Le nouvel an amazigh : un symbole d’unité nationale et de diversité culturelle.

Par Abdeslam Seddiki

Le peuple marocain s’apprête à célébrer ce 14 janvier le nouvel an 2975 du calendrier amazigh, dite fête « Yennayer ». Depuis l’année dernière, cette journée a été décrétée par SM Le Roi une journée nationale fériée et payée.  Cet événement prend de plus en plus d’ampleur et d’engagement populaire au fil des ans, traduisant ainsi la réconciliation avec notre passé et la prise en compte de notre mémoire collective en tant que peuple dont les racines sont plongées dans une histoire millénaire que personne ne peut effacer, ni façonner en fonction d’objectifs inavoués.

C’est une chance inouïe pour nous autres Marocains de fêter trois fois « nouvel an » en une seule. Chacun renvoie à des repères spécifiques dans une parfaite symbiose faisant du Maroc et du Marocain ce qu’ils sont aujourd’hui.  Le calendrier grégorien nous place dans l’universalisme et nous permet de communiquer avec le monde pour pouvoir nous situer dans cet espace planétaire commun à l’humanité et être en phase avec les exigences du moment.

Le calendrier musulman nous plonge dans la spiritualité et le partage de notre vécu avec la «Oumma». Ainsi, l’année de l’hégire est porteuse de toute une symbolique et chargée de signification. Outre le nouvel an de l’hégire correspondant au 1er Moharrem, les Musulmans, de par le monde, fêtent comme il se doit une série d’autres évènements qui constituent des moments propices de partage et de communion.

Le calendrier amazigh, qui remonte à près de trois siècles, est le plus ancien de tous.  L’origine, semble-t-il, remonte à l’accession d’un Amazigh au statut de Pharaon d’Egypte en l’an 950 avant Jésus-Christ. On l’appelle également l’année agricole dans la mesure où les saisons de l’année amazighe s’accommodent mieux au déroulement des travaux agricoles. Ainsi, en célébrant le Premier jour de l’An le 14 janvier, autour d’un repas partagé en famille, les Amazigh se préparent dans une liesse populaire et dans une ambiance festive à l’année agricole avec l’espoir d’engranger une bonne récolte (assabath/anebdu en amazigh) pendant que les enfants se mettent à danser au rythme de « hagouza ».

 Cet attachement à la terre n’a fait que se renforcer au fil des ans et des siècles.  C’est dire que la paysannerie marocaine n’est pas née de la dernière pluie. C’est la résultante d’un long processus historique qui s’étale sur des siècles au cours desquels elle a acquis une dextérité et un savoir-faire reconnus tant en matière de techniques d’irrigation que de travail des sols ou de l’organisation des assolements. Les technocrates et experts en agriculture « intensive » auraient beaucoup à apprendre en se rapprochant de la paysannerie marocaine traditionnelle et en étudiant les modes de culture utilisés qui s’adaptent parfaitement aux conditions climatiques et à l’usage de l’eau devenue par les temps qui courent une denrée rare. 

C’est cette culture ancestrale, physiocratique et écologique, qu’il convient aujourd’hui de préserver et de renforcer.  Notre pays, après quelques hésitations de départ a su comment apporter progressivement des réponses positives à cette problématique.  Le Discours Royal d’Ajdir de 2001 ayant annoncé la création de l’Institut Royal de la culture amazighe (IRCAM) a déclenché une véritable dynamique en rétablissant des rapports de confiance par la reconnaissance de la composante amazigh de notre culture nationale et en coupant l’herbe sous les pieds des pêcheurs en eaux troubles.  La constitution de 2011 est venue mettre définitivement les pendules à l’heure et régler le pays sur l’horloge amazigh, en considérant la langue amazighe comme langue officielle à côté de l’arabe. 

La question identitaire du pays ne souffre désormais d’aucune équivoque : le préambule de la constitution est on ne peut plus clair. Il faut juste œuvrer à rendre opérationnelles et effectives les dispositions constitutionnelles.

Pour que la langue amazighe devienne effectivement une langue nationale, il faut qu’elle soit enseignée à grande échelle dans nos écoles.  Tel n’est pas encore le cas malgré tous les efforts consentis à ce niveau. Il est prévu de généraliser l’enseignement de la langue amazighe dans le cycle primaire à l’horizon 2030. Pour ce faire, il faut résorber une série   d’obstacles qui se dressent contre cet objectif, dont notamment la formation des enseignants. De même, la création d’une chaine TV amazigh est une excellente chose. Elle doit être dotée de moyens suffisants pour qu’elle puisse offrir un produit compétitif.

Au niveau de la culture amazighe au sens large du terme, nous avons encore du pain sur la planche : l’encouragement de la créativité artistique et cinématographique. L’art amazigh est extrêmement riche et varié. Pour le préserver et l’enrichir, il faut l’introduire dans les écoles d’art et métiers et pourquoi pas créer un musée national des arts amazighs. Le gouvernent a mis en place un fonds dédié à la promotion de la langue et culture amazigh doté de 300 millions de DH en 2024, porté à 1 milliard DH en 2025. Ce fonds doit financer toutes les actions concernant la promotion de la langue et culture amazighe. Avouons que c’est une goutte dans l’océan, à supposer que ce Fonds soit effectivement utilisé.

Mais là où il faut faire plus d’effort, c’est au niveau du développement des zones de montagnes et des régions reculées du pays. Pour des raisons historiques sur lesquelles il serait inutile de revenir, ces régions sont à dominante amazighe. Il suffit de voyager à travers les chaines du Rif et de l’Atlas pour s’en rendre compte. Force est de constater que ces régions enregistrent un déficit abyssal en matière de développement humain et de développement tout court.    C’est une question de justice sociale et de réparation de préjudices subis par le passé. 

En cette occasion de la nouvelle année amazigh, il est permis d’affirmer et d’exprimer haut et fort notre fierté d’être à la fois des Amazigh  (Imazighen), des Arabes et par-dessus tout et avant tout  des Marocains. Assougass ambarki !!

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