Par: Abdelkrim Belguendouz*
Dans le cadre du débat public pour l’action, les éditions d’Al Bayane du 2 et 9 mars 2018 ont consacré l’espace «Dossier», à des réflexions sur le projet d’Agenda Africain sur la Migration et ses enjeux au niveau du continent. Les deux parties qui restent seront consacrées à l’impact de cet Agenda sur les politiques migratoires marocaines. Avec des suggestions pratiques, nous traitons aujourd’hui du volet des politiques d’immigration et d’asile au Maroc, en réservant l’édition finale du vendredi 23 mars 2018 à l’impact de l’Agenda sur les politiques marocaines en direction des cinq millions de citoyens marocains établis à l’étranger. Précisons que cette contribution au débat, a été finalisée le dimanche 21 janvier 2018 , soit une semaine avant le 30ème Sommet des chefs d’Etat et de gouvernement tenu à Addis Abeba les 28 et 29 janvier 2018 , dans le cadre de l’Union Africaine et au cours duquel, au nom de Sa Majesté le Roi Mohammed VI , le chef du gouvernement, Saâd Eddine El Othmani, a présenté l’Agenda Africain sur la Migration. Dans une démarche critique constructive, destinée à contribuer à poser les fondements de politiques alternatives, les quatre suggestions pour l’action que nous formulons en matière de politiques d’immigration et d’asile au Maroc sont les suivantes :
- Réussir la deuxième phase de régularisation;
- Cesser la pratique des déplacements forcés;
- Renoncer à la mise en place de centres régionaux d’accueil de migrants ;
- Activer la mise à niveau juridique.
- Réussir la seconde phase de régularisation
En premier lieu, il s’agit de faire réussir la deuxième phase de régularisation des étrangers en situation administrative irrégulière qui a été prorogée jusqu’au 31 décembre 2017 et qui ne concerne pas que les Africains subsahariens, mais également des Européens, ainsi que des Asiatiques…
En plus de la régularisation de toutes les femmes et des mineurs comme lors de la première opération de régularisation de 2014, il convient à notre sens d’assouplir par la commission nationale de recours les critères de régularisation qui sont draconiens, très sélectifs et restrictifs, contrairement aux affirmations du gouvernement selon lesquelles il s’est aligné sur les critères les plus souples et les plus ouverts constatés dans le monde.
Cette vision optimiste est même partagée par l’étude, fort intéressante par ailleurs, publiée en 2017 par la Konrad Adenauer Stiftung (KAS, Bureau de Rabat), en partenariat avec l’Université Internationale de Rabat (UIR), sous le titre : «La Nouvelle Politique Migratoire Marocaine». À la page 42, il est affirmé par rapport aux deux opérations de régularisation menées par le Maroc, qu’«il ne s’agit en aucun cas de remettre en cause la pertinence des critères retenus. Les différentes opérations de régularisation menées de par le monde, se sont appuyées sur des critères du même type qui prennent en compte les années de présence sur le territoire national, la situation par rapport au travail et les attaches familiales».
Or deux cas au moins, dans lesquels l’immigration marocaine «clandestine» était concernée en grand nombre, contredisent cette explication. La régularisation opérée en 1981 sous François Mitterand, et celle effectuée par le gouvernement Zapatero en Espagne début 2005, exigeant une présence à partir 8 mois seulement!
Voilà pourquoi, à notre sens, la souplesse au Maroc peut se traduire de la manière suivante :
- réduire la durée de séjour à un an au lieu de cinq ;
- réduire la durée du contrat de travail à six mois au lieu de deux années ;
- diminuer fortement la durée du mariage.
- Moratoire relatif aux déplacements
En second lieu, tout en reconnaissant des avancées notables qui ont marqué ces quatre dernières années sur plusieurs plans ( tel que l’arrêt des expulsions et refoulements vers l’Algérie et la Mauritanie), il convient de cesser toutes les actions qui ternissent, jettent un discrédit et vont à l’encontre de l’esprit de la Nouvelle Politique Migratoire du Maroc, basée sur le respect des droits humains, des dispositions des instruments internationaux en la matière, et soucieuse de la mise en œuvre d’une responsabilité partagée ainsi que d’une coopération bilatérale rénovée.
