Point de vue
Par Pr. Jamal Eddine NAJI
En fait, j’ai foulé le sol d’Alger une fois, début des années 70 : celui de la salle de transit de son aéroport. Nous étions une pléiade d’étudiants journalistes du Centre de formation de journalistes (CFJ, ancêtre de l’ISIC), en route vers Tunis pour un colloque avec nos homologues tunisiens de l’IPSI. A l’époque, le vol depuis Casablanca faisait escale de quelques heures à Alger. Pour tous, c’était notre premier voyage à l’étranger avec le premier passeport de notre vie (document dont le ministère de l’Intérieur de Driss Basri -1979/1999 – rendra inatteignable, pendant deux décennies, pour la Marocains, surtout les jeunes).
Jeunes fougueux habitués à l’agitation naturellement contestataire apprise dans les rangs de l’UNEM de l’époque, nous avons demandé à sortir de l’aéroport, le temps de « humer » et de « voler » quelques atmosphères et images de la ville décrites ou vécues par certaines icônes de nos lectures à l’époque : Albert Camus, Mouloud Feraoun, Assia Djebar, Mohamed Dib, Kateb Yacine, Malek Haddad, Rachid Boudjdra… Que nenni !
Des agents, tant de l’aéroport que de la police nous encerclèrent, nous confinèrent dans un coin de cette salle d’attente quasi nue… De longs conciliabules avec nos encadrants Marocains (dont le regretté historien et écrivain Si Mohamed Zniber) et allemands (de la « Fondation Friedrich Nauman » du parti libéral allemand, à l’origine de la création du CFJ), ne donnèrent rien. Bien sûr, nos réflexes de militants de l’UNEM prirent le dessus sur notre déception et notre ahurissement : on se livra, alors, à des chants « révolutionnaires » que cette ville, à l’époque, pensait être seule à en resonner en tant que « Mecque » refuge des « guévaristes » et combattants de l’ANC de Mandela et autres mouvements de libération. On ne savait pas, à l’époque, qu’ils s’entrainaient chez nous, du côté de Settat, et recevaient armes, formations militaires et politiques organisées par l’État marocain sous la responsabilité de feu Dr. Abdelkrim Al Khatib qui a même reçu chez nous le grand « Madiba » en 1962 !
Bref, nos contestations dans cette salle de « garde à vue » de l’aéroport d’Alger, bruyantes, comme à l’accoutumée au campus de Rabat (le seul du pays, à l’époque), déboussolèrent les forces de Boumediene (leur président d’alors). On devina que leurs gradés, visiblement déstabilisés par nos slogans, se demandaient s’ils n’allaient pas nous mettre aux arrêts… On ignorait qu’une telle décision ne pouvait avoir lieu, au regard de la réglementation internationale de l’aviation civile (gardée par l’IATA), étant donné que nous étions juste en transit et sans voir commis quelconque délit avéré. Mais, me diriez-vous, quand est-ce-que Alger a-t-elle été strictement respectueuse d’une réglementation internationale, à l’époque comme de nos jours ?!
Notre escale, comme un passage forcé au purgatoire, nous causa un retard de plus de deux heures sur notre vol pour Tunis, mais nous finîmes par débarquer finalement à Carthage… Merci à Juba 2, cet érudit roi numide que nous partageons avec tout le Maghreb et qui résidait, certains temps, chez nous, à Volubilis !
Le dangereux exemple par la liberté
Près de trois décennies après, cette aventure à l’aéroport d’Alger va me sembler survivre en moi par des traces restées à la traîne dans la relation entre Alger et les étudiants en journalisme ou journalistes… Ce fût à l’occasion d’une formation de perfectionnement de journalistes au Centre Africain de Perfectionnement de Journalistes et Communicateurs de Tunis, exceptionnellement utile, pendant plus de 25 ans, à cette profession, notamment en Afrique et dans le monde arabe, grâce à son exceptionnel fondateur, Pr. Ridha Najar. Durant une session organisée pour journalistes maghrébins et après un de mes cours sur le journalisme d’agence, un journaliste algérien m’aborda discrètement et me confia que le Directeur de l’APS, qui encadrait la cohorte algérienne dans cette session, leur a dit qu’heureusement que mon cours était le dernier de la session, « sinon, aurait-il expliqué, si le Maroc nous envoie de tels formateurs, on finira par perdre toute audience auprès des autres… ». Pourquoi, demandai-je ? « Parce que la liberté que vous avez, vous les Marocains, d’avoir un esprit critique même concernant vos médias, votre enseignement, votre pays, vos politiques et vos dirigeants, pourrait faire des émules chez nous où on ne peut critiquer quoique ce soit, ni nos médias, encore moins nos politiques » … « Effectivement, répondis-je à cet exceptionnel aveu du journaliste algérien, votre directeur ne peut, visiblement, comprendre ou tolérer la liberté d’expression, encore moins la liberté académique instituée et défendue par l’Unesco depuis 1966 ».
Au début des années 2000, l’exceptionnel représentant de l’Unesco au Maghreb, le philosophe et écrivain, natif de Casablanca, Philippe Quéau, me pressa d’accepter, à la demande de l’ambassadeur d’Algérie à Rabat, le puissant – alors – Larbi Belkheir, d’accepter une mission pour faire un état des lieux des médias en Algérie comme j’en avais conduit en Tunisie et en Mauritanie. « Pensez-vous que les algériens verront en moi un consultant Unesco ou plutôt un Marocain comme ils ont l’habitude de voir les Marocains et de s’en méfier et de les surveiller ? ». M. Quéau comprit ce biais anormal et en même temps évident, il accepta mon refus… Pourtant, l’hécatombe qui faucha et martyrisa plus d’une trentaine de confrères dans ce pays voisin, en deux ans (1993/1995), me poussait à tenter l’aventure d’une consultation à risques et certainement sous haute surveillance matin et soir comme il est de mise dans ce pays pour tout étranger, à fortiori un « marrouqui » comme ils nous nomment (eux qu’on nommait, enfants, « wastis ») !
Eh bien, tant pis, visa ou pas visa, je ne verrais jamais l’Algérie ! Elle ne sera pas portée sur la mappemonde sur laquelle mes enfants ont coché plus de 60 pays que, grâce à son métier, leur papa a visité et y a joui de sa liberté d’action et d’expression. Comme au Maroc.