Entre les deux premières audiences de sa comparution devant le président de la Chambre criminelle près la Cour d’appel de Casablanca, Ali Torchi, Nasser Zefzafi a pris la parole pendant près de 7 heures. Tout en veillant à répondre par des questions rhétoriques aux interrogations du juge, il tenait à continuer son harangue -lors de la première audience du lundi 09 avril- et à dépeindre minutieusement la prétendue torture qu’il a subie lors de la séance du mardi 10 avril .
Nasser donne le «la»
Sur 54 détenus rifains, Nasser Zefzafi a été le 53e détenu à comparaître devant le président de la Chambre criminelle, Ali Torchi. Alors que la défense des détenus s’attendait à ce que Zefzafi soit le dernier à passer à la barre, le tribunal a décidé autrement, en convoquant ce dernier lors de l’audience de jeudi dernier et en laissant Nabil Ahamjik pour la fin de l’audition des détenus.
Prévue à 15 h, l’audience n’a démarré qu’à 16h 30 passée. Ali Torchi s’installe, ouvre la séance, fait l’appel des détenus et appelle Nasser Zefzafi à la barre. Et voilà qu’il se présente avec sa chemise bleue, sans oublier les salutations adressées à l’auditoire composé pour la plupart des familles des détenus et de quelques journalistes et observateurs nationaux internationaux.
Après une brève objection du bâtonnier Abderrahim El Jamai, portant sur une affirmation du procureur général, Hamid El Ouadi, lors de la séance du jeudi dernier, selon laquelle le parquet allait faire une expertise sur la qualité de l’eau que boivent les détenus rifains à la prison locale de Oukacha, l’accusation a répondu qu’elle a chargé la Brigade nationale de la police judiciaire (BNPJ) de diligenter une enquête en précisant qu’il s’agit du dossier numéro 112 S/2018.
Et c’est là que le leader du Hirak a débuté la prononciation d’un long discours qu’il a dû interrompre après plus de 4 heures, sollicitant du juge la levée de l’audience.
Sur les raisons du Hirak
Dans son exposé détaillé, Zefzafi s’est arrêté longuement sur les raisons de la mouvance populaire du Rif, déclenchée après la mort de Mohcine Fikri. Pendant plus de quatre heures, il a fait usage de versets coraniques, hadiths, discours de S.M le Roi, citations de Sigmund Freud, Karl Marx ou encore Baruch Spinoza, sans omettre les paroles de Abdelkrim El Khattabi, «Moulay Mohand» comme il préfère l’appeler, pour mettre en évidence les raisons du Hirak. Le détenu a adressé, ensuite, des remerciements au tribunal, au parquet, aux avocats de l’Etat, aux avocats des détenus et aux familles de ces derniers, avant que le juge n’intervienne pour le sommer de répondre aux chefs d’accusation retenus contre lui.
«J’espère ne pas confisquer la parole», a rétorqué Zefzafi, en demandant au juge d’accorder la liberté provisoire au détenu, Ilyass El Hajji, dont le père agonise dans une clinique à Casablanca.
Remise en cause des accusations
Malgré les interruptions du juge et ses sommations à Zefzafi de répondre aux questions, celui-ci est resté collé à sa stratégie de défense consistant à vider de tout sens les accusations du parquet et à remettre en cause les procès-verbaux de la Brigade nationale de la police judiciaire (BNPJ).
En abrégé, longueur du discours oblige, Zefzafi a usé de la technique du flash-back pour détailler les raisons du Hirak. De la résistance de Abdelkarim Khattabi, les émeutes de 1957 et 1958, en passant par les émeutes de 1981, des mouvements des élèves de 1987, jusqu’au Hirak de 2016, Zefzafi a étalé des faits confortés par des citations (versets, hadiths, Marx, Freud et autres) pour déduire que le Hirak est né d’un vieux cumul.
«Les 18 revendications du mouvement de 1958 sont les mêmes actuellement», a-t-il indiqué.
Toutes les objections du juge du genre, «en 45 minutes vous n’avez répondu que partiellement à un seul délit de ceux dont vous êtes accusé» ou «les faits pour lesquels vous êtes poursuivi ont eu lieu durant le troisième millénaire et pas 1957 et 1958», n’ont pas empêché l’accusé de poursuivre son argumentaire.
Zefzafi rejette l’accusation de séparatisme
Lors de la deuxième audience, ayant débuté avec plus d’une heure et demi de retard vers 16h 10, Zefzafi s’avance visage desserré déterminé à poursuivre son discours. A chaque fois qu’il reprenait la parole suite à la levée de l’audience ou l’intervention d’un avocat ou son interruption par le juge, il disait «je vais vous répondre M. le président, mais avant cela, laissez-moi d’abord continuer là où je me suis arrêté…».
Très conciliant, Ali Torchi répondait favorablement à presque la majorité des demandes de l’accusé.
A chaque question posée par le président de la Chambre criminelle, Zefzafi répondait par des questions rhétoriques ou oratoires qui ne peuvent servir que de moyens d’éveiller des sentiments ou créer des convictions chez le tribunal et qui lui servaient aussi de transition pour revenir sur les détails de son arrestation.
A l’issue de cette longue plaidoirie, le juge a fini par reporter la poursuite de l’interrogatoire jusqu’au lundi 16 avril.
Mohammed Taleb