Ainsi en est-il de la stratégie du «nettoyage du Nord» selon le jargon policier, suivie par la pratique sécuritaire des déplacements forcés avec grande violence des migrants du Nord du Maroc vers les villes de l’intérieur du pays comme Rabat, Casablanca, Meknés, ou bien vers le sud comme Ouarzazate, Agadir , Tiznit, Laâyoune…
Ces pratiques maintiennent une image négative du Maroc, consistant à jouer le rôle de gendarme et de gardien des frontières de l’Europe. Il en est de même de l’acceptation des «refoulements à chaud» pratiqués par la Guardia Civil espagnol, consistant à réadmettre immédiatement et sans procédure vers le Maroc, tous les migrants qui tentent de rejoindre de manière irrégulière notamment les deux villes marocaines occupées par l’Espagne : Sebta et Melilla.
- Alerte aux centres d’accueil régionaux de migrants et à une disposition du projet de loi relatif au CNDH
En troisième lieu, certes la déclinaison territoriale de la Stratégie Nationale d’Immigration et d’Asile (SNIA) est à mener dans les diverses régions du pays dans le cadre du travail de proximité, nécessitant une décentralisation et une déconcentration de la politique en la matière, mais en prenant des gardes fous pour ne pas tomber dans des contradictions insoutenables. La vigilance s’impose concernant en particulier les tentatives de mise en place de «centres d’accueil régionaux de migrants» comme celui de Marrakech, financé essentiellement par la coopération allemande (ministère fédéral allemand de la coopération économique et du développement), avec une enveloppe de 15 millions dirhams, soit 1,3 million d’Euros (et dont l’ouverture serait même prévue pour 2019).
Entrant dans le cadre du programme RECOMIG ou «Renforcement des capacités des collectivités territoriales dans le domaine migratoire», les groupes cibles du projet sont, d’après des documents officiels allemands, notamment «des réfugiés et des Marocains de retour qui ont un besoin d’intégration et de réintégration dans la communauté d’accueil» (ou plutôt d’origine, devrait dire le document).
Mais sous le prétexte d’une ouverture à l’ensemble de la population, d’une mission humanitaire en direction des réfugiés et de l’accueil des émigrés de retour, le risque est très grand de voir ces structures jouer le rôle de centres de rétention, de centres de tri pour les demandeurs d’asile en Europe, voir également de structures de «réception» des immigrés irréguliers marocains en Europe (et pas uniquement en Allemagne), ainsi que des immigrés irréguliers en Europe qui auraient transité par le Maroc.
Dans ce cas , on les réadmettrait vers le Maroc , en application de l’accord général de réadmission UE-Maroc que Bruxelles veut toujours faire signer par Rabat , moyennant un soi disant assouplissement dans l’octroi des visas aux Marocains , voir même en faisant miroiter, comme certains milieux en Espagne le font , un accord sur la migration similaire à celui conclu en 2016 entre l’UE et la Turquie, moyennant des contreparties financières alléchantes…
Le dessein de limiter l’accès en Europe aux procédures d’asile, d’externaliser le traitement des demandeurs d’asile et des politiques migratoires européennes assigné à ces centres est à peine voilé. Leur financement est une instrumentalisation manifeste de «l’aide au développement», que celle-ci vienne de l’Union européenne en tant que telle, de ses États membres comme l’Allemagne, les Pays-Bas ou bien de la Suisse…
Dès lors, concernant le projet de création du Centre d’accueil des migrants à Marrakech, une ambiguïté politique majeure doit être levée. Officiellement, le gouvernement marocain a toujours été contre la création de ces centres. C’est ainsi qu’en février 2017, il exprimait son «refus d’accueillir des centres de transit pour migrants». Dés lors, le ministère de l’Intérieur, qui assure la tutelle des collectivités territoriales , devrait exprimer sans détour son opposition catégorique à ce projet porté par la Commune de Marrakech, «suivi», «appuyé» et «couvert» par la Direction de la Coopération internationale au ministère chargé des MRE et des Affaires de la migration et ne pas céder aux pressions d’une certaine Europe , celle des sécuritaires qui tentent d’imposer leur propre agenda et leurs propres préoccupations pour répondre à leurs seuls intérêts.
