Au Royaume de la diversité culturelle, peut-on parler d’une économie de la culture ?

Point de vue

Par Hatim BOUMHAOUAD, Docteur et chercheur en sciences de l’information et de la communication

L’économie de la culture s’intéresse aux aspects économiques de la création, de la distribution et de la consommation des biens culturels ; en d’autres termes, elle utilise les méthodes et les outils des sciences économiques (gestion d’entreprise + économie politique) afin d’instituer et de promouvoir les conditions d’organisation et de croissance des activités culturelles. Dans le cadre de l’économie de la culture, on s’interroge, par exemple, sur la valeur d’un tableau ou d’une pièce théâtrale, sur les difficultés des entreprises du spectacle vivant à couvrir leurs dépenses, sur la soutenabilité de l’industrie de la musique à l’heure d’internet, sur la capacité de la reconnaissance élargie de la propriété artistique à atténuer la faiblesse des revenus culturels, ou tout simplement sur l’usage de certains termes tels que les starving artists (artistes qui sacrifient leur bien-être pécunier pour se focaliser sur leurs œuvres) et les stars. On s’interroge également sur l’influence des conditions de vie des artistes sur leurs décisions artistiques, ou l’inverse.

L’économie de la culture au Maroc est un domaine en plein essor, qui présente de nombreuses opportunités de croissance et de développement. Notre Royaume regorge d’un riche patrimoine artistique et artisanal, allant des traditions ancestrales aux formes d’expression contemporaines (ex. plastiques, cinématographiques, musicales). Avec une demande croissante pour les produits culturels marocains sur le marché national et international, il est crucial d’investir dans ce secteur et de promouvoir les talents locaux. En favorisant l’émergence de nouveaux créateurs (les maâlems) et artistes qui assurent la relève et en soutenant les initiatives culturelles, le Maroc peut non seulement stimuler son économie mais aussi renforcer son identité nationale unique, et générer des revenus pour ses citoyens. De surcroît, en investissant dans le secteur culturel, le Maroc peut non seulement promouvoir son patrimoine et ses traditions uniques, mais aussi stimuler la création d’emplois et attirer davantage de touristes. La diversité culturelle du Maroc offre une multitude d’opportunités pour développer des « vraies » industries telles que l’artisanat, la gastronomie, la musique et le cinéma. En misant sur l’économie de la culture, le Maroc peut renforcer son attractivité sur la scène internationale et dynamiser sa croissance économique de manière durable et efficace.

L’économie de la culture au Maroc représente un secteur important qui englobe des domaines variés tels que l’art, le cinéma, la musique, l’édition, l’artisanat, le théâtre, le spectacle vivant et le patrimoine culturel. Bien que traditionnellement, l’économie marocaine ait longtemps été dominée par l’agriculture, les mines, le textile et le tourisme, le secteur culturel est susceptible de contribuer de plus en plus à la diversité et à la vitalité économique du pays. Voici quelques aspects clés de l’économie de la culture au Maroc :

1- le patrimoine et le tourisme culturel : notre pays est reconnu pour son riche patrimoine historique et culturel. Les villes impériales comme (Rabat, Fès, Meknès et Marrakech) avec leurs médinas, leurs souks et leurs monuments historiques, attirent des touristes du monde entier. Le tourisme culturel est donc un moteur économique important pour le pays et la population locale.

2- le cinéma : le Maroc est considéré comme un site de tournage prisé pour de nombreux films internationaux grâce à ses studios, ses paysages diversifiés et ses coûts de production relativement bas. Des films célèbres (ex. Lawrence d’Arabie, Gladiator, Mission impossible 5…) ont été tournés au Maroc, apportant des revenus substantiels et favorisant l’emploi local. Le Festival international du film de Marrakech est un événement majeur qui met en valeur l’industrie cinématographique marocaine et attire des professionnels de renommé de l’industrie du cinéma.

3- l’artisanat : l’artisanat marocain est réputé pour son authenticité et sa diversité, représentant un secteur clé de l’économie de la culture. Il inclut, entre autres, la poterie, la maroquinerie, le travail du bois et du métal, la joaillerie, les tissus et les tapis. Le gouvernement a mis en place des initiatives pour promouvoir l’artisanat traditionnel, et protéger ce dernier auprès de l’UNESCO, contribuant ainsi à sa sauvegarde.

