilleur film africain. Le Bénin et l’Afrique du sud avec trois films figurent également dans le choix du journal britannique.

Pour l’Afrique du nord, l’Algérie arrive avec deux films, La bataille d’Alger de Gilles Pontecorvo (1966), classé neuvième et Chroniques des années de braise de Mohamed Lakhdar Hamina (1975), Palme d’or à Cannes et qui arrive ici à la 13ème place ! La Tunisie est représentée par une femme avec Moufida Tlatli et son film La saison des hommes (2000) classé dixième et qui illustre parfaitement l’empreinte culturaliste du choix. L’Egypte est citée  avec Gare centrale Youssef Chahine (1958) arrivé à la 4ème place et L’appel du courlis, le mélo romantique de Barakat avec l’inoubliable, visage angélique de Faten Hamama ; adaptation d’un chef-d’œuvre littéraire éponyme de Taha Hossein.

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