Ces pressions s’exercent dans le cas précis , sous le couvert de la coopération internationale allemande ( GIZ) qui «parraine» ce projet, en se préparant , avec le partenariat de la Direction de la coopération internationale au ministère chargé des MRE et des Affaires de la migration , au lancement de neuf autres projets similaires liés aux communes suivantes avec lesquels le terrain est préparé en créant la confiance , en particulier par des voyages en Allemagne : communes d’Oujda, Fès , Salé , Rabat, Casablanca, Tanger. Nador, Béni Mellal, Tiznit… Autre caractéristique : chacune de ces neuves collectivités territoriales partenaires, devra réaliser comme la Commune de Marrakech, un projet pilote.
Associant notamment des élus communaux, des organisations de la société civile locales et autres acteurs locaux, les financements liés à ces projets, créent (chez certains mais pas tous), une sorte de climat de complaisance, nuisible sur beaucoup de plans et notamment à la démarche migratoire à visage humain lancée au plus haut niveau de l’Etat marocain en septembre 2013.
Sur ce plan, le journal allemand Weltam Sonntag a annoncé récemment que le gouvernement allemand a commencé à construire deux centres de jeunesse dans le nord du Maroc pour loger des «enfants des rues» originaires du Maroc, ainsi que des «mineurs marocains non accompagnés» expulsés par l’Allemagne. Construits par la coopération allemande, ces centres de déportation seront gérés conjointement par des collectivités territoriales et des ONGs locales. Ces projets «pilotes» vont ainsi créer une voie légale permettant à l’Allemagne (et par comparaison à d’autres pays européens), de commencer à expulser les jeunes vers le Maroc, sans devoir nécessairement localiser leurs familles en priorité.
S’agissant de ces divers financements extérieurs, mais répondant à une même logique, il s’agit par conséquent de prendre le recul pour analyser les choses en termes politiques, et ne pas se contenter d’y voir une «coopération bilatérale et multilatérale fructueuse et exemplaire avec les pays d’accueil et les organismes internationaux», comme ceci est présenté en termes d’auto-glorification, par la Direction Coopération internationale relevant du ministère chargé des MRE et des affaires de la migration.
De notre point de vue, une réflexion stratégique sur la nature et l’orientation politique de ces «aides» extérieures s’impose, au lieu de chercher à continuer d’impliquer les collectivités territoriales dans une perspective d’externalisation des politiques migratoires européennes, sous prétexte de pragmatisme.
D’autant plus que certaines formations politiques marocaines semblent être séduites par ce chant des sirènes. Ainsi en est-il du Parti de la Justice et du Développement (PJD), qui continue à diriger la coalition gouvernementale. En effet à la page 59 du programme électoral du PJD pour les élections législatives du 7 octobre 2016, on trouve la proposition suivante : «mobilisation de sources de financement pour la mise en place de centres d’accueil de réfugiés (…)».
La vigilance politique et intellectuelle s’impose à un autre niveau. Dans le cadre du projet de loi n° 76.15 portant création du Conseil National des Droits de l’Homme (CNDH), constitutionnalisé en 2011(article 161 de la Constitution) et soumis à discussion actuellement au parlement, une disposition attire l’attention. Certes, s’agissant de la possibilité du Conseil d’effectuer des visites, l’article 11 ne parle pas de centres mais «des lieux où on garde les migrants en situation irrégulière», considérés par ailleurs comme faisant partie des lieux de privation de droits.
Cependant, on ne peut limiter l’interprétation de cette disposition de l’article 11 à la seule référence à un droit de visite aux zones d’attente, particulièrement dans les aéroports. Ce qui est visé, c’est l’ensemble des lieux de privation de libertés des migrants en situation irrégulière, y compris de notre point de vue, les centres d’accueil de migrants en situation irrégulière. Dès lors, ne sommes-nous pas ici face à un autre indicateur montrant que les responsables marocains cèdent aux chants des sirènes sécuritaires européennes !?