4- la musique et les festivals : tout comme plusieurs pays, la musique marocaine est très variée, mêlant styles traditionnels, classiques et contemporains. Les festivals de musique tels que le Festival de Fès des musiques sacrées du monde et le Festival Gnaoua et Musiques du Monde d’Essaouira sont populaires et jouent un rôle dans le dynamisme économique des villes hôtes.

5- les infrastructures culturelles : Le Royaume investit dans des infrastructures culturelles telles que les théâtres, les bibliothèques et les musées afin d’encourager la création et la diffusion culturelles. Des initiatives sont également mises en œuvre pour soutenir les créateurs et les artistes à travers des politiques de subvention et de formation dans les métiers de la culture et du patrimoine, et ce à l’instar du Master « ingénierie managériale des organismes info-culturels et valorisation du patrimoine » à l’École des Sciences de l’Information à Rabat.

L’économie de la culture est régie par des règles qui diffèrent de celles de l’économie des matières premières (celles extraites des ressources naturelles). Si l’économie marocaine s’appuie sur l’exportation des matières premières, telles que les productions minières et végétales, il y aurait une contradiction entre la croissance économique qui est supposée être infinie et les matières premières finies. Dans ce contexte, lorsqu’on partage les biens culturels qui sont des biens non-rivaux, on les multiplie ; alors que lorsqu’on partage un bien matériel (matière première), on le divise. Ainsi, on devient de plus en plus pauvre quand on partage un bien matériel, tandis qu’on est de plus en plus riche lorsqu’on vend un bien culturel. À titre d’exemple, lorsque le Maroc exporte du phosphate, la quantité vendue ne lui appartient plus, et c’est à l’acheteur de décider de l’usage final du produit (la matière première) acheté, puisqu’il devient le détenteur de ce dernier. En revanche, lorsque notre Royaume organise le Festival Gnaoua et Musiques du Monde, il est le seul propriétaire de ce bien culturel, vendu à une dizaine de milliers de spectateurs et protégé par des droits d’auteur et la propriété intellectuelle (musique folklorique).

Il est important de noter que l’économie de la culture au Maroc, tout comme ailleurs, peut être vulnérable à des défis tels que la piraterie, le financement insuffisant, les contraintes bureaucratiques et les répercussions des crises économiques ou sanitaires comme celle de la COVID-19 qui peut affecter le tourisme et la tenue des événements culturels durant une période donnée. En d’autres termes, l’économie de la culture au Maroc, tout en étant riche et diversifiée, est confrontée à diverses contraintes qui peuvent freiner son développement et sa contribution à l’économie du Royaume. Il s’agit d’un potentiel mal géré. Voici quelques-unes des principales limitations que ce secteur doit surmonter :

1- le manque de financement et le soutien gouvernemental timide : le manque de ressources financières est l’une des principales entraves au développement de l’économie de la culture ; de ce fait, les artistes ainsi que les institutions culturelles sont contraints de chercher le plus souvent des sources de financement alternatives afin de (sur)vivre. Ils peuvent avoir du mal à obtenir des financements suffisants pour leurs projets, en raison de budgets culturels limités et d’un accès restreint aux fonds privés ou aux crédits bancaires. Le soutien gouvernemental est crucial pour le développement du secteur culturel, étant donné que seul l’État peut préserver le patrimoine culturel national, et sauvegarder ainsi l’identité du pays. Un manque de subventions et d’investissements ne peut que ralentir la croissance du secteur culturel.

2- les infrastructures culturelles : un accès limité à des infrastructures de qualité pour la production, la distribution et la présentation des œuvres culturelles peut être un obstacle majeur. Les infrastructures comme les salles de cinéma, les théâtres, les galeries d’art et les lieux de concert nécessitent des investissements adéquats pour répondre aux standards internationaux, attirer un large public et assurer des prestations culturelles de qualité. De surcroît, il faut admettre que le Maroc souffre d’un déficit en matière d’infrastructures dédiées à la culture (ex. salles de spectacle, galeries d’art, espaces d’exposition…). Cette carence peut empêcher l’organisation d’événements culturels d’envergure et limiter l’accès du public à des activités culturelles variées.

3- la formation dans les métiers de la culture : le secteur culturel marocain fait face à un grand manque de programmes de formation spécialisés qui pourraient préparer les futurs professionnels aux divers métiers de la culture et renforcer les compétences déjà existantes. Devant cette lacune relative à la formation professionnelle et à l’éducation artistique, le Royaume connait une pénurie de travailleurs culturels qualifiés tels que les managers culturels, les techniciens de production et les conservateurs de musée.