Toujours est-il que les deux exemples précités sont, de notre point de vue, en totale contradiction avec la démarche fondatrice de la Nouvelle Politique Migratoire du Maroc. Tout comme ils sont antinomiques et en plein déphasage avec l’esprit de l’Agenda Africain pour la Migration, qui insiste sur la nécessité d’avoir au niveau fondamental, des politiques migratoires non répressives et non sécuritaires, mais au contraire soucieuses du plein respect des droits de l’Homme.
Les responsables marocains du dossier migratoire doivent par conséquent, de notre point de vue, sortir de ces contradictions flagrantes.
4-Le grand retard de la mise à niveau juridique
En quatrième lieu, on ne peut nullement suivre les déclarations de certains responsables, selon lesquels, en matière d’immigration et d’asile, le cadre réglementaire a été changé. De même, l’affirmation suivante reproduite dans un numéro hors série de «La Vie Économique» (décembre 2017), ne peut être retenue : «la mise en place de cette nouvelle politique migratoire, a été accompagnée sur le plan législatif par l’adoption de trois projets de lois sur l’émigration, la lutte contre la traite des êtres humains et l’asile».
4.1- En effet, le dispositif juridique n’a pas encore été, pour l’essentiel, modifié, alors que le gouvernement a procédé le 17 septembre 2013, à la création d’une commission chargée de la mise à niveau du cadre juridique relatif à l’immigration et l’asile. La présidence de cette commission est revenue à la Délégation interministérielle chargée des droits de l’Homme. Outre la Délégation, la commission a été composée des ministères des Affaires étrangères , de l’Intérieur , de la Justice et des libertés , de l’Emploi et de la formation professionnelle, du ministère chargé des MRE et des Affaires de la migration, du Secrétariat général du gouvernement, du ministère de la Solidarité, de la femme, de la famille et du développement social et de la Direction générale de la sûreté nationale. Le CNDH (Conseil national des droits de l’homme) est associé aux travaux de la commission en tant que membre consultatif.
4.2- Certes , la loi 27-14 relative à la lutte contre la traite des êtres humains , déposée à la Chambre des Représentants le 24 juillet 2015 et adoptée par cette chambre le 31 mai 2016 ainsi que par la Chambre des Conseillers le 2 août 2016 , est entrée en vigueur le 17 septembre 2016 . Par contre, il convient toujours de rattraper l’énorme retard incompréhensible dans la mise à niveau d’autres aspects centraux du cadre juridique concernant l’immigration et l’asile.
4.3-il s’agit d’abord de la loi sur l’asile ayant pour objectif l’institutionnalisation du droit d’asile au Maroc. Certes, le Maroc figure depuis le 7 novembre 1956 parmi les États partie à la Convention de 1951 relative au statut des réfugiés -dite Convention de Genève – et à son protocole de 1967, depuis le 20 avril 1971. De même que le Maroc a ratifié la Convention régissant les aspects propres aux problèmes des réfugiés en Afrique du 10 septembre 1969. Cette dernière est plus en avance que la Convention de Genève, avec une définition très élargie du terme réfugié dans son article 2, en reflétant la situation précaire des réfugiés en Afrique.
Ainsi , elle dispose que la notion de réfugié désigne «toute personne qui , du fait d’une agression, d’une occupation extérieure, d’une domination étrangère ou d’évènements troublant gravement l’ordre public dans une partie ou dans la totalité de son pays d’origine ou du pays dont elle a la nationalité, est obligée de quitter sa résidence habituelle pour chercher refuge dans un autre endroit à l’extérieur de son pays d’origine ou du pays dont elle a la nationalité».
Ainsi le Maroc est signataire des principaux accords internationaux et conventions relatives aux réfugiés. Dès lors, cet
engagement du Maroc aurait dû se concrétiser depuis bien longtemps par l’élaboration d’un cadre juridique régissant la situation de l’asile dans lequel sont définis les critères de traitement et les mécanismes de protection des droits des demandeurs d’asile , sans aucune discrimination. Mais en dépit de l’article 30 de la Constitution de 2011 qui consacre le droit d’asile au même degré que les autres droits de l’homme , en précisant que les conditions de l’octroi de ce doit d’asile sont définies par la loi , il n’y’a jamais eu jusqu’à présent de loi fondant une procédure nationale de détermination du statut de réfugié.
L’élaboration d’une législation sur les réfugiés ne semble plus être une priorité du gouvernement marocain , même si cette exigence s’inscrit pourtant dans le cadre de la stratégie du Maroc en matière d’immigration et d’asile et qu’un progrès avait été réalisé par la réactivation en septembre 2013 du Bureau des réfugiés et des apatrides (BRA) qui avait été fermé depuis 2004 . Cette réouverture signifiait que c’est désormais l’Etat qui allait fournir protection et assistance aux réfugiés et aux demandeurs d’asile, et non pas le HCR (Haut-Commissariat aux Réfugiés).
Or en plus de ce vide législatif qui handicape lourdement la Nouvelle Politique Migratoire du Maroc, une véritable régression est opérée maintenant dans le domaine de l’asile au Maroc. En effet, depuis mars 2017, le Bureau des réfugiés et des apatrides chargé de l’octroi de ce statut et relevant du ministère des affaires étrangères et de la coopération, a suspendu ses activités, c’est-à-dire les auditions qui sont primordiales pour la délivrance de la carte de séjour. En effet , le BRA héberge la commission ad hoc constituée de représentants des ministères des Affaires étrangères, de l’Intérieur, de la Justice et des Libertés, de l’Emploi et de l’insertion professionnelle, de la Délégation interministérielle aux droits de l’homme et d’un représentant de la Délégation du HCR à Rabat, chargée d’auditionner les demandeurs d’asile et d’instruire leurs dossiers, avant de leur octroyer le statut de réfugié.
Or cette suspension tend à remettre en cause, à l’occasion du déclenchement de la Nouvelle Politique Migratoire du Maroc, le processus de réforme entamé depuis le 25 septembre 2013 en vertu duquel le HCR sera remplacé par le BRA, sachant que l’obtention d’une carte de réfugié par le BRA, donne entre autre, la possibilité de se faire établir une carte de séjour, document indispensable pour travailler dans le secteur formel, d’avoir accès aux services publics ou encore de louer un appartement en toute légalité.
Par conséquent, cette «suspension» pour ne pas dire fermeture du BRA depuis très bientôt un an, a un impact négatif majeur, celui d’empêcher des personnes reconnues réfugiés par le HCR de poursuivre la procédure en étant auditionnées par la commission ad-hoc afin d’être régularisées avec une carte de séjour, laquelle seule leur permet d’accéder à un certain nombre de droits, enlevant ainsi tout caractère opérationnel effectif à la procédure d’asile et la remettant en cause tout simplement . Car encore une fois et encore, sans carte de séjour, les réfugiés restent dans le dénuement et la précarité.
Selon le HCR à Rabat, il s’agirait de plus de 500 subsahariens et 800 réfugiés syriens qui voient leur situation bloquée, alors qu’ils considèrent le Maroc comme un havre de paix, de quiétude et de stabilité par rapport à l’insécurité multiforme que connaissent, en cette période trouble, leurs contrées d’origine.
4.4-Il s’agit ensuite de la refonte de fond en comble de loi 02-03 relative à l’entrée et au séjour des étrangers au Royaume du Maroc, à l’émigration et à l’immigration irrégulières, promulguée par dahir numéro 1-03-196 du 11 novembre 2003 et son décret d’application du 1er avril 2010. Contrairement à ce qu’on a pu lire sur les colonnes du journal «Le Monde» du 14 novembre 2017, on ne peut pas dire par rapport à cette loi, qu’«elle a été finalement abrogée en septembre 2014» (article signé par Mattéo Maillard qui double par ailleurs le chiffre des régularisés en 2014 : 50.000 au lieu de 25.000 réellement), mais cette loi foncièrement liberticide, avec un aspect répressif accentué et ignorant le droit protecteur des migrants, reste le principal texte de loi qui régit la migration.