4- la digitalisation et la propriété intellectuelle : la transition vers le numérique est un autre cheval de bataille. Il s’agit d’un défi pour les industries créatives au Maroc, nécessitant des investissements dans les technologies et la formation. La protection de la propriété intellectuelle est également un enjeu majeur, car le téléchargement illégal, la contrefaçon et les tentatives d’appropriation du patrimoine marocain par certains pays voisins peuvent nuire aux recettes des créateurs et artistes du Royaume. Ceci s’ajoute au fait que les droits d’auteur et la propriété intellectuelle ne sont pas toujours strictement respectés au Maroc, ce qui engendre un manque à gagner pour les créateurs et peut décourager la production de nouvelles œuvres culturelles.

5- les politiques publiques : les politiques publiques en matière de culture manquent de clarté, de cohérence et d’orientation stratégique, ce qui rend difficile la mise en œuvre de plans efficaces pour soutenir le développement du secteur.

6- l’impact de la pandémie : la crise sanitaire de la COVID-19 a eu un lourd impact sur l’économie de la culture, avec l’annulation de nombreux événements culturels, la fermeture des sites touristiques et la diminution des revenus pour les artistes et les acteurs économiques de la culture.

7- la compétitivité sur le marché global : Le secteur culturel marocain fait face à une concurrence intense sur le marché global, et il peut être difficile pour les artistes et les produits culturels locaux d’atteindre un large public international sans stratégies d’exportation et de coopération efficaces.

Malgré toutes ces limitations, le principal obstacle est le public. Comment voulez-vous développer le domaine des industries culturelles et créatives alors que vous avez 10 millions de Marocains qui sont en situation d’illettrisme (selon les derniers chiffres de l’Agence Nationale de Lutte contre l’Analphabétisme), et un taux de pauvreté relative de 12,7% (selon les derniers chiffres du Haut-Commissariat au Plan). Ces deux données impliquent une faible élasticité à la hausse des prix des biens culturels et une modeste implication du public, à l’instar de la faiblesse des lecteurs (édition) et des spectateurs (spectacle vivant). L’éducation à la culture – qui constitue l’un principaux moyens du développement de la médiation des biens culturels – est quasi inexistante. Nous pouvons considérer la culture comme un luxe ou un moyen de divertissement pour la majorité des Marocains, sans qu’elle soit véritablement un fait social, nécessaire dans leur vie quotidienne. Dans le même contexte, nous pouvons considérer le bien culturel comme un bien « supérieurs » caractérisé par une forte élasticité aux revenus. De ce fait, le déficit est inévitable pour certaines institutions culturelles.

Afin de relever ces défis et pour ne pas prendre de retard sur les innovations liées à la culture, des mesures telles que des programmes de financement spécifiques, des formations professionnelles améliorées, des investissements dans les infrastructures, une meilleure protection de la propriété intellectuelle et une intensification des efforts de promotion peuvent être nécessaires pour renforcer l’économie de la culture au Maroc. En outre, une plus grande reconnaissance de la valeur économique de la culture pourrait encourager à la fois le soutien de l’État et l’investissement privé dans le secteur. Il est essentiel que les acteurs publics et privés collaborent pour soutenir et promouvoir l’économie de la culture au Maroc. En encourageant les initiatives artistiques et culturelles, nous contribuons à renforcer le rayonnement international du pays et à dynamiser son économie dans son ensemble. Cela permet non seulement de valoriser le patrimoine culturel du Royaume, mais aussi de stimuler la créativité et l’innovation, de renforcer l’identité nationale et de promouvoir le dialogue interculturel.

À l’heure de la mondialisation, la diversité culturelle constitue un atout économique majeur pour les sociétés. Elle favorise l’innovation, le tourisme, l’inclusion sociale et l’attractivité du territoire, éléments clés d’une économie florissante et dynamique. La diversité culturelle est un moteur puissant. Elle apporte différentes perspectives, idées et compétences qui peuvent se traduire par des innovations en matière de produits et de services. La diversité culturelle est bien plus qu’un simple patchwork de différents modes de vie : c’est un catalyseur de croissance économique, d’innovation et de cohésion sociale. Les politiques publiques et les stratégies d’entreprise qui encouragent et tirent parti de la diversité culturelle se donnent les moyens de prospérer dans un monde en perpétuelle évolution. Investir dans la diversité culturelle n’est donc pas seulement une obligation morale, mais également un choix stratégique pour les sociétés désireuses de renforcer leur développement économique durable.

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