Pour bien comprendre le contexte politique et régional, ainsi que les motivations profondes de cette loi, il faudrait revenir à la note de présentation qui accompagnait le projet de loi, préparé par la Direction des Affaires générales du ministère marocain de l’intérieur. L’aveu était explicitement énoncé et reconnu. Il s’agit de : «permettre au Maroc d’assumer pleinement ses engagements envers ses principaux partenaires, notamment en matière de lutte commune ( !!!) contre la migration clandestine frontalière, dans sa double composante nationale et étrangère».
Autrement dit, en harmonie avec le droit communautaire européen, il s’agit de faire du Maroc l’espace d’assignation à résidence pour les Marocains, le pays de l’impasse migratoire pour les étrangers et le vigile de l’Europe pour protéger le vieux Continent de «l’avalanche» des «sudistes» et particulièrement des Subsahariens.
Si cette loi 02-03 a eu le mérite de décoloniser la législation sur la migration, elle est toujours en vigueur, continuant par contre à criminaliser et à pénaliser la migration irrégulière, à faire des migrants irréguliers des criminels, alors que – paradoxe -, on régularise leur situation administrative !!! Obéissant en quasi-totalité à la logique sécurito-policière, étant focalisée sur la pénalisation de l’im(é) migration, sans prendre en considération les graves problèmes humanitaires qui en découlent, cette loi n’a nullement prévu en contrepartie un équilibre pour l’institution d’un certain nombre de droits économiques, sociaux et culturels pour les étrangers au Maroc.
4.5- Sur ce point, faisons référence à divers articles de presse reproduisant un communiqué de la Commission Nationale (présidée par le Conseil national des droits de l’homme CNDH) de suivi et de recours concernant l’opération de régularisation qui dit ceci par rapport à son activité proprement dite : «il a également été décidé d’accélérer le processus d’adoption des lois relatives à l’asile et à la refonte de la loi 02-03 relative à l’entrée et au séjour des étrangers au Royaume du Maroc, à l’émigration et l’immigration irrégulière».
Faisons observer en premier lieu que la Commission de recours (qui doit par ailleurs être élargie au niveau de la société civile, n’a aucune prérogative ou compétence pour décider l’accélération du processus d’adoption des lois en question. La commission peut formuler un souhait, exprimer une demande dans ce sens, interpeller les instances concernées en ce domaine, mais elle n’a nul pouvoir de décision sur ce terrain, sinon pourquoi elle ne passerait pas alors elle-même à l’exécution!?
Par ailleurs, la formulation du communiqué est ambiguë et pas claire. Quand on parle d’accélération du processus d’adoption des lois, on pense plutôt à l’instance législative qui doit augmenter ses cadences de travail, en particulier en commission.
Or dans ce dossier , si le chantier de réforme juridique reste inabouti et foncièrement inachevé, le retard est d’abord et avant tout dans le processus de préparation et d’élaboration des projets de lois qui n’ont pas encore été soumis par le Secrétariat général du gouvernement au Conseil de gouvernement. La critique est par conséquent à adresser franchement et directement au gouvernement, y compris à la Direction interministérielle chargée des droits de l’Homme, qui n’arrive pas à aboutir à un accord en interne sur ces projets de lois, ce qui bloque politiquement leur processus d’élaboration, et non pas pour une quelconque «surcharge de travail au niveau du gouvernement», encore moins du parlement.
Précisons donc ici encore une fois et encore, qu’il ne peut y avoir de Nouvelle Politique Migratoire du Maroc, si elle n’est pas adossée à une législation appropriée à visage humain qui lui fournit les fondements juridiques. En d’autres termes, les politiques migratoires qui n’ont pas d’assise législative, ne reposent pas sur un système de gouvernance assez stable et sont tributaires d’éléments subjectifs. Ainsi, le manque toujours persistant de nos jours de fondement législatif, équivaut à une profonde lacune en termes d’Etat de droit pour tout l’édifice de l’intégration des immigrés qui n’est pas encore inscrit dans la loi. De même, les pratiques administratives liées aux opérations de régularisation, telles les conditions de renouvellement des cartes de séjour pour les personnes dont la situation administrative a été régularisée, ne sont pas encore, pour l’essentiel, encadrées par des textes juridiques claires, qui peuvent seuls, renforcer l’Etat de droit et réduire les comportements, attitudes et interprétations subjectives.
La refonte urgente de l’arsenal juridique en question est par conséquent indispensable. Elle n’est pas un luxe. On ne peut s’en passer. Le retard observé étant dû à des hésitations , à des désaccords de fond , que l’on lance au moins un débat public en la matière pour avancer, en rendant public par le SG du gouvernement le texte des avants projets de loi, en s’ouvrant réellement sur la société civile qui n’a jamais été jusqu’ici réellement impliquée dans le cadre d’une démarche participative, contrairement aux orientations données par la plus haute autorité du pays!
4.6 – Par ailleurs, d’autres textes en vigueur, doivent être nécessairement modifiés :
-Amendement du dahir numéro 1-58-376 réglementant le droit d’association, afin de permettre l’alignement du statut juridique des associations étrangères sur celui des associations marocaines.
-Amendement de la loi numéro 65-99 relative au Code du travail en son article 416, de manière à permettre aux travailleurs immigrés l’accès aux postes d’administration et de direction des syndicats professionnels auxquels ils sont affiliés.
S’agissant maintenant de la lutte contre la discrimination et le racisme, dans le cadre d’une sensibilisation sociétale en vue de diffuser une culture des droits humains, la Stratégie Nationale relative à l’Immigration et l’Asile a prévu l’élaboration d’un projet de loi en la matière, restée sans suite à ce jour , alors qu’il y’a urgence à disposer de ce texte, compte tenu notamment du discours populiste rampant à propos notamment de l’immigration étrangère au Maroc, et pour lutter contre les discours qui véhiculent la stigmatisation des immigrés et des exilés.
Par contre, dans la présente législature, le groupe parlementaire des députés de l’Istiqlal, a (re) déposé à la Chambre des Représentants , une proposition de loi en la matière , et sa discussion a même commencé en commission de la législation , en espérant qu’elle aboutira positivement.
4.7 –Enfin, la politique d’insertion harmonieuse des immigrés n’est encore qu’à ses débuts. Les deux campagnes de régularisation n’ont pas encore modifié substantiellement et significativement le vécu concret des migrant(e)s en termes d’accès à leurs droits fondamentaux. C’est un travail de longue haleine, un projet sociétal répétons-le qui nécessite des interventions multi-sectorielles, l’apport également de divers acteurs extra-gouvernementaux et un processus participatif continu, en particulier des milieux directement concernés.
Voilà pourquoi, sans tomber dans l’inflation institutionnelle et dans la mesure où constitutionnellement, le CCME (Conseil de la communauté marocaine à l’étranger) est dédié spécifiquement aux citoyens marocains établis à l’étranger, la mise en place d’un haut conseil à l’intégration ( ou plutôt l’insertion) des immigrés au Maroc, ouvert notamment à la société civile immigrée au Maroc et aux syndicats actifs dans le domaine, en plus bien entendu de tous les départements et institutions nationales concernés , serait la bienvenue, comme cadre de consultation et de concertation pour tout ce qui touche ce dossier de l’insertion des immigrés au Maroc.
Le CCME précisons-le une nouvelle fois, n’a pas de prérogatives concernant l’immigration étrangère au Maroc. Dès lors, on ne voit pas le bien-fondé du reproche de son secrétaire général au gouvernement, de ne pas associer le Conseil à tout ce qui a trait à la politique gouvernementale en matière d’immigration et d’asile. Si au moins le CCME émettait des avis consultatifs en bonne et due forme concernant les politiques publiques marocaines relatives aux citoyens marocains établis à l’étranger, qui font partie de son cahier de charge!
*(Universitaire et chercheur en migration)